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homme, par le copiste, l'imprimeur, le fabricant, et alors, il y a deux propriétés distinctes : la propriété intellectuelle et la propriété matérielle, mobilière; elles peuvent se réunir dans un seul individu, mais, même chez lui, elles demeurent séparables, avec des parts afférentes diverses dans le prix total de la rémunération.

Tout gît, en vérité, dans cette distinction, qui, une fois faite, empêche de se laisser aller à cette erreur, consistant à n'attribuer au créateur de l'idée que la propriété matérielle du manuscrit, du tableau, du monument ou de la locomotive, et de confondre, au point de vue de l'effort et du service rendu, l'écrivain et son copiste.

Certainement, la jouissance qui peut résulter pour tous de la contemplation de l'objet, de l'acquisition d'un nouveau degré de certitude pour la conscience humaine, du renversement d'anciens obstacles vaincus par l'effort de l'auteur ou de l'inventeur dont les travaux ont rendu moins pénibles à l'avenir les efforts restant à faire pour agrandir le domaine général de l'intelligence et de l'industrie, sans doute, cette jouissance appartiendra nécessairement à tous; tous la pourront percevoir comme les simples promeneurs peuvent respirer les parfums pénétrants des fleurs d'un parc étranger ou d'un marché public, et sortir enivrés sans avoir assurément fait aucun tort aux propriétaires de ces plates-bandes et de ces marchandises embaumées. Cette noble et immatérielle jouissance, elle fait désormais partie de la communauté universelle où se trouvent et se reversent toutes les utilités naturelles et acquises; mais la valeur vénale, commerciale, échangeable, appartient à l'auteur de l'idée, et il résulte seulement de tout cela que le travail intellectuel. est celui qui, tout en créant de la valeur, produit en même temps le plus d'utilité générale; c'est le travail le plus élevé, le moins égoïste, le plus libéral de tous!

LIVRE III.

MODIFICATIONS LÉGISLATIVES.

Cette dernière partie de notre tâche sera courte; car on comprend bien que nous voulons indiquer les seules modifications fondamentales que devrait entraîner nécessairement l'adoption du principe qui vient de faire l'objet de la discussion précédente, c'est-à-dire le principe de la perpétuité en matière de propriété intellectuelle. En outre, comme nous ne nous faisons pas illusion au point de croire cette adoption prochaine, nous regarderions, comme travail prématuré, à la fois prétentieux et sans utilité sérieuse, un projet détaillé, et rigoureusement formulé en articles de loi. Au point où en sont les esprits sur cette matière, nous avons bien pu croire que la présentation d'un essai de théorie pouvait håter la maturité de l'opinion publique sur ces questions, et avancer l'époque de leur solution; mais il serait peu digne d'un esprit pratique de vouloir, quant à présent, aller au delà, et de songer qu'il est possible, d'ores et déjà, d'imposer et libeller la solution elle-même.

Les modifications qu'on peut regarder comme la conséquence logique de notre théorie peuvent donc se réduire aux suivantes :

1o La déclaration de perpétuité;

2o L'établissement des règles de la prescription ; 3o L'établissement des règles de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

SI
Perpétuité.

Quant au premier point, il est bien évident que, si les principes que nous avons posés sont vrais, la propriété intellectuelle doit avoir la même durée que la propriété ordinaire, c'est-à-dire qu'elle doit être perpétuelle.

Les adversaires de la propriété dont nous demandons la consécration ont vu de grands dangers pour l'intérêt public, précisément dans cette proclamation de perpétuité. Ils ont allégué que le progrès industriel serait arrêté, que la diffusion des ouvrages utiles serait amoindrie, que le prix des livres ou des instruments se trouverait élevé outre mesure, etc.

Aucune de ces craintes n'est fondée, et nos adversaires peuvent se rassurer complétement. La perpétuité est, il est vrai, de l'essence de la propriété; mais où sont, au point de vue individuel, les propriétés réellement perpétuelles? Les meubles se détériorent et se détruisent par l'usage; les rentes sont rachetables, les édifices s'écroulent, les prescriptions, les déshérences mettent fin à la propriété foncière elle-même.

Quant aux propriétés intellectuelles, hélas! toutes ont, suivant leurs différentes espèces, des chances diverses et inévitables d'extinction. Combien d'ouvrages antiques aujourd'hui perdus! combien peu d'ouvrages modernes iront vraisemblablement à la postérité! Dans tous les cas, ils y parviendront, comme ceux d'Homère, de Virgile, d'Horace, de Tacite, de Montaigne, de Molière, et de quelques auteurs plus récents encore, au profit seulement de l'humanité, mais sans qu'aucun descendant de ces hommes illustres survive pour réclamer le prix des éclatants services rendus par son glorieux ancêtre. Où sont les œuvres de Xeuxis et de Praxitèle? Où seront, dans quelques siècles, les chefs-d'œuvre du divin Raphaël? Où sont ses héritiers? Quant à l'industrie, c'est mieux ou pire encore. Est-ce qu'une découverte n'est pas bientôt distancée ou supplantée par une découverte nouvelle? Est-ce qu'une machine, considérée aujourd'hui comme un progrès sur les appareils anciens, ne sera pas demain menacée, puis plus tard détrônée par la concurrence d'une mécanique analogue, regardée comme meilleure ou plus économique? Croyez-vous qu'avec la perpétuité Quinquet ferait aujourd'hui fortune en présence de Carcel ou de Franchot? L'inventeur des réverbères continuerait-il de fournir la ville de Paris? Et ne savez-vous pas que les manipulateurs de l'électricité, ou simplement des résidus de la houille, réveillent déjà les craintes des puissantes compagnies privilégiées de l'éclairagelau gaz?

Quant au renchérissement des livres ou des produits de l'industrie, qu'on se rassure encore; ce qui se passe sous nos yeux pour les ouvrages des auteurs contemporains est de nature à calmer toutes les craintes. Nous voyons les ouvrages des écrivains les plus célèbres pu

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