mais seulement comme moyen transitoire, comme expédient, en attendant la consécration définitive du vrai principe; nous ne saurions comprendre et admettre autrement les brevets d'exploitation. L'expropriation pour utilité publique ne peut avoir lieu qu'à la condition d'une juste et préalable indemnité; cette indemnité devra être évaluée par un jury spécial. Rien de plus facile assurément que de composer ce jury, sur une liste de tous les notables de l'art, de la science, des lettres, du commerce et de l'industrie, divisés en groupes spéciaux, tels que savants, artistes, industriels, écrivains, etc.; lesquels pourront se subdiviser et se réunir suivant la spécialité ou la complexité des affaires soumises au jury. Voilà tout ce que nous voulions dire sur les modifications directement et nécessairement entraînées, comme inévitables conséquences, par nos prémisses. Cependant ces derniers détails, relatifs à la constitution d'un jury spécial en matière de propriété intellectuelle, nous amènent trop naturellement à songer à deux autres questions intéressantes, bien que secondaires, il est vrai, au point de vue du présent travail, pour qu'il ne nous soit pas permis d'en dire deux mots avant de finir. Il s'agit de l'examen préalable en matière d'inventions, et d'une juridiction spéciale pour les affaires contentieuses relatives aux brevets. S IV. Examen préalable. Cette question a été, elle est encore l'objet d'une trèsvive controverse parmi les partisans les plus déclarés de la propriété intellectuelle. Les uns y voient un immense danger; les autres un grand bienfait pour les inventions. Ceux-ci proclament l'examen préalable comme la perte, ceux-là comme le salut des brevetés. Parmi les premiers, se trouve l'auteur du monautopole; parmi les seconds, un homme non moins compétent, consommé dans la pratique légale et industrielle des brevets, M. Gardissal, le directeur du journal l'Invention. Quant à nous, sans partager au même degré les craintes ou les espérances, un peu exagérées que l'on manifeste dans les deux camps opposés, nous croyons cependant que l'examen préalable, avec certaines précautions et dans certaines limites, peut faire disparaître les inconvénients, assurément très-graves, du système actuel de brevets sans garantie aucune, et qu'il peut parfaitement s'allier avec la reconnaissance la plus entière du droit de propriété intellectuelle. En effet, le désavantage que la propriété intellectuelle peut présenter dans beaucoup de cas, au regard de la propriété ordinaire, c'est l'incertitude de limites notoires, c'est cette absence de clôture qui attire les pillards et les esprits contentieux; il n'en résulte pas seulement un mal individuel pour les inventeurs, dont la propriété, basée sur des titres vagues et sans garantie, trouve si difficilement des capitaux, et rencontre si aisément des procès; il y a aussi préjudice social dans cet incessant état de lutte, et dans la stagnation de tant d'industries, dont l'exploitation sérieuse et paisible enrichirait la société. Si bien que les mêmes motifs qui ont, en matière de propriété ordinaire, porté le législateur de tous les temps, chez toutes les nations civilisées, à prescrire les clôtures, à autoriser le bornage et la délimitation à frais communs pour les héritages voisins ou bordant la voie publique, ces motifs s'appliquent avec toute leur force à la propriété intellectuelle. Qu'on puissedonc toujours, qu'on doive même soumettre d'abord son titre à l'examen, que toute invention soit préalablement délimitée, que les bornes soient apposées, les clôtures ordonnées par des juges compétents, contradictoirement avec le propriétaire et avec tous tiers opposants et intervenants, nous ne voyons rien à redire à cela. Malgré tout ce qu'on a pu objecter touchant les inconvénients et les abus que peut entraîner l'examen préalable tel qu'il est pratiqué en Prusse, et même tel qu'il s'exerce dans la libérale Amérique, cet examen préalable ne nous présente rien de plus dangereux ou de plus difficile que l'examen ultérieur auquel l'inventeur est obligé de recourir toutes les fois qu'il poursuit un contrefacteur, ou qu'un contrefacteur l'attaque en nullité ou déchéance de brevet; et tout inventeur sait combien de fois il est obligé de se soumettre à cet examen. D'ailleurs, nous n'admettrions pas que cette action de limitation et de bornage pût jamais avoir pour résultat immédiat un jugement absolu sur l'existence de la propriété elle-même. Dans le cas où l'opinion du jury serait complétement négative et défavorable à l'inventeur, si celui-ci persiste dans sa prétention, on lui délivrera un brevet qui fera mention de l'avis du jury, et le breveté sera libre d'exploiter et de défendre alors sa prétendue découverte, à ses risques et périls, devant la juridiction spéciale dont nous allons parler tout à l'heure. Au contraire, dans le cas d'une décision favorable, et après les formalités de publicité et les délais d'opposition, la propriété de l'inventeur qui aura subi heureusement ces épreuves se trouvera en même temps nettement définie et définitivement consacrée. Avec un pareil titre, celui qui en sera porteur pourra du moins solliciter avec confiance et chances réelles de succès les capitaux nécessaires pour l'exploitation de sa découverte; et les procès qu'il pourra intenter aux contrefacteurs, encore possibles, seront du moins désormais débarrassés des questions ardues de nouveauté et d'antériorité. Il n'y aura plus qu'à comparer les produits du breveté avec ceux du contrefacteur; s'il y a similitude, il y aura, par cela même, contrefaçon et condamnation. Nous voudrions enfin que les jurés fussent autorisés à se montrer très-larges sur l'appréciation de l'invention; et, prenant en considération la bonne foi possible de l'inventeur, à regarder dans beaucoup de cas, comme suffisamment nouvelle, une découverte non exploitée en France depuis un certain nombre d'années, et non clairement décrite en langue française ni dans des publications connues. Nous désirerions, en dernier lieu, qu'il : fût expressément interdit au jury de jamais s'arrêter au** peu d'importance de l'invention. $ V. Juridiction spéciale. Une juridiction spéciale pour les matières de propriété intellectuelle, artistique, littéraire, industrielle, industrielle au moins, nous paraît tout aussi désirable que la mesure de la délimitation préalable. Les tribunaux ordinaires ont, certes, fait preuve d'une grande et ferme intelligence générale en matière de propriété intellectuelle; la jurisprudence, qui a discuté et consacré tant de vrais principes, est là pour l'attester. Mais ce qui doit nécessairement manquer aux juges ordinaires les plus éclairés, ce sont les connaissances spéciales, théoriques et pratiques, si diverses, que demande la solution des difficultés industrielles. Si le commerce a depuis si longtemps exigé et obtenu une juridiction spéciale, pourquoi l'industrie, qui a pris de nos jours un développement si considérable, et qui s'accroît toujours, pourquoi n'obtiendrait-elle pas aussi une juridiction particulière? Il lui faut également des juges pris dans son sein, des sentences plus rapides et moins coûteuses que les jugements de droit commun. Cette liste des jurés (et ceci relie l'examen des deux dernières questions supplémentaires à l'examen de la question d'expropriation), telle que nous l'avons proposée pour les cas d'expropriation pour cause d'utilité pu |