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sens de la propriété perpétuelle, Barbier cite 4 comme très-curieuses les Lettres à un ami, qui sont de l'abbé Plaquet (in-8°, Londres 1777).

Les plaintes des libraires trouvèrent un écho au sein du Parlement. On osa y mettre en question la légalité des arrêts de 1777; elle y fut discutée, jugée et condamnée par un arrêt du 10 février 1779, confirmatif d'une sentence du Châtelet du 11 août 1778.

Renouard, qui mentionne ces décisions, en rend compte en ces termes 2 : « Le sieur Paucton, auteur d'un ouvrage intitulé : Métrologie, ou Traité des mesures, poids et monnaies de l'antiquité et d'aujourd'hui, avait vendu son manuscrit à la veuve Desaint, libraire, pour toujours et sans aucune réserve. La veuve Desaint refusa d'imprimer et se laissa assigner au Châtelet, où elle soutint que les nouveaux règlements, en limitant à dix années la durée de son privilége, avaient changé la loi de son contrat, lequel devait être résilié. Dans ce procès, probablement intenté d'accord entre les deux parties, le sieur Paucton fut défendu par Agier.

Ce savant jurisconsulte publia, en apparence contre la veuve Desaint, mais en réalité contre les arrêts de 1777, un Mémoire qui contient beaucoup de recherches sur la matière. « Le Châtelet, par sentence du 11 août 1778, ordonna l'exécution du traité; et, en conséquence que, sans s'arrêter aux clauses et conditions insérées aux lettres de privilége obtenués par le sieur Paucton, dans les termes du nouvel arrêt du Conseil, la veuve Desaint serait maintenue dans la propriété pleine et incommutable de l'ouvrage, et du droit exclusif de le faire imprimer et de le vendre; pour elle, ses hoirs et ayants cause, conformément au traité fait double entre les parties. Un arrêt contradictoire rendu par le Parlement, le 10 février 1779, confirma la sentence. »

1 Barbier, Dictionnaire des Anonymes.

• Renouard, loc. cit., p. 181.

Le même auteur ajoute : « Cet arrêt ne fut pas le seul appui que les plaintes des auteurs et des libraires trouvèrent dans le Parlement. Toutes les Chambres furent assemblées sur la provocation de d'Eprémesnil, qui déféra à la Cour les six arrêts du Conseil, et un arrêt du 23 avril 1779 ordonna qu'un compte serait rendu par les gens du roi. » Ce fut l'avocat général Antoine-Louis Séguier qui rendit ce compte, et son rapport ne dura pas moins de trois audiences. Il constate, entre autres choses, que les lois anciennes ont toujours été muettes sur la question de propriété des auteurs; toutes les lois ont supposé cette propriété, mais aucune ne l'a consacrée ; « cependant vous avez vu, dit-il, que jusqu'à la fin du dernier règne on a accordé des continuations de privilége à tous ceux qui étaient propriétaires du manuscrit original de l'ouvrage imprimé.

« Les continuations de privilége n'étaient pas seulement de pure tolérance, elles étaient aussi de justice. Il est difficile, en effet, de se persuader qu'en imposant la nécessité d'obtenir un privilége ou une simple permission, nos rois aient entendu dépouiller un auteur de la propriété d'un ouvrage dont il était le créateur. » Il conclut donc contre les règlements et en faveur de la perpétuité du droit de propriété littéraire.

Malgré tout, et sauf l'arrêt du Conseil du 30 juillet 1778, qui, par une interprétation favorablement extensive des précédents règlements, permit aux auteurs de faire imprimer leurs ouvrages et de les faire vendre pour leur compte, autant de fois qu'ils le jugeraient bon, par des libraires de leur choix, sans qu'on pût considérer ces actes comme des cessions de priviléges, sauf cette unique satisfaction donnée aux réclamations de l'opinion publique, les choses restèrent au même état jusqu'à la révolution.

On a dit que dans la mémorable nuit du 4 août 1789, où l'Assemblée nationale prononça l'abolition de tous les droits féodaux et de tous les priviléges, la propriété qui avait alors le mallreur de s'appeler privilége fut atteinte par ricochet et emportée avec tous les droits illégitimes dont cette séance consacra la destruction 4. Cela n'est point exact si on l'entend de la propriété littéraire elle-même, et n'est vrai qu'en ce qui concerne les prescriptions légales, les titres et les formes applicables à sa garantie. Et comme désormais cette propriété, quoique toujours subsistante en principe d'après le droit commun, paraissait cependant abandonnée sans protection suffisante, on porta la loi du 19 juillet 1793, dont nous parlerons tout à l'heure.

Cette absence momentanée, cet interrègne d'une législation spéciale sur le droit des auteurs fit naître un procès qui donna lieu de faire consacrer le principe que la propriété littéraire doit être considérée comme existant en vertu du droit commun, et en dehors de toute législation particulière ancienne ou nouvelle. En effet, un sieur Behmer était libraire à Deux-Ponts, avant que cette ville ne fût prise et réunie à la France. Il y vendait alors une édition contrefaite de l'Histoire naturelle de Buffon. En l'an II, les troupes de la République française occupèrent la ville de Deux-Ponts. L'imprimerie et la librairie de Behmer furent séquestrés et lui-même se trouva mis en état d'arrestation. Mais, plus tard, il fut remis en liberté et on lui rendit l'exploitation de son fonds de librairie, à la condition, qu'il remplit, de s'établir désormais dans la ville de Metz. Là, Behmer, continuant son commerce, reprit la vente des exemplaires de son édition contrefaite de l'Histoire naturelle.

1 V. Traité de la contref., par Et. Blanc, p. 244.

La veuve Buffon, avisée de ce fait, fit procéder à la saisie des exemplaires et poursuivit le libraire Behmer. Celui-ci, non-seulement excipa de son titre de propriété, de sa qualité de citoyen d'un pays réuni, de la force majeure, etc., mais il soutint, en outre, qu'un droit qui, comme celui des auteurs, est circonscrit par les lois, pour le temps et les lieux, ne saurait être un véritable droit de propriété, car la propriété est un droit absolu; son titre est essentiellement perpétuel; l'exercice en est respecté dans tous les pays civilisés. Behmer disait donc que ce qu'on appelait propriété littéraire n'était en réalité qu'une faveur particulière, qu'une exception au droit commun, un privilége; que le privilége de Buffon avait été anéanti avec tant d'autres par les lois des 4 et 20 août 1789; que la seule loi régissant la matière était, lors des poursuites, celle du 19 juillet 1793, laquelle ne disposait que pour l'avenir, et ne pouvait protéger les ouvrages des auteurs décédés.

Le 7 fructidor an VII, un jugement du tribunal civil de la Moselle accueillit d'abord ce dernier système et annula la saisie. Mais, sur le pourvoi de la veuve Buffon, la Cour de cassation 1 repoussa les prétentions de Behmer, et, attendu que les décrets du mois d'août 1789, qui ont aboli les priviléges et distinctions, et rendu la presse libre, n'ont aucun rapport avec la propriété acquise à l'auteur sur son ouvrage, le tribunal suprême cassa la sentence des juges du tribunal de Metz.

Nous ne connaissons à opposer aux principes ressortant de cet arrêt qu'une décision isolée du tribunal de commerce de Paris, du 21 octobre 1830, rapportée par M. Et. Blanc 2. L'éditeur Schlesinger avait acquis de Rouget de Lísle la propriété du chant national la Marseillaise. M. Pacini et quatorze autres éditeurs crurent pouvoir publier cette composition en concurrence avec le cessionnaire de l'auteur, et, sur la difficulté qui s'ensuivit, le tribunal de commerce statua en ces termes :

« Attendu que le chant de la Marseillaise est tombé depuis près de quarante ans dans le domaine public; qu'il a été imprimé et vendu à une époque où aucune loi ne donnait le droit de propriété aux auteurs, autorise les quinze éditeurs à continuer de vendre le chant de la Marseillaise, paroles et musique. >>>

Avant d'aller plus loin, c'est ici, ce nous semble, l'occasion de mentionner que cette opinion, consistant à

1 V. Sirey-Devilleneuve, t. I, p. 851.

Loc. cit., p. 329.

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