une telle matière paraîtra peut-être une grande audace de notre part; mais, si quelques personnes peuvent être tentées de n'y voir que de la prétention, d'autres, nous l'espérons, y reconnaîtront quelque courage. Il en faut toujours, en effet, pour aborder le côté théorique des questions; les abstractions sont mal vues; les prudents et les habiles, les sages si l'on veut, se tiennent assez communément sur le terrain des faits et laissent de côté les principes, sans chercher à les tirer de leurs nuages; mais, sur ce point, nous sommes de l'avis d'un savant magistrat, l'un des principaux adversaires de notre thèse (M. Renouard, Traité des droits d'auteurs, t. I, p. 440 et 441), qui, avant d'aborder le même sujet, ne craignait pas de dire : « C'est parce qu'on se laisse << aller à éluder la discussion des principes fonda<< mentaux que les questions restent confuses, que « les lois, rédigées comme au hasard et sans une « pensée d'ensemble, se prêtent à toutes les argu<<< mentations, que la jurisprudence flotte sans bous<< sole. Non, de tels débats ne sont pas oiseux. L'é« tude de la législation resterait incomplète si l'on << se contentait de copier les textes qu'elle entasse, « ou même de déterminer les résultats qu'il lui est << utile d'obtenir; et quelque chose manque à la sa<< tisfaction de l'intelligence et à la sûreté logique des << raisonnements, aussi bien qu'à la plénitude de la << conviction, tant que l'on néglige de remonter « jusqu'à la vue des principes, et de redescendre « ensuite la série de leurs conséquences. » Au surplus, en ce qui nous concerne, nous pensons que la difficulté même de l'entreprise pourra faire accorder quelque sympathie à nos efforts et leur servir d'excuse en cas d'insuccès. Nous avons donc abordé résolûment la discussion; et afin que le lecteur sache tout de suite où nous entendons le conduire, nous dirons immédiatement que, dans notre pensée, et quant aux principes fondamentaux, il n'y a aucune raison valable pour maintenir une différence entre la propriété intellectuelle et la propriété ordinaire, matérielle, celle des terres, des maisons, des meubles, etc. Par conséquent, ce n'est rien de moins que la théorie de la propriété ordinaire elle-même que nous aurons à examiner tout d'abord. Nous en rappellerons, nous en justifierons les véritables principes d'après les plus saines données de la philosophie, du droit et de la science économique. Après quoi, nous appliquerons ces principes à la propriété intellectuelle, en démontrant l'identité de celle-ci avec la première; nous réfuterons ensuite les principales objections qui se sont produites contre cette assimilation; et enfin, nous indiquerons sommairement, par application des principes par nous posés, quelques-unes des plus importantes modifications qu'on pourrait faire subir, progressivement, à la législation actuelle sur les droits des inventeurs, des artistes et des écrivains. Notre travail aura donc une division naturelle en quatre parties principales, qui seront : 1o L'introduction historique, précédemment publiée dans le journal le Droit. 2o L'établissement théorique des principes de la propriété matérielle et intellectuelle. 3o L'examen et la réfutation des objections. 4o L'indication des modifications législatives nécessaires. Il ne nous reste plus qu'à donner quelques mots d'explication sur chacune de ces divisions. Quant à la partie historique, nous la reproduisons telle qu'elle a été insérée dans le Droit en 1853; nous avons jugé inutile d'y ajouter ce qui pouvait concerner spécialement la propriété industrielle et artistique. Les faits qui ont rapport aux droits des artistes et des inventeurs sont plus récents, moins nombreux et, partant, mieux connus que les précédents relatifs au droit des écrivains. La propriété littéraire a plus de racines dans le passé : c'est l'aînée, législativement parlant, des propriétés intellectuelles; son histoire est la plus complète, et c'est pour cela que nous l'avons choisie de préférence comme type de toutes les autres. Sans doute, il y aurait aussi un travail intéressant à faire sur celles-ci; bien des faits curieux pourraient s'y trou ver rassemblés; mais une telle extension du travail que nous avions projeté en eût dépassé et rompu le cadre. Nous ne voulions prendre à l'histoire que ce qu'il en fallait pour appuyer notre théorie et pour servir de réfutation à l'une des objections que nous devions rencontrer ultérieurement, la première, sous nos pas, lors de la discussion générale; nous n'entendions pas nous adresser à une curiosité, assurément très-éclairée et bien légitime, mais à la réflexion. C'était moins l'histoire que la philosophie des propriétés intellectuelles qu'il s'agissait d'étudier, et, nous le répétons, à ce point de vue, l'essai publié en 1853 nous a paru suffisant. Les deux livres ou chapitres relatifs à l'exposition des principes de la propriété dite ordinaire, à son assimilation avec la propriété dite intellectuelle, et à la réfutation des objections proposées contre cette assimilation, chapitres qu'on doit considérer comme le cœur même de notre modeste ouvrage, paraîtront peut-être à certaines personnes, au premier abord, et malgré tous nos efforts pour en atténuer l'indispensable abstraction, d'une lecture quelque peu pénible; mais, autant que nous le pouvons faire convenablement nous-même, nous les engageons à persister, à relire une seconde fois, au besoin, les premières pages, et nous sommes convaincu (sans cette conviction nous n'eussions rien écrit), nous avons la persuasion que notre pensée sera comprise et que les lecteurs courageux seront récompensés de leur peine par l'acquisition d'une vérité, que soupçonne depuis longtemps la conscience des peuples, mais qui n'avait probablement pas été présentée encore avec un degré suffisant d'évidence. Il était assurément difficile de n'être pas un peu technique et abstrait en pareille matière, mais nous avons fait de notre mieux pour être clair cependant, et nous n'avons pas perdu de vue cette parole d'un philosophe, rappelée par l'illustre Arago à l'ouverture de son cours d'astronomie, le 15 mai 1841 : « La clarté est la politesse de ceux qui parlent au public; » et comme le grand vulgarisateur de la mécanique céleste, nous avons fait tous nos efforts pour qu'on ne nous trouve pas impoli. Dans le quatrième et dernier chapitre, contenant l'indication des modifications législatives, nous avons eru devoir nous borner à signaler sommairement celles-là seulement qui nous ont semblé la conséquence nécessaire et la plus immédiate de l'acceptation de notre théorie de la propriété intellectuelle, rejetant, comme excédant les limites naturelles de notre plan, les modifications qu'il était permis d'appeler secondaires. En second lieu, nous n'avons pas voulu formuler en termes absolus, en articles, ces changements par nous proposés; - car, si nous avons une foi entière dans la justesse des principes que nous avons déve |