réalisée par le concours de cette peine et de la nature. Il la prend pour autrui; en ce cas, il stipule en retour la cession d'une peine équivalente servant aussi de véhicule à de l'utilité, et le résultat nous montre deux peines, deux utilités, qui ont changé de mains, et deux satisfactions. Mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que la transaction s'accomplit par la comparaison, par l'évaluation, non des deux utilités (elles sont inévaluables), mais des deux services échangés. Il est donc exact de dire qu'au point de vue personnel, l'homme, par le travail, devient propriétaire de l'utilité naturelle (il ne travaille que pour cela), quel que soit le rapport, variable à l'infini, du travail à l'utilité. Mais, au point de vue social, à l'égard les uns des autres, les hommes ne sont jamais propriétaires que de la valeur, laquelle n'a pas pour fondement la libéralité de la nature, mais le service humain, la peine prise, le danger couru, l'habileté déployée pour recueillir cette libéralité. En un mot, en ce qui concerne l'utilité naturelle et gratuite, le dernier acquéreur, celui à qui doit aboutir la satisfaction, est mis, par l'échange, exactement au lieu et place du premier travailleur. Celui-ci s'était trouvé en présence d'une utilité gratuite qu'il s'est donné la peine de recueillir; celui-là lui restitue une peine équivalente, et se substitue ainsi à tous les droits: l'utilité lui est acquise au même titre, c'est-à-dire à titre gratuit, sous la condition d'une peine. Il n'y a là ni le fait, ni l'apparence d'une interception abusive des dons de Dieu. Ainsi j'ose dire que cette proposition est inébranlable : « A l'égard les uns des autres, les hommes ne sont propriétaires que de valeur, et les valeurs ne représentent que des services comparés, librement reçus et rendus. » Puis, appliquant ces principes à la propriété foncière, Bastiat fait voir clairement que la terre donnée gratuitement aux hommes par Dieu, pour les aider à la satisfaction de leurs besoins, reste toujours gratuite à travers les ventes et les échanges; que ce qui est payé dans de semblables transactions, c'est seulement ce qui peut être considéré comme services rendus par le travail antérieur, seule valeur échangeable annexée au sol, mais ne se confondant pas avec lui au point de changer sa nature essentiellement inévaluable et providentiellement gratuite. - Mais c'est dans Bastiat lui-même qu'il faut lire les magnifiques développements par lesquels il arrive à cette démonstration, ainsi qu'à l'affirmation logique de la grande Harmonie économique, en conséquence de laquelle «la propriété, juste et légitime en soi, parce qu'elle correspond toujours à des services, tend sans cesse à transformer l'utilité onéreuse en utilité gratuite.-<< Elle est, dit l'auteur, cet aiguillon qui force l'intelligence humaine à tirer de l'inertie des forces naturelles latentes. Elle lutte, à son profit sans doute, contre les obstacles qui rendent l'utilité onéreuse; et, quand l'obstacle est renversé dans une certaine mesure, il se trouve qu'il a disparu dans cette mesure au profit de tous. Alors l'infatigable propriété s'attaque à d'autres obstacles, et ainsi de suite et toujours, élevant sans cesse le niveau humain, réalisant de plus en plus la communauté et avec elle l'égalité au sein de la grande famille. >>> Locke avait déjà vaguement pressenti cette gratuité des choses naturelles, de la terre, et presque saisi, lui aussi, cette vérité, que toute valeur provient exclusivement, par voie directe ou indirecte, du travail, de la prestation d'un service. - « Si nous voulions, disait-il, priser au juste les choses conformément à l'utilité que nous en retirons, considérer ce qui appartient purement à la nature et ce qui appartient précisément au travail, nous verrions, dans la plupart des revenus, que 99 centièmes doivent être attribués au travail. » - Bastiat est venu pour compléter ce compte et porter la part du travail aux 100 centièmes! Mais c'est assez de citations. Le point présentement en question a peut-être un peu moins d'intérêt au point de vue de la propriété intellectuelle que pour la propriété ordinaire. - Il en reste pourtant une considération importante que nous voulons retenir, et qui reviendra lors de l'examen des objections faites à l'assimilation, quant aux principes fondamentaux, de ces deux genres de propriétés, à savoir, ceci : En définitive, toute valeur échangeable, sociale, toute propriété en un mot, n'est que le résultat de la prestation d'un service. Et la valeur (la propriété) n'est pas dans la matérialité des choses; - la matérialité est une qualité donnée par la nature, et par conséquent gratuite. L'action humaine (l'effort), qui ne peut jamais arriver à créer de la matière, constitue seule de l'utilité, si la peine est prise pour le travailleur lui-même, ou de la valeur (de la propriété), si le service est rendu ou peut être destiné à un autre homme. - Nous disons ou destiné, car bien évidemment pour qu'il y ait valeur échangeable (propriété), il n'est pas nécessaire que l'échange soit présentement effectué, il suffit que cette transaction soit possible. S VI. Exceptions au principe de perpétuité. Au principe de perpétuité de l'appropriation existent cependant deux exceptions : La prescription; L'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais si la première fait cesser la possession, sans compensation pour le propriétaire primitif, la seconde n'est, à vrai dire, qu'un échange forcé, car la société indemnise le propriétaire par une valeur équivalente à celle qu'il abandonne. Ces deux exceptions naissent de ce principe que si Dieu a donné à l'homme certaines facultés et certains droits qui doivent servir à la conservation de l'individu, Dieu a voulu, en même temps, que l'exercice de ces facultés et de ces droits eût lieu en vue de l'utilité générale. L'homme, en effet, comme nous l'avons dit en commençant, n'est pas né pour l'isolement, mais pour l'état social. Tous les membres de la famille humaine sont unis par le lien providentiel de la solidarité; et cet abandon, précédemment signalé, fait à chaque appropriant primitif par la communauté originelle, et l'assentiment, et la protection de tousaccordés à chacun, ne peuvent être raisonnablement supposés qu'en leur donnant également ce double motif du bien individuel et de l'avantage général. Si donc un individu, un appropriant, un possesseur substitué aux droits de l'appropriant primitif, néglige l'exercice de son droit assez longtemps pour causer préjudice à l'intérêt général, en faisant rentrer dans la classe des res nullius les objets susceptibles d'utilité, et manque ainsi aux conditions de son titre, on doit supposer tout à la fois et sa renonciation et la rétractation légitime de l'assentiment universel, lequel peut non moins légitimement se reporter alors vers un nouvel occupant, qui reprend, pour son propre compte, les conditions du divin contrat, et vient, comme dit énergiquement et philosophiquement la législation musulmane, révivifier le terrain abandonné. « Si l'on est bien pénétré, dit M. Eugène Ortolan, dans l'ouvrage remarquable qu'il a publié, en 1851, sur le domaine international (no 178); si l'on est bien pénétré des vérités premières d'où la raison humaine a fait sortir la reconnaissance du droit de propriété; si l'on a bien compris que le fondement de ce droit n'est rien autre que le respect dû par tous à l'action de l'homme sur les choses susceptibles d'être appropriées aux besoins de notre existence; que, sous l'apparence d'une attribution exclusive, il n'y a dans ce droit qu'un moyen nécessaire de faire remplir à l'homme sa destinée, aux choses leur utilité, et de satisfaire à l'intérêt général par le ressort de l'intérêt privé; enfin, que l'idée du droit cesse du moment qu'on se place en dehors de ces conditions, on en conclura logiquement que le droit de pro |