étaient renversés du premier coup de poing qu'ils recevaient. Les assistans regardaient ces combats avec un certain respect, et tous n'y étaient pas indifféremment admis. Des femmes, celles sur-tout qui servaient la reine, assistèrent à cette fête. Je les trouvai tout autres qu'elles ne m'avaient paru jusqu'alors je ne les avais pas jugées désagréables; mais, ce jour, elles s'étaient parées de leurs plus beaux atours, ayant leurs mantes bien repliées et assujetties par un nœud sur le côté gauche, portant des chapelets à gros grains de verre à leur cou, les cheveux bien arrangés, le corps lavé et parfumé d'une huile dont l'odeur était assez suave, et la peau si propre qu'elles n'auraient pu y souffrir le plus léger grain de sable; elles fixèrent toute mon attention, et me parurent beaucoup plus belles. Le roi commanda que les femmes se battissent au poing comme les hommes; elles le firent avec tant d'acharnement, qu'elles ne se seraient pas laissé une dent, si de temps en temps on ne les eût séparées. Ce spectacle me toucha l'ame; je priai le roi de mettre fin au combat il accéda à ma prière, et tous célébrèrent la compassion que j'avais eue de ces jeunes demoiselles. : Le tubou fit ensuite chanter une vieille femme qui portait au cou une burette d'étain: elle ne cessa de chanter pendant une demiheure, accompagnant son chant d'actions et de gestes qui auraient pu la faire prendre 1781. Mars. 1781. Mars. pour une actrice déclamant sur un théâtre. Enfin le jeu se termina, et nous retournâmes à la maison du roi. J'y trouvai la reine, qui me reçut avec les marques accoutumées de sa bienveillance : je lui demandai pourquoi elle n'avait pas assisté à la fête; elle me répondit que ces sortes de combats lui déplaisaient. Les nœuds de notre amitié ainsi resserrés, de manière que le tubou m'appelait son hoxa, c'est-à-dire son fils, je pris congé de lui et de la reine, et je retournai m'embarquer. La plage était toute couverte d'Indiens, qui faisaient mille caresses à mes gens sur ce qu'ils avaient bien voulu assister à leur fête. Les vainqueurs même me prirent sur leurs épaules et me placèrent dans la chaloupe. Le tubou, qui de sa maison voyait cette multitude, et qui savait combien je souffrais lorsque les Indiens se mêlaient avec mes gens, ordonna à ses capitaines de poursuivre ces insulaires; et il entra lui-même en une telle colère, qu'il sortit avec un gros bâton, frappant tous ceux qui tombaient sous sa main. Tous se sauvèrent dans le bois deux, plus maltraités que les autres furent laissés comme morts sur la place; j'ignore s'ils se sont rétablis. Rien ne me manquait plus pour mettre à 13. la voile; ce que je résolus de faire le 13: mais un coup de vent du nord et du nord-ouest qui s'éleva ce même jour, et qui enfilait presque directement le canal par lequel il me fallait sortir, ne me le permit pas. Le vent forçait Mars de plus en plus, et cependant à notre mouillage la mer était à peine un peu plus agitée 1781. qu'à l'ordinaire; malgré cela, et nonobstant trois amarres sur lesquelles je me soutenais, gros câble manqua, et je restai avec l'espérance et la troisième ancre. le I Le 15, le vent s'était radouci; mais lorsque je manœuvrais pour appareiller, le câble de l'espérance se rompit, de sorte que, pour me soutenir, je n'avais plus d'autre ressource que la troisième ancre. Ces accidens, joints aux traverses que j'avais éprouvées dans le cours de ma navigation, me déconcertaient. Tous mes câbles étaient pourris, ainsi que les drisses, écoutes, amures, bras, balancines, en un mot toutes les manoeuvres. Ce mauvais état de mes agrès me laissait dans la triste attente de perdre la seule ancre qui me restait; et le cas arrivant, je ne pouvais plus qu'envisager ma perte comme certaine dans ces climats éloignés. Pour remédier au plus pressé, je fis porter un câble sur une roche voisine; il servit à me soutenir conjointement avec celui de l'ancre qui me restait. J'employai aussi du monde pour tâcher de découvrir et de relever les › C'est le nom d'une ancre en Espagne. 2 Je passe ici un long détail des avaries des manœu vres, et une kyrielle de complaintes de l'auteur; tout cela n'amuserait pas le lecteur d'ailleurs il y a beaucoup de fautes dans le manuscrit. 15. 1781. Mars. 16. 18. deux ancres perdues: on travailla vingt-quatre heures, mais inutilement; l'eau était trop profonde. Les peines qui me tourmentaient ne me permirent pas d'accéder à une invitation, que me fit le tubou, d'assister à une fête semblable à celle qu'il m'avait déja donnée mais ce prince, qui m'appelait son fils, et qui sans doute m'aimait comme si je l'eusse réellement été, n'oublia pas de m'envoyer tous les soirs deux paniers de patates, quelques poules et du poisson. Il me fit porter toute la grande quantité de provisions qu'il avait pu rassembler pour cette nouvelle fête : il vint plusieurs fois sur la frégate; il y dîna souvent avec moi; il faisait ensuite la sieste à bord. Le 16, j'essayai de partir le vent étant contraire, je courus des bordées; et quoique le courant contrariât aussi ma route, et que le goulet fût si étroit qu'il laissait à peine assez d'espace pour revirer de bord, je me trouvai, à la dernière bordée, au vent de toutes les pointes mais une furieuse rafale qui venait de notre avant, me rejeta sur les roches entre lesquelles je naviguais. Je me vis plus embarrassé que jamais je n'eus d'autre parti à prendre que de retourner à mon ancien port, de laisser tomber l'ancre, et de porter promptement un câble à terre, pour me soutenir du mieux qu'il m'était possible. Le 18, j'envoyai mon premier pilote dans la chaloupe pour sonder un autre canal, abrité, il est vrai, par plusieurs isles, mais qui, Mars. malgré cela, paraissait nous promettre un débouquement facile, par le vent qui régnait 1781. alors. Le pilote, de retour, nous assura que dans tout ce canal le fond était bon, libre de toute batture, le passage assez largé pour courir des bords, s'il était nécessaire. Je me disposai donc à sortir le 19; et ce jour-là, à deux heures du soir, j'avais paré toutes les isles: c'est ce que je pouvais alors desirer de mieux. Les Indiens et le tubou ne s'attendaient pas à cette séparation; elle leur fut, sans doute, très-sensible le roi et la reine prirent congé de moi avec les plus grandes démonstrations de tristesse; et les Indiens, dans leurs canots, nous accompagnèrent jusqu'à ce que nous fussions hors de leur archipel.. Ce port, que je nommai port du Refuge, est formé par trois isles assez grandes, et par beaucoup d'autres plus petites. Je donnai à tout le groupe le nom de don Martin de Mayorga. Le port est situé par 18d 36' sud, et par 179d 52' à l'orient de Paris. On y trouve en tout temps le plus favorable abri : les vents souffleraient en vain avec la plus grande furie, la mer n'y serait pas moins tranquille; l'ouragan même y est sans force. Lorsque l'on embouque entre ces isles, soit par le canal du nord-ouest, soit par celui du sud-ouest, on est sur cinquante à cinquantecinq brasses, fond de cailloutage ou de gravier: ce même fond vous conduit jusqu'au centre du golfe, à deux encablures de la terre, et |