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PRÉFACE

DU RÉDA CTE U R.

LE public, accoutumé à l'idée pénible de la perte qu'a dû entraîner celle des deux bâtimens de l'expédition malheureuse commandée par la Pérouse, sera surpris de la publication du journal de son voyage. Le décret de l'Assemblée constituante qui a ordonné l'impression des cartes et mémoires envoyés par ce navigateur, à dû cependant annoncer que nous n'étions pas entièrement privés du fruit de sa campagne. Sa prévoyance lui fit non seulement saisir, mais chercher les occasions d'envoyer ses journaux en Europe. Il eût été à souhaiter que l'amourpropre des savans embarqués avec lui leur eût permis de se détacher de même du fruit de leurs travaux; nous n'aurions pas à en regretter la perte presque totale.

La Pérouse, livré aux détails difficiles et nombreux qu'entraînait le commandement d'une expédition aussi importante que périlleuse, forcé à chaque pas de juger et de prévoir, par conséquent de modifier ses idées suivant les circonstances, ne pouvait recueillir avec ordre ni rédiger avec méthode les matériaux qui devaient lui servir un jour à écrire l'histoire de son voyage. Ces matériaux ont dû paraître encore plus informes aux yeux d'un rédacteur étranger à cette campagne.

Rien de ce qui peut servir à étendre les progrès de l'esprit humain ne devant être négligé dans les voyages de décou vertes, des savans et des artistes font essentiellement partie de ces expéditions: à leur retour, chacun met en ordre ses matériaux, et donne à l'objet particulier de son travail le degré de perfection dont il le croit susceptible; de la réunion bien entendue de ces diverses parties, résulte

une relation complète, où tout est lié et où tout est à sa place. Ici, par une fatalité sans exemple, nos nouveaux Argonautes ont tous péri; et seul il m'a fallu suppléer, en rassemblant ce qui a pu échapper au naufrage, la touche vraie et forte des voyageurs, qui n'auraient rien dit qu'ils n'eussent eux-mêmes éprouvé.

En cédant, non sans peine, aux sol licitations qui m'ont fait entreprendre cette tâche pénible quoiqu'honorable, je ne me suis point dissimulé les difficultés que je devais rencontrer dans un travail dont il était difficile d'embrasser également toutes les parties.

Le public regrettera sans doute, avec moi, que l'ex-ministre de la marine Fleurieu, aujourd'hui membre de l'Institut national et du bureau des longitudes, savant d'un mérite rare et distingué, qui avait bien voulu se charger d'abord de la rédaction de cet ouvrage, ait été forcé par les circonstances de l'abandonner.

Le même intérêt qui m'avait fait manifester, à la tribune de l'Assemblée constituante, le plus grand zèle pour la publication de ce voyage au profit de l'estimable veuve de la Pérouse, me fit chercher à diriger le choix du gouvernement sur un marin capable de remplacer celui qui avait été d'abord nommé pour le rédiger mais la France avait déja perdu, en grande partie, les officiers de la marine les plus distingués; et les autres étaient employés, ou s'étaient éloignés volontairement. Le ministre ne put que jeter les yeux sur quelqu'un qui eût du moins fait une étude des sciences exactes et naturelles, base essentielle d'un tel ouvrage. Le choix d'un homme qui possédât préférablement ces connaissances, était d'ailleurs conforme à l'intention de la Pérouse; car il écrivait à un de ses amis à peu près en ces termes : « Si l'on imprime mon journal avant mon retour, que l'on se garde, bien d'en confier la

rédaction à un homme de lettres : ou il voudra sacrifier à une tournure de phrase agréable le mot propre qui lui paraîtra dur et barbare, celui que le marin et le savant préféreraient et chercheront en vain; ou bien, mettant de côté tous les détails nautiques et astronomiques, et cherchant à faire un roman intéressant il commettra, par le défaut de connaissances que son éducation ne lui aura pas permis d'acquérir des erreurs, qui deviendront funestes à mes successeurs: mais choisissez un rédacteur versé dans les sciences exactes, qui soit capable de calculer, de combiner mes données avec celles des autres navigateurs, de rectifier les erreurs qui ont pu m'échapper, de n'en point commettre d'autres. Ce rédacteur s'attachera au fond; il ne suppri mera rien d'essentiel; il présentera les détails techniques avec le style âpre et rude, mais concis, d'un marin; et il aura bien rempli sa tâche en me suppléant, et

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