avoir été remplie jusqu'à présent : espérons que la remarque qui en est faite, rendue publique, produira l'effet attendu, ou qu'elle engagera ce gouverneur à faire connaître si la compagnie d'Hudson, qui redoute qu'on ne s'immisce dans ses affaires et son commerce, s'est opposée à sa publication *. L'époque du rétablissement de la paix avec l'Angleterre en 1783 termina cette campagne. L'infatigable la Pérouse ne jouit pas d'un long repos; une plus importante campagne l'attendait: hélas! ce devait être la dernière. II était destiné à commander l'expédition projetée autour du monde en 1785, dont les préparatifs se faisaient à Brest. Je ne me conformerai point à l'usage, en indiquant d'avance la route que notre navigateur a parcourue dans les deux hémisphères, les côtes et les isles qu'il a explorées ou re'connues dans le grand Océan, les découvertes qu'il a faites dans les mers d'Asie, et les services importans qu'il a rendus à la géographie: je fais ce sacrifice au lecteur, dont la curiosité veut être plutôt excitée que prévenue, et qui aimera mieux sans doute suivre dans sa course le voyageur lui-même. * L'anecdote qu'on vient de lire m'était inconnue, lorsque j'ai écrit la note qu'on verra, tome II, page 246. Jusqu'ici je n'ai considéré dans la Pérouse que le militaire et le navigateur : mais il mérite également d'être connu par ses qualités personnelles; car il n'était pas moins propre à se concilier les hommes de tous les pays, ou à s'en faire respecter, qu'à prévoir et à vaincre les obstacles qu'il est donné à la sagesse humaine de surinonter. Réunissant à la vivacité des habitans des pays méridionaux un esprit agréable et un caractère égal, sa douceur et son aimable gaieté le firent toujours rechercher avec empressement: d'un autre côté, mûri par une longue expérience, il joignait à une prudence rare cette fermeté de caractère qui est le partage d'une ame forte, et qui, augmentée par le genre de vie pénible des marins, le rendait capable de tenter et de conduire avec succès les plus grandes entreprises. D'après la réunion de ces diverses qualités, le lecteur, témoin de sa patience rigoureuse dans les travaux commandés par les circons tances, des conseils sévères que sa prévoyance 1 lui dictait, des mesures de précaution qu'il prenait avec les peuples, sera peu étonné de la conduite bienfaisante et modérée autant que circonspecte de la Pérouse à leur égard, de la confiance, quelquefois même de la déférence qu'il témoignait à ses officiers, et de ses soins paternels envers ses équipages: rien de ce qui pouvait les intéresser, soit en prévenant leurs peines, soit en procurant leur bien-être, n'échappait à sa surveillance, à ses sollicitudes. Ne voulant pas faire d'une entreprise scientifique une spéculation mercantille, et laissant tout entier le bénéfice des objets de traite au profit des seuls matelots de l'équipage, il se réservait pour lui la satisfaction d'avoir été utile à sa patrie et aux sciences. Secondé parfaitement dans ses soins pour le maintien de leur santé, aucun navigateur n'a fait une campagne aussi longue, n'a parcouru un développement de route si étendu, en changeant sans cesse de climat, avec des équipages aussi sains, puisqu'à leur arrivée à la nouvelle Hollande, après trente mois de campagne et plus de seize mille lieues de route, ils étaient aussi bien portans qu'à leur départ de Brest, Maître de lui-même, ne se laissant jamais aller aux premières impressions, il fut à portée de pratiquer, sur-tout dans cette campagne, les préceptes d'une saine philosophie, amie de l'humanité. Si j'étais plus jaloux de faire son éloge, nécessairement isolé et incomplet, que de laisser au lecteur le plaisir de l'apprécier par les faits entourés de toutes leurs circonstances, et de le juger par l'ensemble de ses écrits, je citerais une foule de passages de son journal, dont le caractère et le tour, que j'ai précieusement conservés, peignent fidèlement l'homme: je le montrerais sur-tout s'attachant à suivre cet article de ses instructions, gravé dans son cœur, qui lui ordonnait d'éviter de répandre une seule goutte de sang; l'ayant suivi constamment dans un aussi long voyage, avec un succès dû à ses principes; et, lorsqu'attaqué par une horde barbare de sauvages, il eut perdu son second, un naturaliste et dix hommes des deux équipages, malgré les moyens puissans de vengeance qu'il avait entre les mains, et tant de motifs excusables pour en user, contenant la fureur des équipages, et craignant de frapper une seule victime innocente parmi des milliers de coupables. Équitable et modeste autant qu'éclairé, on verra avec quel respect il parlait de l'immortel Cook, et comme il cherchait à rendre justice aux grands hommes qui avaient parcouru la même carrière. 1 Également juste envers tous, la Pérouse, dans son journal et sa correspondance, dispense avec équité les éloges auxquels ont droit ses coopérateurs. Il cite aussi les étrangers qui, dans les différentes parties du monde, l'ont bien accueilli et lui ont procuré des secours. Si le gouvernement, comme il n'est pas permis d'en douter, veut remplir les intentions de la Pérouse, il doit à ces derniers une marque de la reconnaissance publique. Justement apprécié par les marins 'anglais qui avaient eu occasion de le connaître, ils lui ont donné un témoignage d'estime non équivoque dans leurs écrits. Tous ceux qui l'ont fréquenté en ont fait de justes éloges, qu'il serait trop long de rapporter. Mais parler de ses vertus, de ses talens, c'est rappeler ses malheurs, c'est réveiller nos regrets: l'idée des uns est désormais liée inséparablement au souvenir des autres; et ils |