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OPPOSITION.-ARRÊT PAR DÉFAUT.-COURS D'ASSISES.

La voie de l'opposition est-elle ouverte au plaignant contre un arrêt par défaut, rendu par une Cour d'assises, qui le condamne à des dommages

intérêts? Rés. aff.

A supposer cette opposition recevable, doit-elle étre portée devant les juges qui composent la session de la Cour d'assises, de laquelle émane le jugement par défaut, ou, si l'opposition n'a été formée qu'après la clôture de la session, devant ceux de la session suivante, et non devant la Cour de cassation? Rés. aff.

Ces questions sont absolument neuves et du plus grand intérêt. Elles se sont présentées dans les circonstances que nous allons analyser.

M.e Chrétien, avocat à Caen, a rendu plainte contre le nommé Pain; il l'accusait d'avoir exercé des voies de fait sur ses fils. M.e Chrétien s'est . même rendu partie civile.

La Cour d'assises, sur la déclaration du jury favorable à Pain, l'a acquitté, et, sur la demande de celui-ci, a condamné par défaut M. Chrétien à 600 francs de dommages-intérêts.

M. Chrétien a formé opposition à cet arrêt, et a cité le nommé Pain à comparaître devant la session prochaine de la Cour d'assises.

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Cette opposition a été accueillie, et M. Chrétien déchargé de la condamnation en dommages-intérêts, par arrêt du 17 février 1817.

C'est contre cet arrêt que Pain s'est pourvu en cassation.

Premier moyen. Le demandeur en cassation a soutenu qu'aux termes de l'article 262 du Code d'instruction criminelle, les arrêts de Cours d'assises ne pouvant être attaqués que par la voie de cassation, l'opposition n'était pas recevable pour les faire réformer.

que

L'instruction criminelle, a-t-il dit, diffère essentiellement de la procédure civile dans celle-ci, l'opposition à un jugement par défaut est de droit commun; dans celle-là, au contraire, elle ne peut être admise lorsque le législateur l'a formellement autorisée. C'est ainsi qu'en matière de simple police, les articles 150 et 151 du Code d'instruction criminelle accordent aux individus condamnés par défaut la faculté de se pourvoir par opposition; c'est ainsi encore que cette faculté est étendue aux condamnés en police correctionnelle par les articles 187 et 188 du même Code; il faut donc nécessairement conclure du silence que la loi a gardé relativement aux matières de grand criminel, que dans ces matières elle n'a pas voulu permettre l'opposition.

L'intention du législateur est d'ailleurs facile à expliquer.

En effet, au grand criminel il ne peut y avoir réellement, contre la partie civile, de jugement par défaut; car, comment concevoir qu'une partie dénonciatrice et poursuivante, qui présente différentes requêtes à la charge de l'accusé, qui donne à la justice la liste des témoins, qui, en un mot, administre toutes les preuves et fournit aux juges les élémens de leur jugement, puisse être réputée défaillante, lors de l'arrêt qu'elle a sollicité? Tous ces N. VIII. Année 1817.

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actes ne la constituent-ils pas nécessairement partie contradictoire? Ne sait-elle pas d'avance qu'aux termes des articles 358 et 359 du Code d'instruction criminelle, l'accusé, en cas d'acquittement, a le droit de demander des dommages et intérêts à son dénonciateur et qu'il doit le faire avant le jugement?

La partie civile est donc interpellée de droit, par la nature même de ses poursuites, de se présenter, si bon lui semble, à l'audience définitive de la Cour d'assises; et si elle ne s'y présente pas, elle est censée s'en être rapportée à la prudence des juges, quant à l'appréciation de la demande en dommages-intérêts que peut former le prévenu acquitté.

Deuxième moyen. Supposons cependant, continuait le demandeur, qu'il soit possible d'admettre l'opposition à l'arrêt d'une Cour d'assises, évidemment une telle opposition ne peut être soumise à une autre Cour que celle qui a rendu l'arrêt par défaut; d'où il suit que, dès que la session est close, il ne reste plus à la partie défaillante d'autre recours que le pourvoi en cassation; car, chacun sait que les Cours d'assises sont composées d'élémens fugitifs: le président, les juges, les jurés, tout disparaît à la fin d'une session; le sort de ses arrêts ne dépend plus dès-lors que de l'autorité supérieure, c'est-à-dire de la Cour de cassation. Aussi l'art. 412 du Code d'instruction criminelle dispose-t-il formellement que, « dans aucun cas, la partie civile ne pourra poursuivre l'annullation d'une ordonnance d'acquittement ou d'un arrêt d'absolution; mais que, si l'arrêt a prononcé contre elle des condamnations civiles, supérieures aux demandes de la partie acquittée ou absoute, cette disposition de l'arrêt pourra être annullée, sur la demande de la partie civile. » Ainsi, dans 1 espèce, le sieur Chrétien n'ayant formé son opposition que depuis la clôture de la session pendant laquelle il avait été condamné, il n'avait d'autre voie légale à prendre que celle du recours en cassation.

On objectera peut-être que l'article 412 n'entend parler que d'arrêts contradictoires; mais cette objection se détruit d'abord, par la simple lecture des articles 419 et 436 du même Code ainsi conçus: « La partie civile qui se sera pourvue en cassation, est tenue de joindre aux pièces une expédition authentique de l'arrêt. Elle sera tenue, à peine de déchéance, de consigner une amende de 150 fr., ou de la moitié de cette somme, si l'arrêt est rendu par contumace ou par défaut. (Art, 419)... .....» La partie civile qui succombera sera condamnée envers l'État à une amende de 150 fr., ou 75 fr. seulement, si l'arrêt ou le jugement a été rendu par contumace ou par défaut (art. 436). »

L'article 429 du Code d'instruction criminelle fournit un nouvel argument à l'appui du système qu'on soutient ici. Cet article porte: « La Cour de cassation prononcera le renvoi du procès devant un tribunal de première instance, autre que celui auquel aura appartenu le juge d'instruction, si l'arrêt et l'instruction sont annullés, aux chefs seulement qui concernent les intérêts

civils. »

On induit de cet article la conséquence naturelle que jamais deux Cours d'assises ne peuvent prononcer sur la question des dommages et intérêts; car si le législateur l'eût voulu, il eût ordonné le renvoi devant une Cour d'assises et non devant un tribunal civil; mais il était pénétré de cette idée,

qu'après la dissolution d'une Cour d'assises, une autre Cour de même nature ne peut en réformer les décisions, parce qu'elle manque des des élémens que la première a eus sous les yeux et qui ont éclairé sa religion.

Le demandeur en cassation a-présenté un troisième moyen, relatif à sa condamnation aux dépens; mais l'arrêt, en cette partie, ne jugeant pas une question et ne faisant qu'appliquer des principes incontestables, nous ne ne rappellerons pas ce moyen. Il est d'ailleurs suffisamment indiqué dans l'arrêt, dont les motifs lumineux nous dispensent aussi de reproduire les observations du défendeur.

ARRÊT.

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LA COUR, après en avoir délibéré en la chambre du conseil, ATTENDU, sur le premier moyen de cassation proposé par le demandeur, que des art. 419 et 436 du Code d'instruction criminelle, il résulte que les parties civiles peuvent être condamnées par défaut devant les Cours d'assises; que, d'après le second paragraphe de l'art. 358 du même Code, il doit être statué, par ces Cours, sur les dommages et intérêts qui peuvent être respectivement prétendus, après avoir entendu les parties dans leurs défenses; que les condamnations en dommages et intérêts, prononcées sur la demande d'un accusé acquitté contre une partie civile, qui n'a pas été entendue, ou qui n'a pas conclu sur cette demande, ont le caractère de condamnation par défaut ; que, d'après les principes du droit commun, reconnus et consacrés par l'avis du Conseil d'état, du 11 février 1806 (1), la voie de l'opposition est ouverte contre les condamnations par défaut, dans tous les cas où cette voie n'a pas été interdite par une loi spéciale; qu'aucune disposition de loi n'a prohibé le recours en opposition de la partie civile, condamnée par défaut, par une Cour d'assises, à des dommages et intérêts en faveur de l'accusé acquitté; que ce recours peut donc être exercé par cette partie; que, lorsque l'art. 262 du Code d'instruction criminelle a disposé que les arrêts des Cours d'assises ne pouvaient être attaqués que par la voie de la cassation, il n'a eu pour objet que de conserver aux arrêts de ces Cours, qui sont une émanation des Cours royales, le caractère du dernier ressort qui appartient à ces dernières Cours; mais qu'il n'a, en cela, ni explicitement ni implicitement, proscrit le droit d'opposition qui n'est pas restrictif de ce caractère, et qui peut, en principe général, être exercé contre tous jugemens rendus par défaut, soit en première instance, soit en dernier ressort; que, d'après l'art. 470 du Code d'instruction criminelle, les Cours d'assises peuvent prononcer des réparations civiles en faveur de la partie civile contre l'accusé contumax ou défaillant; mais que, d'après l'art. 476, ces condamnations s'anéantissent par la comparution de l'accusé; que les droits de l'accusé et de la partie civile, à l'égard des réparations civiles, sont corélatifs, qu'ils doivent être soumis aux mêmes règles, et donner lieu au même recours; qu'il s'ensuit de ces observations, que la Cour d'assises du Calvados, en recevant l'opposition de Chrétien, partie civile, à la condamnation de dommages et intérêts qui avait été prononcée contre lui par défaut, en faveur de Pain accusé, acquitté par la Cour d'assises du même département, dans la session précédente, n'a pas commis d'excès de pouvoir et n'a contrevenu à aucune loi;-ATTENDU, sur le second moyen, que l'opposition de Chrétien étant recevable, et n'ayant pu être formée qu'après la clôture de la session dans laquelle avait été rendu l'arrêt contre lequel elle était dirigée, elle a dû être portée devant une Cour de même nature et de même caractère que celle dont était émané cet arrêt; qu'elle a donc dû être jugée par la Cour d'assises de la session suivante; que le Code d'instruction criminelle n'a pas fait de la conuaissance du débat, d'après le quel a été prononcée, contre une partie civile, une condamnation en dommages et intérêts, un élément nécessaire du pouvoir de statuer sur ces dommages et intérêts; qu'en effet, l'art. 359 de ce Code renvoie au tribunal civil le jugement de la demande en dommages et intérêts de l'accusé acquitté contre son dénonciateur, lorsqu'il ne l'a connu qu'après la clôture de la session; qu'aux termes de l'art. 429, la Cour de cassation doit aussi renvoyer

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1806, p. 85 Supp.

à un tribunal civil le jugement des réparations civiles, sur lesquelles il aurait été précédemment statué par un arrêt de Cours d'assises qu'elle aurait aunullé, au chef relatif seulement à ces réparations; que la Cour d'assises qui a rendu l'arrêt attaqué n'a donc pas, en prononçant sur l'opposition de Chrétien, violé les règles de compétence établies par la loi ;- Sur le troisième moyen, pris de l'art. 368 du Code d'instruction criminelle, qui porte: « l'accusé, ou la partie civile qui succombera sera condamnée aux frais envers l'Etat et envers l'autre partie ATTENDU que Pain, accusé, ayant été acquitté, la partie civile avait succombé relativement à l'action publique qu'elle avait provoquée et appuyée; qu'en maintenant la condamnation de Chrétien aux frais envers le trésor public, la Cour d'assises s'est donc conformée. à cet article; qu'elle s'y est également conformée, en déchargeant ledit Chrétien de la condamuation aux frais de l'accusé acquitté, puisqu'en le renvoyant de la demande en dommages et intérêts formée par celui-ci, elle jugeait que les poursuites avaient eu un motif légitime; que ces deux différentes dispositions de l'arrêt attaqué ne présentent ni contradiction ni violation de la loi; d'après ces motifs, la Cour reçoit Chrétien partie intervenante; REJETTE le pourvoi de Jean-Louis Pain, etc.

Du 19 avril 1817.-Section criminelle.-M. le baron Barris, président.M. le conseiller Aumont, rapporteur. MM. Huart-Duparc et OdilonBarrot, avocats.

INSTITUTION CONTRACTUELLE. - DONATION A CAUSE DE MORT.CONDITION POTESTATIVE. RÉSERVES. -LÉGITIMAIRES.

Une donation, par contrat de mariage, faite par des père et mère au profit de l'un de leurs enfans, doit-elle étre considérée comme une disposition à cause de mort, lorsque les donateurs se sont réservé une faculté illimitée de disposer des biens compris dans l'institution? Rés. aff. Si donc une donation semblable a été faite avant les lois de 1793 et de l'an 2, et que les père et mère soient morts depuis la publication de ces lois, les biens réservés doivent-ils appartenir aux seuls enfans légitimaires, en vertu de l'art. 2 de la loi du 18 pluvióse an 5? Rés. aff.

Le 19 juin 1786, contrat de mariage entre Bertrand Tapie et Jeanne Clavère. Les père et mère de la future épouse lui font donation pure et simple de la moitié de leurs biens; puis ils ajoutent : « Réservant l'autre >> moitié de leurs biens pour en faire jouir et disposer en faveur de qui ils >> trouveront à propos, avec stipulation et condition néanmoins expresse » que, s'ils n'ont point disposé, vendu ou aliéné la moitié ou partie desdits biens non compris dans la présente donation, ladite moitié réservée, ou » ce qui restera, sera réversible à la demoiselle Clavère, leur fille donataire, » et sera compris dans l'universalité de leursdits biens. »>

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Il est dit aussi dans le même contrat : « Et par une convention expresse, » il a été stipulé et réciproquement accepté, entre lesdits Clavère et Lacase (père et mère), que si l'un d'eux vient à prédécéder l'autre, le survi»vant profitera des réservations qu'ils se sont ci-dessus faites en propriété, >>se les cédant et transportant sur leur tête, pour en jouir et disposer >> ainsi et de la manière qu'ils se sont fait la réservation. »>

La mère mourut en 1789 et le père en l'an 3, sans avoir disposé des biens réservés.

La dame Porteron et là dame Dufau, sœurs de la dame Tapie, ont réclamé la propriété de ces biens, en vertu de l'art. 2 de la loi du 18 pluviose an 5, et ont assigné les sieur et dame Tapie en délaissement.

Les mariés Tapie ont soutenu que les dames Porteron et Dufau ne pouvaient demander que leurs légitimes; que l'art. 2 de la loi du 18 pluviose an 5 était inapplicable à l'espèce; qu'il ne s'agissait pas ici d'une donation à cause de mort, mais bieu d'une institution contractuelle, irrévocable de sa nature, quoique soumise à une condition potestative; que les dispositions de cette espèce n'avaient point été abolies par les lois de 1793 et de l'an 2, et qu'elles étaient au contraire maintenues d'une manière expresse par l'art. 1er de la loi du 18 pluviôse an 5; que dès-lors l'institution faite au profit de la dame Tapie devait obtenir son effet, et que les dames Porteron et Dufau n'avaient rien à réclamer, puisqu'elles avaient reçu leurs légitimes.. La demande en délaissement a eté successivement accueillie par jugement du tribunal civil de Tarbes, et par arrêt de la Cour de Pau, du 19 août 1814. Les mariés Tapie se sont en vain pourvus en cassation, pour violation des lois des 7 mars 1793, 17 nivôse an 2 et 18 pluviôse an 5.

Vainement ils ont cherché à prouver que la donation faite en faveur de la dame Tapie de la moitié des biens dont ses père et mère s'étaient réservé la faculté de disposer, était une institution irrévocable de sa nature, et non une donation à cause de mort.

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Suivant la jurisprudence de la Cour suprême en cette matière, on doit tenir pour un principe constant que, toutes les fois que l'instituant s'est réservé une liberté pleine et entière de révoquer et d'anéantir à son grél'institution, la clause ne présente plus qu'une donation à cause de mort. C'est ce qu'on voit particulièrement dans les arrêts Belloc et Saucholon, des. 5 décembre 1815 (1) et 28 novembre 1516 (2).

On oppose à ces arrêts l'arrêt Claverie, du 22 décembre 1812, dans lequel une institution d'héritier, faite également sous une condition potestative, a néanmoins été jugée irrévocable de sa nature, et soustraite par conséquent au sort des donations à cause de mort (3).

Mais il faut bien remarquer que, dans l'espèce de cet arrêt, le disposant ne s'était pas réservé une faculté absolue et indéfinie de changer l'institution; il n'avait que le droit d'en transférer l'effet sur la tête d'un très-petit nombre d'individus. Or, dès que sa liberté était restreinte, les bornes qu'elle avait suffisaient pour former un lien de droit et donner à l'institution un caractère d'irrévocabilité.

Mais, dans l'espèce actuelle, l'institution dont il s'agit n'offre rien de semblable; on n'y trouve aucune limite à la faculté de disposer que l'instituant s'était réservée, aucun lien de droit qui puisse la faire considérer comme irrévocable, rien enfin qui la distingue d'une donation ordinaire

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1815, p. 595.

(2) Ibid., vol. de 1816, p. 581.

(3) Ibid., vol. de 1813, p. 569.

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