Quelques passages de Job (1) et de Salomon (2) semblent indiquer que la `chiromancie n'étoit pas inconnue des Hébreux : chez les Grecs, Aristote veut fixer la durée de la vie de l'homme selon la longueur de certaines lignes de la main (3); chez les Latins, Juvénal rapporte que les femmes alloient soumettre aux diseurs de bonne aventure les lignes de leur front et de leurs mains (4) ; mais l'époque où cette superstition fut la plus accréditée est sans contredit le xvIe siècle. (1) Qui in manu omnium hominum signat, ut noverint singuli opera sua. Job., cap. xxxvII, V. 7. (2) Longitudo dierum in dextera ejus, et in sinistra illius divitiæ et gloria. Proverb., cap. 111, v. 16. (3) On a imprimé à Ulm, en 1490, un petit volume in-4, sous le titre de Cyromancia Aristotilis (sic) cum figuris. Cet ouvrage, que l'éditeur attribue faussement à Aristote, est une compilation des divers traités de chiromancie connus à cette époque. (4) Si mediocris erit, spatium lustrabit utrinque Metarum, et sortes ducet, frontemque manumque (Satyra vi, v. 582-584). Alexandre de Médicis, duc de Toscane, ayant montré sa main à un Grec, celui-ci lui prédit qu'il seroit assassiné; Alexandre fut tué dans un rendez-vous d'amour par son cousin Laurent. Le 24 septembre 1504, Barthélemi della Rocca, dit Coclès, célèbre chiromancien (1), tomba sous le fer d'un sbire d'Hermès Bentivoglio, fils de Jean II, tyran de Bologne: on raconte que Coclès avoit prévu sa fin tragique ; quand il sortoit de sa maison, il prenoit une épée pour se défendre, et mettoit sur sa tête une calotte de fer pour amortir les coups; quelques jours avant le crime, il dit au sbire qu'il étoit à la veille de commettre un meurtre. Le même Cocles annonça à l'astrologue Luc Gauric une mort cruelle et injuste; en effet, Gauric expira dans les tourmens de l'estrapade. Adrien Sicler, autre chiromancien non moins renommé, rencontra à Nîmes un homme qui portoit sur le pouce un certain signe indiquant qu'il périroit sur la roue (2) ; cet homme ne pent échapper à la marque fatale, il est roué en 1659. Un marin, Jacquin Caumont, avoit une marque à peu près pareille, et il fut pendu. Ces faits, plus ou moins authentiques, rapportés par les chiromanciens, n'ont pas peu contribué à grossir la famille de leurs adeptes. Si les chiromanciens sont rares aujourd'hui, ceux d'autrefois nous ont laissé de nombreux écrits : des médecins, des mathématiciens, des philosophes ont fait un art de cette vaine science; ils ont érigé en préceptes les rêveries d'esprits malades, crédules ou trompés; cependant ces sortes d'ouvrages ont été lus avec avidité, tant les hommes sont désireux de fouiller les mystères d'un avenir toujours incertain. La Chiromance royale et nouvelle d'Adrien Sicler, médecin spagyrique, est un des livres de ce genre les plus singuliers que j'aie vus; chose bizarre, l'auteur a dédié son œuvre à Camille de Neuf-Ville, archevêque de Lyon et primat de France; Sicler a séparé l'art de la chiromancie en deux parties, celle des hommes et celle des femmes ; distinction dont il fait sentir la nécessité, en (1) L'ouvrage de Coclès est intitulé Physionomice ac Chiromantiæ Anostasis, sive compendium ex pluribus et pene infinitis autoribus, cum approbatione Alexandri Achillini. La première édition est de Bologne, 1504, in-fol. (2) Un cercle double en dehors et simple en dedans qui tourne autour du pouce à la hauteur de la première phalange. observant judicieusement qu'une marque qui « promettra la crosse à un homme fera connoître l'adresse d'une femme à filer. » Je laisse à penser combien l'ignorance de la découverte de Sicler a dû jeter de confusion dans les prédictions de ses devanciers. L'auteur du Liber compoti cum commento, Lyon, 1492 (1), est un des premiers qui aient tiré des horoscopes du revers de la main. Un ouvrage complet est celui de Jo. Indagine, imprimé à Strasbourg en 1534, in-folio, orné de figures cabalistiques assez bien gravées. Le fameux Taisnierius a copié Coclès. Un livre très-digne d'être remarqué est celui de Trichassio da Cerasari; il fut traduit en françois ; c'est là et dans Sicler que Salgues (2) et Collin de Plancy (3) ont puisé; enfin le sieur de la Chambre, conseiller du roi en ses conseils et son médecin ordinaire, a traité le sujet ex professo; il prétendoit deviner et guérir les infirmités de ses malades au moyen de la chiromancie, attendu, dit-il, « que chaque partie noble a un certain endroit de la main qui lui est affecté et avec lequel elle a une liaison et une sympathie particulières (4). » Le savant docteur Mart.-Ant. Del Rio distingue deux espèces de chiromancie, la chiromancie astrologique, qui procède en constatant les rapports des planètes avec les différens signes de la main, et la chiromancie physique; celle-ci se contente de connoître les mœurs et la destinée des individus, sans l'intervention des astres; c'est dans cette dernière catégorie qu'il faut ranger l'ouvrage de Jean Hartlieb ; ce livre a été la source d'une foule de productions du même genre; les chiromanciens des siècles suivans lui ont fait de nombreux emprunts, et cependant pas un d'entre eux ne l'a nommé. Jean Saubert est le premier bibliographe qui cite la chiromancie de Hartlieb (5); l'illustre Leibnitz a publié un mémoire pour fixer l'époque de son impression; Conrad de Uffenback est l'écrivain (1) La première édition est de Rome, 1486. (2) Des Erreurs et des Préjugés, etc., édit. de 1818, t. 2, p. 48 et suiv. (3) Dictionnaire infernal, etc., édit. de 1825, t. 2, p. 169 et suiv. : (4) Les curieux de ces sortes d'écrits doivent consulter Michel Scott, Albert le Grand, le cardinal d'Ailly, Avicenne, Agrippa, Savonarole, Albufa rage, Isaac Kem-Ker, Melampus, Jean Cirus, Peruchio, Prætorius, Rom phile, Chalchindus, Adamantius, Blaise de Parme, Antoine du Moulin, le père Niquet, le curé Jean Belot, etc., etc. (5) Historia bibliothecæ reip. noribergensis, 1613, in -16, p. 116. qui en a fait la meilleure description (1); vient ensuite Heinecken (2), son travail négligé est moins complet que celui de Uffenbach. Beaucoup d'autres auteurs ont parlé du livre du docteur Hartlieb : Maittaire (3), Leich (4), Schelhorn (5), de Murr (6), Schwartz (7), Steigenberger (8), Gemeiner (9), Panzer (10), la Serna Santander (11), Aretin (12), Jansen (13), M. Dibdin, qui a décrit l'exemplaire acheté 100 guinées par lord Spencer (14), Ebert (15), Heller (16), etc. La chiromancie de Hartlieb est un petit in-folio contenant 24 feuillets avec signatures A.-C. et 2 feuillets de couverture; en tout 26 feuillets (17), sans chiffres ni réclames; en tête du feuillet 1, recto, on lit: DIE KUNST CIROMANTIA. Sous le titre, un ornement occupe la page entière (18), le verso (1) Zach, conr. von Uffenbach Merkwürdige Reisen durch Niedersachen Holland und Engelland, 1753,t. 1. p. 3og et suiv. Uffenbach est mort en 1734: c'est Schelhorn qui a publié la relation de ses voyages, 3 vol. in-8. Cet ouvrage est rempli de détails intéressans sur les arts et l'histoire littéraire. (2) Nachrichten von Künstlern und Kunst-Sachen, t. 2, p. 238 et suiv. Idée générale, p. 479 et suiv. (3) Annales typographici, 1719, t. 1, p. 16. Maittaire a copié Saubert. (4) De origine et incrementis typographic lipsiensis, 1740, p. 121. (5) De antiq. latinor. biblior. edit. diatribe, 1760, p. 13 et suiv. (6) Journal zur Kunstgeschichte, 1776, t. 2, p. 108. (7) Index novus librorum sub incunabula typographiæ impressorum, p. 17 et suiv. (8) Rede von Entstehung und Aufnahme der kurfürstl. Bibliothek in München, p. 15. (9) Nachrichten von den in der Regensburgischen Stadtbibliothek befindlichen merkwürdigen und seltenen Büchern aus dem funfzehenden Jahrhundert, 1785, p. 1 et suiv. (10) Annalen der ältern deutschen litteratur, 1788, p. 5, no 4. (11) Dictionnaire bibliogr., t. 3, p. 3, uo 692, a. (12) Beiträge zur Geschichte und literatur. München, in-8, t. 5, p. 173. (13) Essai sur l'origine de la gravure en bois et en taille-douce, 1808, t. 1, pag. 115 et suiv. Jansen a reproduit textuellement la traduction françoise de Heinecken. (14) The bibliographical Decameron, 1817, t. 1, p. 143 et suiv. (17) Et non 25, comme le disent Gemeiner, 1. c., p. 1, et Panzer, l. c., p. 5. (18) Voy. dans Heinecken (Idée générale, no 27. a.) un fac-simile de la partie supérieure de ce premier feuillet. du feuillet 1 et le recto du feuillet 2 sont blancs; l'ouvrage commence au feuillet 2, verso, ainsi : as nach geschriben buch von der hannd halt zu D teutsch gemacht Doctor hartlieb durch bett und hai sung der durchleichtigen hochgebornen furstin frow Anna geboren von praunschweigg gemahel dem tugēt. reichen hochgelopten fursten hertzog Albrech hertzog zu bairē und graff zu voburg: das ist geschehen am fritag nach ɔcepcionis maria virginis gloriosis 1448 (1). Plus bas, et séparées par deux filets, se trouvent 7 autres lignes: Item so wissz das du wirst finden, etc. L'auteur explique qu'il prédit la destinée des hommes par la main droite et celle des femmes par la main gauche (2). Dans le bas de la page est une figure: Hartlieb, agenouillé, présente son livre à la princesse Anne, assise dans un grand fauteuil gothique; cette gravure est bien exécutée, le personnage du docteur n'est pas sans expression; M. Dibdin en a publié un fac-simile assez médiocre (3). Sur le recto du feuillet 3, signé Aii, on lit 24 lignes de texte commençant par ces mots : Wan dich die lini des lebens, etc. Ici l'auteur indique quelques-uns des signes principaux qui révèlent au chiromancien le sort heureux ou funeste réservé à chaque individu. Au bas de la page est une nouvelle figure; divers personnages y accomplissent leurs destinées selon les prédictions de l'auteur; méchant meurt pendu, ici un mari est tué par sa femme; d'autres sont plus heureux : le Père éternel, placé dans un nuage, fait tomber sur eux une pluie d'or. Cette gravure est inférieure à la précédente pour l'exécution et le dessin; on en trouvera un facsimile dans l'Idée générale de Heinecken (4) et dans le Décaméron de M. Dibdin (5). فا un A partir du verso du feuillet 3 jusqu'au recto du feuillet 25, chaque page représente l'intérieur d'une main ouverte, plus (1)« Le livre ci-après, traitant de la main, a été écrit en allemand par le ⚫ docteur Hartlieb à la prière et selon le désir de la sérénissime princesse Anne née de Brunswick, épouse du très-loyal, très-vertueux et très-honoré prince duc Albert, duc de Bavière, et comte de Vobburg. Ceci s'est passé le vendredi après la conception de la glorieuse Vierge Marie, 1448. » (2) Depuis Hartlieb, les chiromanciens ont encore modifié leur système; ils consultent la main gauche et jamais la droite. (3) Décaméron, t. 1, p. 144. (4) Planche 28. (5) Tom. 1, p. 145. M. Dibdin n'a publié que la partie droite de cette figure. |