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on connoît cette ruse de rendre la liberté odieuse et ses fruits amers aux citoyens; on connoît aussi ce moyen d'amener le peuple au despotisme par le désordre; mais il n'a pu réussir, car les amis de la liberté le sont aussi de la justice. Ils sont dignes de leur cause par leurs sentimens; jamais l'idée du bonheur des hommes ne sort de leur pensée; ils n'ont qu'un but vers lequel ils dirigent constamment leurs actions; leurs principes sont les mêmes, soit pour obtenir, soit pour conserver la liberté, soit pour la conquérir, soit pour la défendre ils savent que ce n'est pas par les moyens négatifs de la foiblesse ou de l'inertie que l'on maintient l'ordre public, mais par ce patriotisme sûr, éclairé et modeste, qui préfère la gloire d'exécuter à celle de l'invention, qui n'aspire qu'à être utile et qui emploie sa volonté toute entière à faire exécuter celle de tous.

Il est donc, pour les nations, deux dangers différens à courir, entre lesquels réside la liberté : l'abus des pouvoirs publics qui produit l'oppression de tous, et la violation de la loi qui produit l'oppression des bons par les méchans.

Le seul moyen d'éviter ces dangers, c'est d'organiser avec soin les pouvoirs, les diviser avec précision, les limiter avec défiance, les diriger avec justesse vers leur but, les fonder sur l'utilité générale; mais ensuite les laisser agir avec toute l'énergie dont ils ont besoin: car la devise des hommes doit être : « Laissez-moi mon indépendance, ou maintenez ma liberté ; je jouissois, sous l'empire de la nature, de droits indéfinis et illimités; je consens à en restreindre l'usage sous l'empire de la société, mais il faut qu'ils me soient garantis et assurés. Mes forces étoient toutes à moi, mainte

nant je les emploie au soutien de la société; mais il faut qu'en retour elle me protège et me défende pour ramener ces idées générales à l'objet particulier qui nous occupe; il faut que la société crée une puissance qui veille à ma sureté, à ma liberté, à ma propriété ; quelqu'un qui accueille mes plaintes, qui favorise mes justes réclamations, qui se joigne à moi pour poursuivre celui qui m'a attaqué. »

Si je suis accusé, au contraire, il faut que je sois certain qu'aucune de mes actions ne sera punissable que lorsque j'aurai pu d'avance l'avoir prévu; qu'aucune peine ne me sera infligée, si je ne l'ai connue aussi d'avance; qu'enfin après avoir joui de tous les moyens de me défendre et de prouver mon innoceuce, des juges intègres, bien instruits de l'affaire, me jugeront avec impartialité et réflexion.

Les moyens d'assurer à chacun ces avantages et · ces droits, c'est l'administration de la justice qui les renferme.

Aussi est-ce par cette institution que le but de l'association politique se trouve principalement rempli, et les hommes ne sauroient être libres et tranquilles, si la justice est mal administrée parmi eux.

D'autres membres de cette Assemblée sont chargés par vous, Messieurs, de vous présenter les institutions prévoyantes et sages, destinées à prévenir les crimes : c'est-là que résident les grands secrets de l'art social et les véritables ressorts de la tranquillité publique. Nous leur envions cette douce et intéressante mission; la nôtre est, en supposant les crimes commis, de vous indiquer comment leurs auteurs seront arrêtés, poursuivis

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et jugés. Je passe de suite aux moyens de la remplir.

Dans une constitution libre, ainsi que nous venons de le voir, les bons citoyens sont détournés de s'opposer aux lois par la justice; les méchans doivent l'être par la crainte.

La loi doit à cet effet chercher dans le cœur de l'homme quelque partie sensible par laquelle il puisse constamment être saisi et détourné du penchant qui le porteroit à l'enfreindre; il redoute l'infamie, la douleur, la privation de sa liberté ; la loi le menace d'être puni corporellement, déshonoré, privé de sa liberté, s'il viole ses décisions; tel est l'objet des peines.

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Ce n'est pas sur l'homme qui la subit que la peine doit être considérée, car ce n'est pas pour fui qu'elle est spécialement établie ; son objet véritable est de se montrer à la pensée de l'homme qui est prêt à se rendre coupable, de balancer ses penchans criminels; et lorsqu'il est prêt d'écouter l'intérêt momentané qui l'attire vers le crime, de le retenir et l'arrêter par la considération d'un intérêt plus fort qui le lui défend.

C'est donc beaucoup moins la peine actuelle que l'action qu'elle exerce à l'avance sur l'individu qui doit occuper le Législateur; c'est cette action qu'il doit chercher à fortifier et à rendre, autant qu'il le pourra, efficace et puissante: or le meilleur moyen d'y parvenir est de la rendre certaine et presqu'inévitable; car c'est une vérité la que raison et l'expérience confirment, que la sévérité de la peine retient moins les hommes, que la certitude de la punition.

L'incertitude de la punition est un espace que le coupable place entre la peine et lui, dont il détermine à son gré l'étendue, et qu'il agrandit

toujours par l'espérance. La certitude de la punition au contraire lui paroît être une conséquence immédiate et comme le contre-coup du délit qu'il va commettre ces deux choses ne peuvent un instant se séparer dans son imagination; et si la violence de la passion ne ferme pas chez lui tout passage à la raison, la loi la plus irrésistible, celle de son bonheur et de son intérêt lui défend de commettre le crime.

S'il est prouvé que les peines doivent être, autant qu'il est possible, certaines et inévitables, il est évident que la seule manière d'y parvenir, c'est que l'on puisse aisément s'assurer des coupables. La société sans doute ne voudra pas qu'un homme puisse être condamné sans les preuves les plus fortes; mais si l'on attendoit qu'elles fussent réunies pour saisir et arrêter un coupable, tous échapperoient à la justice. Il faut donc de toute nécessité qu'un individu puisse être arrêté avant la preuve complète, c'est-à-dire, lorsqu'il n'existe encore contre lui que de simples, mais fortes présomptions; c'est un sacrifice qu'il doit faire à la société, puisque ce n'est que par là que la tranquillité, la sureté, la liberté de tous sont assurées: et chacun retrouve avec usure, dans cette jouissance complète de tous ses droits, le sacrifice léger et possible d'un moment de sa liberté.

Mais ce n'est que provisoirement que la société peut agir ainsi; une condition essentielle et inséparable de ce droit qu'elle exerce d'arrêter un citoyen sur des présomptions, est d'examiner promptement s'il y a lieu à le laisser privé de sa liberté ; c'est à ce prix seul qu'un homme peut consentir que l'on suspende l'exercice de ses droits naturels. Ainsi ne séparons jamais le droit de la société d'arrêter provisoirement un citoyen, du droit de cha

que citoyen d'être promptement jugé, et d'après le plus haut degré de certitude possible: sans ces deux choses, ou les coupables échappent, ou les innocens sont punis; et dans ces deux cas, la liberté, la sureté publique et individuelle sont violées.

Le moyen le plus sûr de suivre exactement ces distinctions et de respecter ces droits, c'est d'en rapporter l'exercice à des institutions différentes, dont l'une représente l'action de la société sur chaque individu, et l'autre renferme sur-tout les droits des individus contre la société. C'est d'établir des agens différens pour ces deux pouvoirs. Il est évident d'ailleurs que ce n'est pas la même institution que celle qui arrête et celle qui juge, que celle qui se saisit du prévenu avant la preuve, ou celle qui n'agit et le condamne que d'après la preuve ; celle-là est active et prompte, l'autre est passive et réfléchie; l'une est provisoire, l'autre est définitive; j'appelle l'une la police, l'autre la justice (1),

Leur confusion jusqu'à ce moment étoit une des principales causes de la mauvaise administration de la justice: il est clair néanmoins qu'avec le même but en général, elles ont chacune un objet particulier qui exige une organisation particulière et des moyens différens.

Si la justice continuoit à être chargée de l'arrestation, l'opinion publique, que juge naturellement sous le même point-de-vue les actes émanés des mêmes pouvoirs, verroit toujours une présomption odieuse et une sorte de condamnation dans le décret par lequel on s'assure de la

(1) L'on a fait un grand pas dans une matière difficile, lorsqu'on a saisi une distinction fondamentale et vraie. Tout se simplifie ensuite > tout se rapporte et se classe avec facilité. Tout problême est un mélange de parties obscures et claires, connues et inconnues ; lorsqu'il est analysé, divisé, il est résolu.

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