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rait pas à combattre, on se trompait. Les indigènes viendraient sous les murs d'Oran, d'Alger et de Bone, insulter les garnisons françaises, et l'on ne pourrait pas même cultiver les fourrages aux portes de ces villes; de sorte qu'il faudrait tout tirer de la métropole, et que ce système qui serait sans résultats, serait aussi le plus ruineux de tous. Voici quel était le système à adopter, suivant le président du conseil :

Ce n'est pas, disait-il, celui de conquérir, ce n'est pas celui d'exterminer, de détruire, comme on en prête l'intention au gouvernement, intention qu'il qu'il n'a jamais eue; mais c'est celui de faire ce qu'ont fait tous les peuples qui se sont transportés dans des pays nouveaux. En s'y transportant, ils ont rencontré les naturels du pays; ils ont essayé quelquefois de traiter; d'autres fois, ils ont combattu. Il y a eu des luttes; méconnaître ce fait, c'est méconnaître P'histoire tout entière; l'histoire de tous les pays, de tous les établissemens considérables est pleine de ces luttes. Le peuple qui arrive est forcé de rencontrer le peuple chez lequel il se rend, et il en résulte des luttes inévitables. Si on doute de cela, je citerai ce qui se passe entre la France et les Arabes. Le système guerroyant qu'on nous reproche: mais ce système, avons-nous été libres d'en suivre un autre?

Leministre, pour prouver que non, rappelait comment l'affaire de la Macta était venue de la nécessité de contenir Abd-el-Kader. Maintenant il fallait s'établir solidement dans le pays, faire respecter la France, faire craindre son nom, et amener ensuite les diverses tribus à s'attacher à elle. La Chambre ayant encore entendu M. Duvergier de Hauranne, qui protesta qu'il n'avait point voulu attaquer l'armée, qu'il était prêt à rétracter toute parole à laquelle on pourrait attacher un tel sens, et le maréchal Clausel, qui nia que des excès eussent été commis par des soldats français, une foule de membres demandaient la clôture. M. Guizot insista, en raison de la gravité de la question, pour que la discussion ne fût pas fermée. La discussion continua donc, et M. Piscatory vint appuyer le système de la commission, comme étant tout ensemble un système d'économie, de prudence et de bonne administration. L'occupation complète de l'Algérie, et la colonisation rencontrèrent ensuite un défenseur en M. de Laboulie. Membre de la commission, M. Desjobert s'efforça de démontrer qu'il ne s'agissait point d'abandonner Alger, mais de renoncer à un système d'expédition et d'envahissement qui n'avait produit que des désastres. Bientôt une violente attaque dirigée par l'orateur, contre un indigène (Ioussouf) qui avait été décoré de la Légiond'Honneur et nommé chef d'escadron, en récompense d'une bravoure éclatante, provoqua des murmures, des interpellations, des cris à l'ordre, qui troublèrent pendant long-temps la Chambre, malgré tous les efforts du président pour ramener le calme dans la discussion. En résumé, c'était pour mettre un terme à la grande consommation d'hommes qui se faisait en Afrique, que M. Desjobert demandait qu'on ne suivît pas le système préconisé par le président du conseil. L'honorable membre ne croyait pas avoir le droit de disposer ainsi tous les ans de la vie de deux mille de ses concitoyens, et ne pouvait consentir à envoyer en Afrique une armée qui ne serait occupée qu'à favoriser les spéculations des agioteurs.

C'est de l'état social, politique et religieux des Arabes, sur lequel il présenta des considérations neuves et intéressantes, que M. Laurence faisait dériver la manière dont on devait se conduire à Alger; c'est par leurs mœurs qu'il expliqua les fautes et les excès qu'on reprochait à l'armée ou à l'administration. Il fallait absolument se servir de l'intermédiaire des indigènes et leur laisser employer les moyens de se faire obéir qui étaient dans les coutumes et dans les lois des Arabes.

La parole fut ensuite à M. Guizot, dont l'apparition à la tribune était attendue avec impatience. L'orateur, après quelques observations préliminaires, établit qu'il était bon, qu'il était honorable pour le pays, que chaque membre de la Chambre vînt, avec une entière sincérité, malgré les sentimens, malgré les nobles passions du pays lui-même, dire ce qu'il croyait être l'intérêt du pays. Sans doute il avait pu y avoir des paroles excessives, des paroles imprudentes; des cœurs honorables, des intérêts légitimes avaient pu être

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ite blessés par quelques mots tombés de la tribune; mais l'opinion publique, la majorité de la Chambre étaient là pour guérir ces blessures momentanées. D'ailleurs l'armée française aimait, respectait, tout comme le peuple français, la liberté de la tribune.

Cette difficulté écartée, M. Guizot entrait en matière et démontrait de la manière la plus irrésistible que la question de l'occupation d'Alger était irrévocablement résolue. Puisque la France gardait l'Afrique, elle devait la garder avec sécurité et dignité. Ces deux mots, suivant l'orateur, excluaient complétement un système qui s'était produit plusieurs fois à la tribune, qui était presque indiqué de nouveau par la commission, et que le président du conseil avait repoussé avec raison. C'était le système de l'occupation purement militaire et intrà muros, d'un, deux ou trois points sur la côte. Restait donc la possession et la conservation du territoire africain que la France avait conquis. La question ainsi posée, il y avait deux systèmes, deux modes d'administration, entre lesquels le gouvernement avait à choisir.

• Or, messieurs, ajoutait l'orateur, il y a une conduite que je me permettrai d'appeler agitée, guerroyante, jalouse d'aller vite, d'aller loin, d'étendre brusquement, par la ruse ou par la force, la domination française, la domination officielle française sur toutes les parties, sur toutes les tribus du territoire de l'ancienne régence.

Il y a une autre conduite moins inquiète, moins guerroyante, plus lente, plus pacifique, qui aurait pour objet d'établir fermement l'autorité, la possession française sur certaines parties du territoire, sur les parties les plus appropriées aux premiers temps de notre occupation, et qui, s'appliquant de là à entretenir de bonnes relations avec les indigènes, ne les inquiéterait pas immédiatement sur leur indépendance, ne leur ferait la guerre que par force, en cas d'absolue nécessité.

Eh bien! je crois que l'état de l'Afrique, l'état de la France, l'état de l'Europe, toutes les raisons imaginables repoussent la première conduite, la conduite guerroyante, agitée, et conseillent la conduite lente, pacifique,

mesurée. >

M. Guizot développait habilement cette opinion, et terminait en ces termes :

• Je sais, messieurs, qu'il n'est pas toujours aisé de se maintenir sur cette ligne; qu'il est facile d'être entraîne du système tranquille au système agressif, de la paix à la guerre. C'est là une pente périlleuse pour le gouvernement; c'est à lui de se défendre contre ce péril; il faut qu'il se défende des sédue

tions militaires, des séductions de souveraineté complète et prompte; il faut qu'en matière d'expéditions, de promenades guerrières, il ne fasse que celles qui sont indispensables pour la sécurité, pour la dignité.

» Mais cela convenu, messieurs, que la Chambre ne s'y trompe pas; elle doit se montrer très-large sur les moyens qu'on demande en hommes et en argent pour faire réussir l'établissement d'Afrique. Ce à quoi il faut qu'elle tienne par une volonté forte et simple, c'est à l'exécution fidèle et ferme de la conduite qu'elle aura adoptée, qu'elle aura reconnue une fois bonne; qu'elle fasse servir son influence sur le gouvernement à le défendre contre les entraînemens auxquels il est exposé, c'est à cela que la Chambre doit employer son influence. Quoi qu'il arrive, elle sera responsable de notre conduite et de la destinée de nos possessions d'Afrique. Si l'on échoue faute de moyens, la Chambre en sera responsable; on dira qu'elle n'a pas su soutenir l'administration. Si l'on échouait par précipitation, par esprit inquiet, agressif, on s'en prendrait également à la Chambre; on dirait qu'elle n'a pas su contrôler et contenir l'administration. Il faut que la Chambre soutienne et contienne; il faut qu'elle soit très-large et très-ferme en même temps. Pour mon compte, je vote sans réduction tout ce que demande le gouvernement pour nos possessions d'Afrique; et, en même temps, je conjure le gouvernement et la Chambre de bien considérer notre situation et la pente sur laquelle nous sommes placés. Il n'y a encore aucun parti fâcheux irrévocablement pris, aucune faute décisive; mais nous sommes, je le répète, sur une périlleuse pente; nous pourrions y être entraînés. »

Le président du conseil adoptait ce principe, que la Chambre devait soutenir et contenir. Un autre point qui réunissait aussi tous les suffrages, c'est qu'on pouvait discuter Alger à la tribune; qu'on pouvait discuter la conduite du gouvernement, des généraux, de l'armée elle-même. Le ministre s'était plaint seulement de paroles que M. Guizot avait si bien qualifiées du mot de paroles imprudentes. On était encore d'accord sur ce point, que le système d'emprisonnement des troupes françaises à Bone, à Alger, à Oran, était inadmissible. Mais où la divergence allait commencer, c'est lorsqu'on disait que le gouvernement était sur une mauvaise pente. M. Guizot avait parlé de deux systèmes; du système inquiet et agité, et du système paisible et tranquille.

« Le système inquiet et agité! disait le président du conseil. Si on l'avait bien défini, en caractères clairs, pratiques et reconnaissables, peut-être j'aurais accepté l'indication. Mais, je le demande, qu'appelle-t-on système inquiet et agité? Est-ce le système violent, conquérant, absurdement colonisateur, qui prodiguerait le sang français uniquement pour appuyer d'odieuses spéculations? Celui-là, je le repousse, le gouvernement n'en veut pas, dans aucun temps il ne l'a voulu, et il ne le voudra jamais. (Très-bien! trèsbien!),

>> Mais entend-on par système agité le système de la guerre? Messieurs, c'est celui qu'on nous a légué, celui qu'a trouvé existant le cabinet du 22 février.

Acceptant ces définitions de systèmes, quoiqu'elles ne fussent pas bien claires pour lui, M. Thiers déclarait qu'il aimait mieux le système prudent, le système lent, le système négociateur.

Mais, continuait-il', vous qui savez si bien les choses humaines, vous reconnaîtrez (car l'histoire est pleine de ces exemples) que la paix vient après la guerre, les négociations après la force. Le jour où nous aurons été assez heureux pour faire prévaloir d'une manière incontestable la puissance de nos armes, nous ferons la paix, nous nous montrerons civilisateurs ; après avoir été forts, nous tâcherons d'être doux et clémens. »

M. Guizot reconnut que tous les faits qui s'étaient accomplis en Afrique, et à raison desquels on demandait des supplémens d'hommes et d'argent, avaient eu lieu sous l'administration de l'ancien cabinet; mais il ajouta qu'il lui avait paru plus d'une fois, pendant qu'il avait l'honneur de siéger dans les conseils de la couronne, que l'esprit des instructions données au gouverneur des possessions françaises en Afrique, n'était pas parfaitement saisi, parfaitement' suivi. Le maréchal Clausel répliqua qu'il n'avait pas dépassé ses instructions; qu'elles étaient larges et élastiques. Il en avait usé pour faire respecter les armes de la France et venger l'échec de la Macta. Ayant vaincu l'ennemi, il l'avait poursuivi; c'était son devoir. Aujourd'hui que les succès de l'armée française étaient bien établis, la guerre ne se serait pas reproduite, si on n'avait pas retiré une partie des troupes.

Quelques points de la discussion générale, qui avait été fermée après ce dernier discours, furent repris dans la discussion des articles et quelquefois par les mêmes orateurs, sans qu'aucun argument nouveau se fit jour ni d'un côté ni de l'autre. Seulement, M. Jaubert mit encore moins de ménagemens qu'aucun des préopinans, dans l'expression de son opposition à l'occupation d'Alger. Il s'élevait contre les promenades militaires entreprises dans l'intérêt des colons et des brocanteurs de terres. Il soutenait que l'armée était décimée par les maladies sur cette terre maudite d'Afrique, Ann. hist. pour 1836.

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