sion du gouvernement russe, elles l'avertissaient qu'il y avait une opinion européenne avec laquelle il fallait compter. Là où les négociations étaient devenues impuissantes, c'était une raison de plus pour que les protestations nationales prissent une nouvelle et plus puissante énergie. D'ailleurs, il n'y avait plus de ménagemens à garder; après la confiscation et la déportation, il ne restait plus rien à craindre à la Pologne. M. de Lamartine ne venait pas combattre les éloquentes paroles du préopinant, les généreuses sympathies qu'il partageait lui-même; mais, comme membre de la commission, il repoussait les accusations de timidité, de lâcheté dont elle avait été l'objet pour avoir omis le nom de la Pologne. Considérant la question d'Orient dans un sens tout opposé à la thèse développée par M. Girardin, l'orateur pensait qu'on se faisait une vaine terreur des empiétements de la Russie dans ces contrées où elle ne pouvait que porter la civilisation pour l'Asie. Il élevait ensuite contre l'amendement différentes objections, qui furent appuyées par le rapporteur, M. Sauzet. Elles tendaient à engager la Chambre à se tenir sur la réserve. M. Barrot rentra dans la lice pour repousser ces objections, ettermina par ces paroles, quicontenaient quant au passé, quant aux faits accomplis en France, une déclaration remarquable de la part de l'un des chefs les plus éminens de l'opposition: Je n'ai pris aucune part à la dicussion sur la politiqne intérieure ; je sais accepter des faits accomplis, je sais prendre en politique un point de départ, et ne pas continuellement recommencer le passé, et renouveler des luttes qui sont terminées; mais, cependant, souvenez-vons que, lorsque nos luttes étaient les plus vives et les plus flagrantes, lorsque l'émeute grondait dans les rues, lorsque nous étions au milieu des violences des partis, dans cette situation fausse, inquiète, dangereuse, où tous les dangers et tous les embarras n'étaient pas seulement pour le pouvoir, et où nous aussi nous recevions tous les contre-coups de ces violences; eh bien! même dans ces temps, il y avait un point sur lequel nous étions d'accord, un sentiment, une nécessité que nons reconnaissions tous; ce sentiment, c'était un sentiment profond de sympathie pour la Pologne, et cette nécessité, celle de le proclamer bien haut, à la face de l'Europe, au nom de la nation que nous réprésentons. (Très bien! très-bien!) • Serait-il vrai qu'aujourd'hui que la tranquillité est rétablie, que les esprits sont calmes, nous n'avons plus ce sentiment généreux? Non; cela ne se peut pas. Non! (Très-bien!). Ce dernier effort de M. Odilon Barrot fut couronné d'un plein succès. L'amendement de M. de Mornay, mis immediatement aux voix, fut adopté à une assez forte majorité, au milieu de marques très-vives de satisfaction mêlées de quelques applaudissemens. Les ministres n'avaient pas pris pårt au vote. L'opposition avait intercalé 'sa phrase dans l'adresse ; le ministère parvint aussi à y mettre son mot. Au lieu de dire comme le portait le 11o paragraphe, qu'il appartenait à une politique généreuse et conciliatrice de rallier tous les Français autour du trône et des institutions de juillet, M. de Montépin proposait cette rédaction : « Il est plus que jamais convenable de persévérer dans une politique ferme, généreuse et conciliatrice. >> Le rapporteur donna sur le projet de la commission des explications dont il résultait qu'elle n'avait pas voulu provoquer une amnistie: le procés d'avril appartenait maintenant à la clémence royale; le droit de grâce était la prérogative du trône. Il y avait dans la Chambre des hommes qui appelaient l'exercice de ce droit ; ces sentiments étaient ceux de l'orateur, mais la commission avait dù s'abstenir de toute intervention et laisser à la prérogative royale tout le mérite du bienfait en lui en abandonnant la spontanéité. La commission et le gouvernement s'entendaient, ou à peu près, et c'est pour cela que le ministre de l'intérieur désirait que les termes de l'adresse exprimassent bien cet accord. Le gouvernement ne demandait ni éloge, ni ordre du jour motivé, mais une clarté qui rendît inutile plus tard un ördre du jour de ce genre. Le gouvernement, qui avait montré une douceur sans exemple dans les annales de l'histoire, suivant le ministre, était convaincu que, s'il fallait de la gé nérosité, il fallait aussi de la fermeté, il fallait les deux; il fallait la conciliation qui apaise et la fermeté qui contient les mauvaises passions. M. Sauzet consentit à ce que le mot ferme fût inséré dans le paragraphe. Dès le moment que l'idée de générosité s'y trouvait ainsi que celle de conciliation plus importante encore et plus politique, ce n'était pas la commission qui s'opposerait à ce qu'on engageât le gouvernement à garder de la fermeté. La commission ne voulait pas que le gouvernement fit des avances aux parties et se mît à genoux devant eux, pas plus qu'elle ne voulait que le gouvernement forçat ceux qui se rallieraient à se mettre à genoux devant lui. M. Sauzet, en terminant, insistait sur la suppression du mot persévérer, à laquelle le ministre de l'instruction publique, M. Guizot, adhéra, nonobstant l'opposition de M. de Montépin. Le ministre ne demandait rien de plus que l'adoption du mot ferme, qui maintenait à la politique du gouvernement le caractère dont elle avait eu et dont elle aurait encore long-temps besoin. C'est en définitive à l'addition de ce seul mot que se borna tout le changement que la Chambre fit au paragraphe, après avoir entendu M. Garnier-Pagès, qui avait passé en revue, à l'occasion de ce débat, les divers côtés de l'assemblée, tracé le rôle qu'ils lui semblaient jouer, invité le centre gauche à se montrer, à disputer le pouvoir au centre droit et à renverser le ministère, afin que d'autres hommes fissent tout le bien qui pouvait être fait, ou prouvassent qu'il ne pouvait l'être dans les conditions actuelles. M. Salverte proposa encore et développa un paragraphe additionnel, pour réclamer la proclamation d'une amnistie générale, et qui fut rejeté. C'est le dernier amendement d'une certaine portée politique sur lequel là Chambre eut à se prononcer. Votant enfin au scrutin secret sur l'ensemble de l'adresse, elle l'adopta à une majorité considérable (246 voix contre 67). Il n'y avait rien qui sortit des termes habituels dans la réponse du roi à cette adresse, non plus que dans celle qu'il avait précédemment faite à l'adresse de la Chambre des pairs. Le budget, dont la présentation passait ordinairement inaperçue dans le commencement de la session, et qui venait ensuite le dernier parmi les travaux de la législature, fat 1 cette année l'occasion des deux discussions que la Chambre des députés engagea immédiatement après l'adoption de l'adresse. La première de ces discussions, que l'autre effaça bientôt par l'importance de son objet et l'influence qu'elle eut sur le sort du ministère, fut amenée par une proposition que M. Pelet (de la Lozère) développa dans la séance du 14 janvier, et qui tendait à modifier quelques articles du réglement relatif à la composition des commissions des lois de finances. De l'adoption de cette proposition (20 janvier), telle que l'avait modifiée la commission chargée de l'examiner, il résultait que dorénavant la commission de la loi des comptes serait portée de neuf à dix-huit membres, et que la commission du budget ferait, outre un rapport spécial sur chaque ministère, un rapport unique sur l'ensemble de la loi des dépenses. 14 janvier. On a vu l'année dernière (1835, pag. 139) que l'opinion du ministre des finances, M. Humann, était arrêtée sur la réduction de la rente, que la Chambre avait été avertie par lui que le moment de tenter cette opération approchait, et qu'une loi à ce sujet serait probablement présentée dans la session suivante. Le ministre, en apportant cette année à la Chambre le budget de l'exercice de 1837, répéta que les circonstances semblaient favorables pour entreprendre la réduction de l'intérêt de la dette, et sans parler de la loi annoncée dans la session, précédente, il ajouta qu'en attendant que les convictions se ralliassent généralement à la mesure, il essaierait du moins d'empêcher qu'elle ne fût compromise, en disant sa pensée sur cette grande amélioration financière. « La réduction de la rente 5 p. 0/0, continuait-il, touche à des questions de droit et de fait : je m'expliquerai sur les unes et les autres. Le droit est sorti Victorieux de la discussion qui s'est engagée sur ce sujet en 1824; il a été démontré, alors, que la réduction de l'intérêt, quand elle ne se présente qu'avec l'alternative du remboursement du capital, se trouvait consacrée par l'esprit et la lettre même du contrat; il est demeuré constant que nos lois l'autorisent, qu'elles n'admettent point que le créancier puisse contraindre son déciteur à demeurer sous le poids d'un engagement sans terme. Aussi, la question du remboursement d'un fonds à son pair, ou de la diminution de l'intérêt, est-elle résolue dans toutes les convictions: les esprits se sont familiarisés depuis douze années avec les conséquences du crédit; le droit commun, le Code civil, toutes les règles qui gouvernent les relations du débiteur et du créancier, ont décidé le principe. (Sensation.) • La question d'équité ne présente pas plus d'incertitude que la question de droit. L'intérêt auquel le trésor peut obtenir les sommes nécessaires à son service est-il encore de 5 p. 0/0? Non certes. Quels sont les placemens de capitaux qui procurent un revenu aussi élevé? La propriété rend à peine 3 p. 0/0; les bons du trésor ne sont plus délivrés qu'à 2 p. 0/0; les caisses d'épargne, c'est-à-dire les économies de la classe la moins aisée de la société, n'ont obtenu un intérêt de 4 p. 0/0 qu'à titre d'encouragement; la rente 5 p. 0/0 eût dépassé le cours de 120 fr., si elle n'était remboursable au pair: enfin les prêts sur hypothèque, quand il s'agit de sommes importantes, se font à moins de 5 p. 0/0, et l'intérêt de ces placemens serait bien plus modéré encore, si notre régime hypothécaire présentait moins de complications. > L'équité du gouvernement doit s'étendre sans doute sur tous les intérêts; mais serait-ce donc en manquer que de rembourser à 100 fr. la rente émise, prix moyen à 73 fr., c'est-à-dire, après avoir servi pendant nombre d'années un intérêt de 6 fr. 80 c. par 100 fr., de restituer le capital reçu avec une addition de 37 p. 0/0? Ne serait-ce pas se montrer équitable envers les imposés, que de chercher à adoucir les conditions onéreuses que le trésor fut contraint de subir quand le malheur des temps lui en fit la loi? L'équité, comme la bonne politique n'est-elle pas de faire participer tour à tour tous les citoyens au bien-être comme aux charges du pays; et l'état, en maintenant l'intérêt de sa dette à un taux trop élevé, ne créerait-il pas lui-même un obstacle au développement de l'industrie et à l'aisance des propriétaires? > Politiquement, messiers, est-il besoin de signaler l'effet moral que cette opération produirait au dehors? Qui oserait douter encore des ressources et des destinées de la France, si on la voyait réussir, peu après une révolution, dans une entreprise qui marque le terme le plus élevé du crédit national? N'oublions pas que, de nos jours, le crédit financier sert d'appui à l'influence politique; car le crédit est une arme aussi; et cette arme, aucun pays ne la devrait posséder plus forte que la France. • Vous pressentez, messieurs, à quel point la réduction de l'intérêt de la dette accroîtrait nos ressources: l'économie qui en serait le fruit assurerait l'équilibre de nos finances, et nous permettrait de fonder, pour les entreprises d'utilité générale, un système d'encouragement qui donnerait une nouvelle et puissante impulsion aux progrès de la richesse. Les résultats économiques du projet sont palpables; aussi ne lui oppose-t-on que des considérations d'une autre nature, qui doivent être appréciées sans doute, mais auxquelles il ne faudrait pas subordonner entièrement les intérêts généraux du pays. Les conditions de l'opération décideraient, d'ailleurs, de l'impression des esprits; et comment celle-ci pourrait-elle être fâcheuse, si l'on procédait avec les ménagemens que l'équité et la bienveillance réclament, si l'Etat offrait aux rentiers tous les avantages compatibles avec le but qu'il s'agit d'atteindre ? L'énoncé de ces réflexions m'a paru nécessaire, vous les apprécierez dans votre sagesse. Le ministre des finances revint ensuite à l'exposé des motifs du budget, dans lequel il avait placé incidemment ces considérations sur la réduction de la rente, et dès qu'il eut Ann. hist. pour 1836. 3 |