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un terme aux conditions onéreuses qu'il avait souscrites? L'orateur faisait ensuite dériver l'utilité de la mesure de la nécessité de rétablir l'équilibre dans le budget, qui offrait annuellement un déficit de quinze à vingt millions, malgré la paix dont on jouissait et malgré toutes les élévations de produits qu'elle amenait. La Chambre avait été long-temps sous l'illusion de grandes économies, et l'on avait bien plutôt à craindre des augmentations que des diminutions de dépenses. Des créations d'impôts nouveaux ne présentaient pas moins de difficultés. Dans cette situation, si le remboursement de la dette devait mettre chaque année à la disposition de l'État de vingt à vingt-cinq millions, M. Gouin n'était-il pas fondé à dire qu'il fallait faire le plus promptement possible cette grande opé

ration ?

Une paix profonde régnait à l'extérieur; à l'intérieur, jamais on n'avait eu plus de calme et de tranquillité, tous les esprits tendaient à se rapprocher, l'industrie était active et prospère, les récoltes étaient abondantes depuis plusieurs années; tous ces faits, que le gouvernement avait lui-même proclamés récemment, démontraient l'opportunité de la

mesure.

Quant aux bases sur lesquelles il proposait d'asseoir le remboursement de la rente, l'honorable membre croyait inutile d'en entretenir long-temps la Chambre. Le mode d'exécution serait plus tard l'objet d'un examen spécial. Ce qu'il réclamait d'elle, c'était une adhésion formelle et précise au remboursement de la dette; c'était une manifestation non équivoque qui fixat enfin l'incertitude des rentiers et fit entrevoir aux contribuables la réalisation très-prochaine d'une mesure qui leur était si favorable. Il laissait le ministère juge du moment convenable pour agir.

M. Benjamin Delessert, en remplaçant le préopinant à la tribune, ne venait pas discuter le droit que l'état pouvait avoir de rembourser une rente perpétuelle; il ne répéterait pas les argumens présentés en 1824 et en 1825, par les plus illustres membres de l'opposition de cette époque, et, entre autres par le général Foy, et qui mettaient en doute ce droit, surtout à l'égard des porteurs de titres originaux d'inscriptions de tiers consolidé, qui avaient déjà subi la banqueroute des deux tiers; l'orateur annonçait qu'il se bornerait à examiner les avantages et les inconvéniens de la mesure proposée.

Suivant lui, c'était par erreur qu'on avait parlé d'une économie de 28 à 30 millions. Si l'on réduisait l'intérêt de 5 à 4 pour cent, cette économie ne serait que de 21 millions, et voici comme il le démontrait :

« Nous voyons, page 452 du compte des finances de 1834, que la totalité des rentes 5 p. 0/0 était, au 1er janvier 1834 de 146 millions, dont il faut déduire 41 millions pour les rentes qui appartiennent à la caisse d'amortissement et des consignations, à la Légion-d'Honneur, aux invalides de la marine, aux caisses des retraites, aux communes, aux établissemens de bienfaisance, etc.; quelques personnes pensent que ces rentes doivent subir la réduction comme les autres; mais ils n'y ont certainement pas assez réfléchi. La Légion-d'Honneur a une inscription de 6,700,000 fr. Si vous la réduisez d'un cinquième, ce sera une perte de 4,340,000 fr., dont il faudra l'indemniser; car il ne peut entrer dans vos idées de lui faire banqueroute de cette somme; il en est de même de l'inscription de 4,200,000 fr., appartenant aux invalides de la marine, et de toutes les autres dont j'ai parlé. La réduction ne peut donc se faire que sur 405 millions de rentes, et l'économie ne sera que de 21 millions si l'on fait toute l'opération à la fois, ou seulement de 2 millions par an si on met les rentiers en coupes réglées, en les remboursant par séries de dix années. (Mouvement d'hilarité.) »

La réussite du projet de conversion paraissait fort incertaine à M. Delessert. Le plan de réduction une fois arrêté, si les rentiers n'y trouvaient pas leur compte, on les verrait s'empresser de vendre leurs rentes, ce qui ferait baisser le cours et rendrait l'opération impossible. L'orateur citait les fâcheux effets des efforts tentés pour réduire la dette sous le ministère de M. de Villèle, rappelait que les conversions en Angleterre avaient rencontré de grandes difficultés, et montrait que l'un des résultats de l'opération serait de réduire d'un cinquième les dépenses de 180,000 propriétaires, de leur ôter à chacun, en moyenne, 100 francs de revenu et de ne leur laisser que 400 francs de rente. Un autre grave in. convénient de la mesure serait de donner un nouvel aliment aux jeux de bourse et à l'agiotage. Enfin elle affecterait une classe nombreuse de la société, composée de vieillards, de veuves, d'orphelins et de mineurs; elle occasionerait de la gêne dans les fortunes particulières et une grande perturbation dans les transactions de toutes espèces.

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L'honorable membre était loin de dire cependant qu'il fallait renoncer à toute conversion. Il serait imprudent de tenter une aussi vaste opération dans ce moment; on était encore trop près d'une époque de troubles, d'émeutes, de machines infernales, et il n'y avait pas si long-temps que la rente 5 pour cent était encore au dessous du pair. Mais il était probable que dans un an, si on avait le bonheur de conserver la paix intérieure et un ministère jouissant d'une confiance générale et bien méritée, une mesure de ce genre pourrait se faire sans danger.

M. Audry de Puyraveau votait en faveur de la conversion, sans annuités, ne comprenant pas ce moyen détourné de continuer à payer 5 pour cent d'intérêt quand on pouvait ne payer que 4, et d'enlever par là en six années 150 millions aux contribuables. Selon M. Duchesne, le remboursement ne produirait qu'un bénéfice de 10 à 12 millions, et d'ailleurs plusieurs raisons s'opposaient à ce que cette mesure fût adoptée, du moins, quant à présent. D'abord il y avait un déficit, et ce serait un mauvais moment pour emprunter; ensuite, il fallait prendre garde qu'il y avait pour 49 millions de rentes dans les départemens où l'intérêt était habituellement à 5, et une réduction exciterait d'autant plus de murmures, que la loi fixait à 5 l'intérêt légal.

Puisque la proposition du remboursement de la rente avait été faite, que tous les bureaux en avaient autorisé la lecture, que le débat était ouvert, M. Passy soutenait que la Chambre ne pouvait pas laisser la question pendante, ni s'abstenir de la décider en principe sans exposer le pays et les

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rentiers à de déplorables inconvéniens. Il croyait que l'opportunité de la mesure existait pleine et entière à l'ouverture de la session; il croyait qu'il était possible alors, si le cabinet avait été d'accord sur la conversion, et déterminé à l'effectuer, de l'accomplir dans le cours de l'année. L'opportunité réelle, qu'était elle, sinon l'absence d'obstacles de nature à empêcher l'opération de réussir? De tels obstacles étaient nécessairement financiers ou politiques. Or, l'orateur n'en voyait de sérieux ni de l'une ni de l'autre espèce. Les capitaux abondaient, et l'horizon politique au dedans comme au dehors était à peu près sans nuages. Arrivant aux obstacles intérieurs, c'est-à-dire le mécontentement présumé des rentiers, M. Passy demandait d'abord si les rentiers pouvaient arguer de l'ignorance cù ils étaient du projet de conversion. Tous les ans, depuis 1833, ils avaient été avertis clairement, nettement, des vues du ministre des finances; et certes, le 5 pour cent aurait suivi le cours de progression des autres fonds, il serait arrivé à 127, si les avertissemens n'eussent porté leurs fruits. Au surplus, le mécontentement des rentiers dépendrait principalement du mode de remboursement. Si les conditions du remboursement étaient bonnes, si elles étaient ce que désiraît l'orateur, d'une certaine libéralité envers les rentiers, ceux-ci n'auraient pas de graves sujetsde mécontentement.

A M. Passy succéda le ministre de l'intérieur, qui, avant de développer les motifs de la résolution adoptée par le ca binet, après de profondes délibérations, se hâta de la résumer en peu de mots. Ainsi, d'accord avec l'unanimité de tous ses collègues, M. Thiers regardait la mesure proposée 1o comme fondée en droit; 2o comme renfermant une ressource utile, digne d'être prise en considération, quoique moindre que celle qu'on imaginait; 3o comme inévitablement amenée par le temps. Telle était son opinion, telle était celle de tous ses collègues. Mais, en trouvant la mesure fondée en droit, ils la trouvaient aussi très-dure; en la ju

geant utile, ils croyaient cependant que, tentée prématuré ment, elle pourrait compromettre au plus haut degré le crédit de la France; ils pensaient enfin qu'elle était actuel lement impraticable. Voilà les trois points principaux que le ministre se proposait de développer. A cet effet, il établissait de nouveau que, sur les 147,846,000 fr. de rentes 5 pour cent inscrites au grand livre, 40,619,000 n'étaient pas passibles de la réduction. Elle ne pouvait donc plus porter que sur la somme de 106,227,000 fr.; le cinquième de cette somme donnait 21,245,000 fr., dont il fallait en core déduire les annuités qu'on se proposait d'accorder en indemnité aux rentiers; ce qui, dans les calculs du ministre, ne laissait plus qu'un bénéfice certain de 15 millions

• On a fait une moyenne, continuait M. Thiers, pour donner une idée de ce que les rentiers ont gagné depuis vingt ans, on a dit: en 4814 il n'y avait que 63 millions de rentes, la plus grande masse de rentes a été émise depuis, il en a été émis 118 millions au cours moyen de 73; on a gagné 37 p. 0,0 sur le capital; on a reçu les intérêts à 5 et à 6 p. 0,0, et par conséquent on peut aujourd'hui supporter la réduction sans se plaindre.

Eh bien! inessieurs, savez-vous ce qu'on fait avec des moyennes! On efface la douleur des uns par la satisfaction des autres, et l'on arrive à quel que chose qui n'a ni sens, ni couleur, ni réalité. (Sensation.) S'il est vrai qu'une partie de la rente a été acquise à 55 fr., il est vrai encore que la plus grande partie a été acquise très-près du pair. Et malheureusement ce sont les spéculateurs qui ont acheté bon marché, et qui ont revendu cher aux renfiers; et la moyenne présentée, en effacant la perte des uns par le bénéfice des autres, ne donne aucune idée de la réalité. »

Excepté en 1850 et en 1831, depuis quatorze ans, la rente était près du pair, et en quatorze ans, une grande partie du grand livre s'était renouvelée. Ce grand livre était tout plein de rentiers qui avaient acheté à 95, à 98, à 100 même et au dessus. Le bénéfice de l'élévation de la rente de 55, de 60 jusqu'à 95 et roo, avait été fait par les compagnies beaucoup plus que par les rentiers eux-mêmes.

Le grand livre, messieurs, permettez-moi cette comparaison, disait to ministre, est comine le sol français, il est très-divisé. Notre grand livre c'est l'image de notre sol. Pour le sentir, il n'y a qu'à prendre le grand livre anglais et le comparer au grand livre français.

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Voici un état du grand livre anglais qui remonte à 1830; nous n'en avons pas de plus récent, niais vous comprenez que les états ne changent pas sonsiblement en cinq ans.

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