Images de page
PDF
ePub

CHAPITRE VII.

ESPAGNE. Troubles à Barcelone. - Massacre de prisonniers. - Insurrection au nom de la constitution de 1812. - Débats à ce sujet dans la Chambre des procérès. - Loi électorale. - Dissolution de la Chambre des procuradorès. - Opérations militaires en Navarre. - Coopération de la marine anglaise. - Exécutions de prisonniers. - Troubles à Valence et à Sarragosse. - Décret qui met les biens nationaux en vente. Décret relatif à la dette non encore consolidée. - Décret qui autorise le rachat de toutes les redevances appartenant aux anciennes communautés religieuses. Décret qui supprime tous les couvens. nistérielles.- Ouverture de la session. Composition du bureau de la Chambre des procuradorès. - Adresse de cette * Chambre. Duel de M. Mendizabal et de M. Isturitz. - Adresse de la Chambre des procérès. - Nomination de plusieurs ministres. - Détails divers. Révolution ministérielle. - Opposition de la Chambre des procuradorès au nouveau ministère. Dissolution de cette Chambre. - Décret relatif aux élections.

Elections. Négociations mi

Discours de la couronne.

Tandis que les deux Chambres retentissaient, dans la discussion du vote de confiance, de phrases pompeuses sur la soumission des juntes, sur le rétablissement de l'ordre et de la paix, sur la réconciliation des esprits, une des plus horribles tragédies qui eussent encore souillé la guerre civile, en Espagne, allait s'accomplir à Barcelone. Une sourde fermentation qui régnait déjà depuis quelques jours dans cette ville, prit un nouveau degré d'intensité à la nouvelle que, sur plusieurs points de la Catalogne, de nombreux prisonniers avaient été fusillés par les carlistes. Pendantla soirée du 3 janvier, quelques groupes se formèrent, à cette fin, disait-on, de réclamer le châtiment prompt et exemplaire des factieux détenus dans les différens châteaux forts de la ville. Cependant, les groupes se dispersèrent d'eux-mêmes et sans avoir agi. Le lendemain 4, on apprit que quelques chefs carlistes s'étaient évadés de prison; le peuple murmurait

hautement. Une décision du conseil de guerre, qui s'était tenu dans la journée, vint porter au comble l'exaspération publique. Ce conseil s'était contenté de condamner à quelques années de déportation des carlistes convaincus d'avoir commis des actes d'atrocité, d'avoir crevé les yeux à des femmes. A peine la sentence fut connue, que des bandes armées se mirent à parcourir les différens quartiers de la ville, en criant: « Mort aux carlistes!» Ces hommes appartenaient presque tous au 12° bataillon de la garde nationale, dit le bataillon des blouses. Bientôt la nuit arriva; les rassemblemens devinrent de plus en plus menaçans; on battit la générale; les troupes se réunirent à la hâte et se portèrent sur les points où les groupes étaient plus nombreux. En ce moment, le peuple assiégeait l'hôtel de la capitainerie générale, et il demandait à grands cris que l'on fusillat tous les prisonniers carlistes. Espérant calmer cette multitude en fureur, le général Alvarez, qui commandait en l'absence de Mina, promit l'exécution pour le lendemain. « A l'instant même,» répliquèrent des milliers de voix. Le général refusa. Alors un cri de guerre s'échappa du sein de cette masse d'hommes armés : « Allons donner l'assaut à la citadelle !» Comme le pont-levis avait été levé, on apporta des échelles qui furent disposées dans les fossés; les assaillans, éclairés par des torches, parvinrent sans peine à escalader la citadelle, dont la garnison ne mit aucun obstacle à leurs efforts, et ils se ruèrent vers les cachots.

Le colonel O'Donnell, pris à l'affaire d'Olot (voyez 1835 page 628) est le premier qui tombe sous le fer de ces forcenés. On le lance du haut des remparts, à la populace, qui se jette avec des hurlemens de rage et de joie sur cette proie sanglante. Une corde est attachée aux pieds du cadavre, et, après l'avoir traîné dans toutes les rues, on brûle ces restes horriblement mutilés, sur la même place où avait été brûlé le général Bassa (voyez 1835, page 561). En même temps d'épouvantables scènes de meurtre et de désolation se pas

saient dans les prisons de la citadelle, où l'on fusillait de malheureux prisonniers sans défense. Aux cris de détresse des victimes, aux vociférations des assassins, se mêlaient les hurlemens du peuple au dehors, qui répondait par un houra à chaque nouveau coup de fusil. Le pont-levis ayant été abaissé, la multitude, maîtresse absolue de la citadelle, y poursuivit avec acharnement cette œuvre de destruction. Des malades mêmes reçurent la mort sur leurs lits de douleurs. Ainsi périrent cent vingt prisonniers environ. Le massacre, qui avait commencé vers huit heures du soir, durait encore à minuit. La garde nationale et la troupe de ligne, sous les armes, stationnaient tranquillement sur divers points, sans faire la moindre démonstration pour arrêter le torrent populaire.

De cette sanglante émeute, Barcelone faillit passer à une révolution. Le 5, à sept heures du soir, la pierre de la constitution fut solennellement inaugurée sur la place du palais, au bruit des vivats et des coups de fusil. La garde nationale vint se ranger sur cette place; mais elle n'était pas animée d'un sentiment unanime. Pendant que quelques bataillons faisaient, à la clarté des torches, des évolutions autour du monument improvisé, la cavalerie semblait disposée à prêter main forte à l'autorité. On avait dit, d'un côté, au général Alvarez que toute résistance était inutile, que la garde nationale en masse était décidée à proclamer la constitution, ct de l'autre, qu'il n'y avait que quelques anarchistes qui la demandaient; ce général descendit sur la place pour s'assurer du véritable état des choses. S'étant en effet convaincu qu'il s'en fallait de beaucoup que la proclamation de la constitution fût décidément dans les vœux de l'opinion générale, il ordonna à ceux des gardes nationaux qui étaient pour le gouvernement de se ranger de son côté. Cet ordre donné avec énergie produisit une vive impression. Toute la garde nationale à cheval y obtempéra à l'instant même, et les deux tiers des bataillons suivirent ce mouvement. Cependant,

on éteignait les flambeaux qui illuminaient la pierre de la constution; cette pierre elle-même était descendue de son piédestal. Quelques mutins armés tenaient encore et faisaient mine de vouloir résister. Le général Alvarez s'avança vers eux, à la tête d'un escadron et d'un bataillon de la garde nationale, fit charger les armes et mettre en joue, en criant avec force: « Que ceux qui sont pour la constitution, se déclarent. » Aucune voix ne s'étant élevée, l'ordre fut donné à la cavalerie de balayer la place et ses avenues. Le peuple se dispersa, les bataillons, qui n'avaient pas osé se prononcer pour la constitution, commencèrent à défiler, et chacun regagna ses foyers.

Le lendemain parurent des proclamations émanant de la municipalité et de la capitainerie générale, pour féliciter la garde nationale de sa sagesse, de sa prudence et de son patriotisme; recommander la fidélité à la reine, déclarer subversif tout cri proféré contre le système du gouvernement, autoriser à dissoudre tous les rassemblemens par la force, et annoncer qu'une commission militaire jugerait les contrevenans. On procéda immédiatement à de nombreuses arrestations; les chefs du mouvement insurrectionnel furent mis à bord d'un vaisseau et déportés.

Instruit de ce qui se passait à Barcelone, le général Mina y revint en toute hâte le 6 au soir, et publia aussi une proclamation, dans laquelle il disait : « Isabelle II, liberté, ordre public! telle est ma devise. Loin d'ici quiconque proposerait d'autres principes; leur refuge doit être parmi ces hordes d'assassins qui invoquent d'autres noms et qui veulent que la loi sévisse contre eux. >> Mina ne se borna pas à cette désapprobation énergique des partisans de la constitution; il désigna le 12o bataillon de la garde nationale, dit des blouses, pour faire partie d'une expédition qui allait être envoyée contre les carlistes, et décréta que tout individu de ce bataillon que l'on trouverait en ville, après le départ de ce corps, serait passé par les armes.

Lorsque la nouvelle de ces troubles fut transmise aux cortès, une proposition fut faite par quelques membres de la Chambre des procérès, d'adresser à la reine une pétition dans laquelle les procérès auraient dit que, cédant au sentiment d'une douleur et d'un chagrin profonds, ils venaient aux pieds du trône de S. M. pour obtenir que son gouvernement fit une communication à la Chambre sur les déplorables événemens de Barcelone, et pour offrir à S. M. leur coopération, si elle était jugée nécessaire à la défense des lois et de l'ordre public. M. Mendizabal, président du conseil, déclara que le gouvernement et la partie raisonnable du peuple espagnol avaient été affectés de la même manière que la Chambre des procérès par les événemens de Barcelone, que toutes les mesures avaient été prises pour éviter la répétition d'événemens aussi scandaleux, que d'ailleurs le temps n'était pas venu de donner les explications, de communiquer les renseignemens demandés, et que le gouvernement croyait n'avoir pas besoin en ce moment de la coopération offerte par la Chambre. La proposition fut retirée.

La discussion de la loi électorale, dans la Chambre des procuradorès, mettait le ministère aux prises avec de plus sérieuses difficultés. D'après le projet de loi tel qu'il l'avait présenté à cette Chambre, seraient électeurs tous les Espagnols âgés de ving-cinq ans qui feraient partie des plus imposés de la province, qui exerceraient certaines professions ou fonctions libérales, qui jouiraient d'un certain traitement de retraite, et enfin les officiers de la garde nationale à partir du grade de capitaine. Il y aurait un député par 50,000 âmes. Les conditions d'éligibilité à la députation étaient fixées comme il suit: être espagnol, libre et d'état séculier; être âgé de vingt-cinq ans; posséder un revenu de 6000 réaux (1500 fr.), ou un capital de 240,000 réaux, ou vivre d'une manière indépendante et honorable par l'exercice d'une profession libérale, ou recevoir du trésor royal un traitement de retraite ou d'activité de 14,000 réaux. Les fonctions de député aux

« PrécédentContinuer »