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> En Angleterre, en 1830, 700 millions de rentes se divisaient en 274,000 parties prenantes.

Eh bien! en France, le grand livre, déduction faite des établissemens généraux, qui appartiennent à tout le monde, présente un total de 140 ou 442 millions appartenant à des particuliers, qui se partagent entre 293,000 parties prenantes. Ainsi vous avez ce résultat :

En Angleterre, 700 millions et 274,000 parties prenantes
En France, 140 millions et 293,000 parties prenantes.

» C'est l'image du sol anglais, de la grande propriété anglaise. »

Ce chiffre montrait que la Chambre dans l'opération qu'elle voulait faire, 'rencontrerait presque exclusivement la petite propriété. M. Thiers savait bien que ce chiffre ne disait pas tout ce qu'il avait l'air de dire; mais, même en l'atténuant beaucoup, on lui trouverait encore une importance immense. Sur 245,000 parties prenantes, il y en avait 226,000 portées pour une somme qui ne dépassait pas 1,000 fr. de rente. Sans doute, il y avait des porteurs qui possédaient plusieurs inscriptions, ou qui avaient en outre quelque fortune.

Soit, j'accorde cela, disait l'orateur; le chiffre ne vaut pas tout ce qu'il semble valoir; 'et si, en effet, sur 245,000 parties prenantes, il y en avait 226,000 qui n'eussent que 3, 4 ou 500 francs de rente, je défierais de les ré duire; ce serait une mesure atroce, odieuse, intolérable, quelque incontes table que fût le droit!» (Mouvement en sens divers.)

Mais, même en réduisant ce chiffre de 100,000 individus, il en resterait toujours 126,000 sur lesquels l'opération peserait de tout son poids; 126,000 individus répartis dans toute la France; car il ne s'agissait pas de Paris seulement, mais de toute la France, et voici comment le ministre le démontrait:

Il y a 17 millions inscrits sur les petits grands livres; il y a 32 millions inscrits à Paris, mais payables dans les départemens, cela fait 49 millions. Il y a ensuite une quantité de rentes qui sont inscrites à Paris sous le nom de fondés de pouvoirs ou de banquiers, et qui appartiennent encore à des étrangers, ou aux provinciaux. Ainsi, je dis que plus de la moitié des rentes appartiennent aux provinces. Car sur les 147 millions, il y en a 20 aux étrangers, 27 à des établissemens généraux, et les 100 autres se répartissent, comme je viens de dire entre la capitale et les départemens. »

Les rentiers étaient à peine avertis. Le gouvernement, qui jouissait à peine depuis quelques mois d'un repos complet,

avait eu peur de froisser des intérêts respectables. Il fallait avoir le temps d'imaginer un système de dédommagement qui satisfit les rentiers. Si, d'après l'inspection générale des faits, d'après l'ensemble des choses, on pouvait conclure que l'intérêt était au dessous de 5 pour cent, il serait trèsimprudent de conclure qu'il était à 4. Il s'agissait d'une opération énorme, qui n'allait à rien moins qu'à remuer deux milliards, sur lesquels il y aurait peut-être 2 à 300 millions qui voudraient se retirer, et qu'il faudrait emprunter. De là des difficultés, des incertitudes, des chances de bourse incalculables. Enfin, dans l'état des choses, lorsqu'une loi affectait l'amortissement à la consolidation de la dette flottante jusqu'en 1838, l'opération était actuellement impraticable; elle ne le serait qu'au commencement de 1838: il n'était donc pas nécessaire de prendre une décision cette année.

Tous ces inconvéniens, qu'il s'était appliqué à démontrer avec toute la facilité, toute la lucidité d'esprit qu'on lui connaissait, dans un discours qui avait duré deux heures, M. Thiers pensait, qu'ils seraient moindres et peut-être nuls l'année prochaine. Alors, le gouvernement et la Chambre aviseraient. Quant à présent, le ministère ne pouvait prendre un engagement à époque fixe, ni l'accepter de la loi.

Auteur d'une proposition analogue à celle de M. Gouin, et qui tendait à la conversion du 5 en 4 1/2 avec garantie contre tout remboursement pendant dix ans, M. F. Bodin réservait pour un autre temps ce qu'il y avait de bon à dire en faveur de son système. Il désirait que le principe du remboursement fût arrêté dans une loi qui, laissant au ministère le choix du moment et des moyens d'exécution, serait un avertissement solennel pour la nation. L'honorable membre s'efforçait ensuite de prouver qu'il n'y avait pas de quesrion de cabinet dans le débat actuel.

Après avoir partagé l'entraînement, l'enthousiasme avec lesquels la Chambre et le pays avaient accueilli la proposi

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tion, M. de Lamartine, en examinant plus sévèrement ses convictions, avait trouvé qu'il était, comme le pays tout entier, sous l'empire d'une déception complète, et qu'il n'y avait dans tous les projets présentés qu'une mesure inique, illusoire et souverainement impolitique. Il niait que l'état pût invoquer le droit commun, le Code civil vis-à-vis de ses créanciers. On se récriait contre les bénéfices énormes des rentiers: mais n'était-on pas trop heureux qu'ils eussent apporté leur argent à l'état dans des jours de crise? Les acquéreurs de biens nationaux n'avaient-ils pas fait aussi des fortunes scandaleuses? D'ailleurs, à côté des bénéfices combien de pertes! Il y avait dans la proposition une secrète jalousie contre ceux qui s'étaient enrichis à la bourse et c'était là un instinct de nivellement démocratique dont la Chambre devait se méfier. « Plus cette mesure est aveuglément populaire, ajoutait l'orateur, plus nous devons l'approfondir et lui résister. Queles électeurs fassent ce qu'ils youdront, nous sommes ici pour servir nos consciences et non leurs passions. S'ils me commandaient jamais un pareil yote, je leur dirais : cherchez ailleurs des hommes qui consentent à faire de la popularité aux dépens de la justice, et du crédit par une banqueroute masquée. » L'orateur admettait que l'état pouvait se libérer, mais par des voies hon; nêtes et d'accord avec ses créanciers; et il se proposait de présenter un projet de libération qui ne coûterait rien à la probité nationale.

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Répondant d'abord au préopinant, qui avait appelé la réduction de la rente une grande iniquité, M. Humann, dont la parole en cette circonstance était attendue avec un vif sentiment d'intérêt et de curiosité, rappela que la loi du 24 août 1793, qui avait fondé la dette publique et le grand livre, avait réservé formellement à l'état le droit de rembourser. Dans le titre XLIV de cette loi, le mot remboursement se trouvait énoncé six fois. Le Code civil avait depuis confirmé ce droit, et la lettre même du contrat le consacrait.

• Le système des emprunts à capitaux fictifs est bien simple, disait M. Humann. L'Etat ne peut procéder aux remboursemens qu'à la condition d'ac quitter tout le capital dont il s'est déclaré débiteur; ainsi, tant que que la rente émise n'a pas atteint le pair, l'Etat rachète; mais, quand le pair est dépassé, la rente prend le caractère d'un effet à terme arrivé à échéance, et le créancier se trouve incessamment en demeure de recevoir son remboursement. Il faut, messieurs, qu'il en soit ainsi; car, comme on ne peut racheter qu'autant qu'il y a des vendeurs, l'Etat, s'il était dessaisi du droit de remboursement, se trouverait à la merci des rentiers. Il dépendrait d'eux de charger le Trésor d'une redevance qu'ils perpétueraient à leur gré): à de telles condi tions, le système de la dette rachetable serait la combinaison la plus funeste inventée pour le malheur des peuples. » (Très-bien! très-bien!)

La question se réduisait à savoir, si l'état trouverait aujourd'hui à emprunter à moins de 5 pour cent les capitaux nécessaires pour rembourser par séries la rente constituée au denier vingt. Or, M. Humann était certain qu'un em, prunt en 4 pour cent eût pu être adjugé facilement à 98 fr. On avait parlé de rentes provenant de la liquidatiou du tiers consolidé. En les exceptant, les résultats de l'opération n'en seraient guère affaiblis; car on ne trouverait pas sur le grand livre 100,000 fr. de rente de cette origine, appartenant encore aux liquidés ou à leurs héritiers. En faisant la statistique du grand livre, le ministre de l'intérieur, qui repoussait les moyennes, n'avait pas cependant présenté autre chose. Son résumé de la situation de la dette, 140 millions de rentes, 293,000 parties prenantes, et 226,000 rentiers, ayant un revenu de 1,000 francs et au dessous, avait un un côté faible, il indiquait le nombre des inscriptions et non celui des rentiers.

Sans vouloir hasarder un chiffre, poursuivait M. Humann, j'ai la per suasion que ce chiffre de 226,000 peut être en réalité réduit au tiers, et que le nombre des rentiers n'est guère que de cent mille. Et remarquez qu'en ré duisant le diviseur, la moyenne du revenu augmente en proportion, et que, de 1,000 francs, elle s'élève à 2,800 francs, ou à 3,800 francs. Ces considérations, au surplus, ne sont pas déterminantes; la mesure est-elle juste, est-elle utile et praticable? voilà toute la question.

• Pour contenter M. Delessert, il faudrait assurer aux rentiers un revenu inviolable. Mais à quel titre leur attribueriez-vous cette immobilité de revenu? Ceux qui placent leurs fonds sur des effets à terme, sur des bons du Tresor, par exemple, n'ont-ils pas vu leur revenu décroître? La concurrence n'abaisse-t-elle pas incessamment les bénéfices de l'industrie? Et qui donc dédommage le laboureur, quand le bas prix des denrées trompe ses calculs, ou que l'intempérie des saisons détruit ses espérances? (Mouvement.) Vous parlez de souffrances et de douleurs! mais vous imaginez-vous que cette triste condition de l'humanité n'atteint que les porteurs de rentes? Savez-vous le

surcroît de misère qui se révèle dans nos campagnes quand vous aggravez le poids des charges publiques? (Nouvelle sensation.) Il vous est loisible sans doute, il vous est honorable de faire de la philanthropie locale; mais l'homme associé au Gouvernement, celui surtout qui est chargé de la pénible mission d'administrer les finances, doit être juste envers tous. Et le serait-il, je vous le demande, s'il pratiquait votre théorie de faire payer trop aux contribuables, afin d'accroître les consommations des rentiers?

La société, messieurs, n'a ni le pouvoir ni le droit d'assurer les revenus individuels; elle ne peut, sans injustice, perpétuer en faveur d'une classe de citoyens des avantages qui tournent au préjudice de toutes les autres. (Approbation aux extrémités.)

Quatre opérations de réduction avaient eu lieu en Angleterre depuis 1822. Deux d'entre elles embrassaient chacune des sommes de trois et demi à quatre milliards de francs en capital. Elles s'étaient toutes terminées en moins de trois mois et sans la moindre difficulté.

Abordant ici cette objection de M. Delessert, que l'économie qu'on espérait de la réduction était fictive, M. Humann établissait que son plan laissait une économie effective de 17, 247, 500 fr., toute addition de capital provenant des annuités, compensée. Les annuités ne fourniraient pas de nouvel aliment à l'agiotage; car l'agiotage s'exerçait sur des effets rachetables à capital nominal, et dont le cours était encore éloigné du pair; il n'en était pas ainsi des effets à échéance fixe, et qui ne présentaient aucun caractère aléatoire.

Le ministre de l'intérieur avait dit au nom du cabinet: « L'opération nous faisait peur. >>> La peur, répliquait M. Humann, ne raisonne pas, elle enfante des fantômes. Le projet de loi préparé par lui, donnait au gouvernement une faculté dont il n'aurait fait usage qu'autant que la situation du pays fût demeurée prospère. Le temps, les conditions, les termes assignés aux rentiers pour faire leur déclaration, en un mot, tous les moyens d'exécution devaient être réglés par des ordonnances. En outre, c'était seulement pour l'année prochaine et non pour celle-ci que M. Humann avait voulu assurer la mesure.

On avait dit aussi : Vous ne trouverez pas d'argent

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