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de même à l'égard de Boireau, qu'il avait affecté de traiter comme un jeune homme étourdi et bavard, et dont il avait toujours nié la complicité. Mais il ne tarda pas à revenir aussi sur ses premières dénégations. Interrogé de nouveau sur la nature de ses relations avec Boireau, il donna des détails, dont il résultait d'abord qu'il lui avait emprunté un foret, sans l'instruire de l'usage qu'il en voulaît faire, et que ce foret lui avait servi à percer trois canons de fusil qui n'a vaient pas de lumières.

Fieschi avait fini par avouer qu'il était convenu avec Pépin et Morey que, le lundi 27 juillet au soir, entre sept et huit heures, Pepin viendrait se promener à cheval en face du Jardin Turc et de sa croisée, à lui Fieschi, afin qu'il dis rigeât ses canons de fusil à la hauteur d'un cavalier chemipant sur la chaussée.

La parole donnée ne fut pas tenue, dit le rapport, Pepin ne parut pas; la machine n'en fut pas moins ajustée, parce qu'il passa diverses personnes à cheval; mais Fieschi aurait désiré voir venir Pepin, pour s'assurer que chacun faisait son métier, c'est-à-dire, selon lui, que chacun se prêtait à la circonstance de l'attentat que, depuis quatre mois, Pepin, Morey et lui avaient tramé. • Comme Fieschi cherchait à se fuir lui-même et à s'étourdir sur le mal qu'il devait faire le lendemain, il entra au café des Mille-Colnnnes. Il s'amusait à voir jouer au billard, lorsque Boireau arriva auprès de lui comme un homme furieux, très-content d'avoir appris par Pepin que, le lendemain 28, Fieschi devait se servir d'une machine qu'il avait faite pour tirer sur le Roi, sa famille et son escorte. Quand Fieschi eut entendu ces paroles, il se mit en colère et s'étonna que Pepin eût confié une affaire si grave à Boireau. Celuici dit alors à Fieschi qu'il était venu à cheval, entre sept et huit heures, sur le boulevard, se promener devant le Jardin Turc, et lui demanda s'il l'avait aperçu. Il raconta que Pepin, qui était malade, l'avait envoyé à sa place. »

Le 28 juilllet au matin, Boireau était de nouveau sur le boulevard du Temple; il rencontra Fieschi et lui dit; «Nous serons tous par-là et nous attendrons l'affaire. » Cette circonstance peut expliquer en partie ce passage du rapport;

Des dépositions établissent que, le 28 juillet, sur le boulevard du Temple, après la détonation de la machine infernale, plusieurs hommes armés se trouvaient réunis. Les uns, pour se dérober aux recherches de la police, se sont jelés dans des boutiques; d'autres ont précipitamment changé de vêtemens, on quitté les blouses ou les pantalons de toile qui recouvraient leurs habits. Dans la rue Meslay, plusieurs d'entre eux voulaient dételer une voiture pour commencer une barricade. Sur d'autres points, des individus apostés semblaient, en apparence, attendre un événement, et prédisaient à l'avance un attentat contre la vie du Roi, ou se permettaient d'insulter grossièrement, après le fait accompli, ceux qui se félicitaient de ce que les intentions parricides des auteurs du crime avaient manqué leur effet. Ces fails ne seniblent-ils pas indiquer qu'un certain nombre de personnes étaient averties, sinon de ce qui devait se passer et des moyens qui devaient être employés contre la vie du Roi, du moins d'une catastrophe imminente, pour laquelle il fallait qu'elles se tinssent prêtes et en armes ? »

D'autres dépositions avaient donné à croire que Fieschi n'était pas seul dans sa chambre au moment de l'explosion de la machine infernale. Ces dépositions, quoique faites de bonne foi, avaient dû être écartées devant les élémens de la procédure et les déclarations de Fieschi lui-même, qui établissaient positivement que les complices de son crime ne l'avaient point aidé ou assisté à le commettre dans ce dernier et terrible moment.

Quant à Bescher, ni le livret, ni le passeport qu'il était soupçonné d'avoir prêté à Fieschi, ne s'étaient retrouvés; l'existence de ces deux pièces n'en était pas moins un fait établi, puisqu'il résultait de la vérification des souches conservées à la Préfecture de police. Le rapport regardait comme hors de doute que le livret avait été en la possession de Fieschi, qui d'ailleurs l'avouait; mais celui-ci soutenait qu'il n'avait jamais eu entre les mains et même qu'il n'avait jamais vu le passeport de Bescher, bien que ce passeport parût destiné à assurer sa fuite. Bescher déclarait avoir brûlé son passeport, et avoir perdu son livret, en convenant qu'il se pouvait faire qu'il l'eût perdu chez Morey.

Aux aveux de Fieschi, Pépin, Morey et Boireau opposaient les dénégations les plus énergiques. Ces dénégations quelqu'absolues qu'elles fussent, ne détruisaient cependant point l'impression profonde que devaient faire les sérieuses apparences de culpabilité ou de complicité qui s'élevaient contre eux. D'ailleurs, les déclarations des témoins et une foule de circonstances matérielles que les trois prévenus ne purent expliquer d'une manière vraisemblable, confirmaient la plupart des aveux de Fieschi surtout en ce qui touchait Pépin et Morey; et leurs antécédens ne tendaient pas à affaiblir les charges accablantes qui pesaient sur eux. Ces deux derniers avaient fait partie de la Société des droits de l'homme; Boireau passait pour avoir appartenu à la même Société; Pépin avait en outre été gravement impliqué dans les troubles de juin 1832.

30 janvier 15 février. Cette curiosité si générale qui fait rechercher avec tant d'avidité toutes ces scènes judiciaires où la perversité humaine se manifeste dans toute son énergie et son audace, était cette fois excitée au plus haut degré. La France et même l'Europe avait les yeux tournés vers le palais de la Cour des Pairs, qui, elle-même, n'avait jamais compté un aussi grand nombre de juges: l'appel nominal constata la présence de 176 membres, dont quelques uns n'avaient pas encore siégé dans les procès politiques depuis la révolution de 1830, ou n'assistaient que très-rarement aux séances législatives.

Les pièces de conviction placées au bas du prétoire, devant le greffier, attiraient d'abord les regards des nombreux spectateurs. La machine de Fieschi avait été rétablie sur son bâtis en charpente, telle qu'elle existait lors de l'événement, avec ses 24 canons de fusil, dont une partie avait été crevée et déculassée au moment de l'explosion. Sur une table, avec des outils de serrurerie et de menuiserie, se trouvaient les instrumens que le meurtrier avait préparés pour protéger sa fuite, savoir: un poignard, un gantelet de fer pour parer les coups de sabre et de bayonnette, et un martinet composé de trois lanières tressées, dont chacune était terminée par une grosse boule de plomb.

Comme si ce n'était pas assez de la part qu'il avait eue dans l'effroyable catastrophe du 28 juillet, pour attirer l'attention, Fieschi semblait encore la provoquer par la hardiesse, par l'impudence de son maintien. Il promenait avec assurance ses yeux sur l'assemblée, se posait devant elle, affectait de sourire à tout le monde, et semblait dire: Me voilà, c'est moi, regardez moi. Le ton avec lequel il répondit au président était celui d'un homme que dominait une excessive vanité, et qui avait peine à ne pas se glorifier de son horrible action. Il exprima cependant plusieurs fois le regret de ce qu'il avait fait, ajoutant que, pour l'expier, il était prêt à monter sur l'échafaud, qu'il n'avait tout révélé que pour être utile, et que personne ne lui avait promis sa grâce. Mais on ne s'était jamais repenti avec plus d'orgueil, et plus d'une fois il donna à penser qu'il n'avait pas perdu toute espérance. Il persista à charger d'une manière fort grave Pépin et Morey. A l'entendre, c'était Morey qui lui avait donné l'idée de son crime. Il accusa ce même Morey d'avoir chargé plusieurs canons de fusil de manière à ce qu'ils crevassent et fissent périr sur le coup celui qui mettrait le feu à la machine. Il ne laissait pas échapper une occasion de se targuer de son courage, de son sang-froid, de son expérience, de son désintéressement. Il repoussait la qualification d'assassin et réclamait celle de grand criminel. Il disait n'avoir eu que l'ambition de la gloire. Il énumérait enfin avec complaisance les conséquences favorables que son forfait avait eues pour le gouvernement, qu'il se vantait d'avoir consolidé.

Morey, affaibli par l'âge et la maladie, et Pépin, qui révéla un caractère faible et irrésolu, continuèrent à se retrancher dans un système de dénégation absolue. Ils laissaient ainsi toute liberté à Fieschi de se relever à leurs dépens, de mettre de son côté les circonstances atténuantes, de se représenter comme ayant été en quelque sorte entraîné par eux dans l'abîme; car ils n'auraient pu le convaincre de mensonge, même sur des points qui n'intéressaient que leur amour-propre, sans avouer leur complicité.

Boireau, après avoir pris d'abord le parti de tout nier aussi, changea tout à coup de batterie et amena le seul incident qui ait fait jaillir des débats quelques nouvelles lumières: 11 s'agit de l'aveu commencé par cet accusé dans l'audience du 5 février et complété dans celle du 11, qu'il avait fait, à la de

mande de Pépin, une promenade à cheval sur le boulevard pour que Fieschi pût ajuster ses canons de fusil.

Le procureur général, dans son réquisitoire qu'il pro nonça à l'audience du 10, soutint l'accusation à l'égard de Fieschi, de Pépin et de Morey, et l'abandonna à l'égard de Bescher. Quant à Boireau, l'organe du ministère publie pensait que ses aveux, bien qu'ils ne fussent rien moins que complets, devaient lui être comptés: sa culpabilité était évidente; mais il était entré dans le complot à une époque fort rapprochée de l'attentat, et il pouvait avoir été entraîné par des conseils perfides.

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Examinant la question de savoir si tous les coupables étaient devant la Cour, le procureur-général, après avoir dé claré qu'il ne voyait aucun autre nom qui pût être prononcé à côté de ceux des accusés présens, ajoutait que, dans son opinion, quelques débris impurs, quelques restes corrompus de la Société des droits de l'homme, sans savoir précisément quel but on se proposait, comment le crime serait exécuté, étaient disposés à profiter de l'événement.

Commencées dans cette même audience du 10, les plaidoieries des avocats ne furent terminées qu'à celle du 13, où Fieschi demanda à être lui-même entendu.

Fieschi dans tout le cours des débats avait joué un rôle qui avait effrayé les esprits droits et réfléchis. A le voir, exalté par les fumées d'un incroyable orgueil, s'exagérer son importance au-delà de toute expression, se parer de toutes les vertus, jouir de l'affreuse renommée qu'il s'était acquise, on avait pu se demander si un exemple fatal n'était pas donné au monde, s'il n'existait pas plus d'un homme d'une intelligence aussi dépravée qui voudrait, même avec l'échafaud en perspective, occuper ainsi l'attention universelle, attirer ainsi sur soi tous les yeux au même prix. Le caractère moral dece procès était d'autant plus alarmant, que l'opinion s'était faite jusqu'à un certain point l'imprudente complice de la frénétique vanité de Fieschi: il était devenu l'objet

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