tous les intérêts d'une nation qui, après tant d'orages, donne au monde civilisé le salutaire exemple d'une noble modération, seul gage des succès durables. Le soin de son repos, de sa liberté, de sa grandeur, est mon pre-. mier devoir; son bonheur sera ma plus chère récompense. » 30 décembre. Élire quatre secrétaires, qui furent MM. le duc de Reggio, le duc de Mortemart, Girod (de l'Ain), et le baron de Fréville; vérifier les titres et prononcer l'admission des nouveaux pairs créés dans l'intervalle des deux sessions; organiser ses bureaux et nommer la commission de l'adresse, tels furent les travaux que la Chambre des pairs acheva dans sa première séance, sans aucun incident remarquable. Ces opérations préliminaires, toujours suivies avec plus de curiosité dans la Chambre élective, dont elles commencent à dessiner la physionomie, n'excitaient cependant pas cette fois un très-vif intérêt. La réélection de M. Dupin comme président paraissait hors de doute; car le parti ministériel se résignait à le subir, malgré ses fréquentes excursions sur le terrain de l'opposition. M. Dupin fut en effet nommé par 164 voix sur 278 votans. M. Laffitte et M. Sauzet avaient obtenu chacun 34 voix. C'était quant au premier un témoignage d'estime de l'extrême gauche, et quant au second il paraissait n'avoir été mis en avant par le centre droit qu'afin que la majorité qui nommerait M. Dupin ne fût pas trop forte, si ce n'était même pour l'empêcher de passer au premier tour. C'est dans le même but, dit-on, qu'un grand nombre de voix s'étaient volontairement perdues en s'éparpillant sur une foule de membres divers. Le centre droit avait des plans plus arrêtés sur la question de la vice-présidence; il avait décidé d'éliminer l'ancien bureau, moins M. Martin (du Nord), et de porter trois candidats nouveaux, MM. Sauzet, Benjamin Delessert et Rouillé. de Fontaine, en remplacement de MM. Passy, Calmon et. Pelct (de la Lozère). 'Un premier tour de scrutin eut pour résultat la nomination de M. Sauzet à 132 voix sur 260 votans, c'est-à-dire à une voix de plus que la majorité absolument nécessaire. Après lui, venaient M. Martin (128 voix), M. Pelet (114), M. Passy (112), M. Delessert (97), M. Rouillé de Fontaine (93), M. Calmon (54). 31 décembre. Au second tour de scrutin, sur 244 votans, M. Passy réunit 146 voix, M. Pelet 139; M. Martin 132; et M. Calmon 124. Ces quatre candidats avaient donc obtenu la majorité absolue, qui était de 123 voix; mais comme il n'y avait que trois nominations à faire, M. Sauzet ayant été élu la veille, les trois premiers furent seuls proclamés vice-présidens. M. Félix Réal fut ensuite nommé l'un des secrétaires au premier tour de scrutin, par 159 voix, et M. Piscatory par 138, sur 272 votans. Un second tour, auquel 267 membres prirent part, donna 141 voix à M. Jaubert. La nomination de M. Cunin-Gridaine, dans la séance du 2 janvier, par 233 voix, sur 244 votans, compléta le bureau définitif. Les modifications introduites dans le personnel des dignitaires de la Chambre, se bornèrent, en résumé, à la mutation d'un vice-président et d'un secrétaire : M. Sauzet prenait la place de M. Calmon, et M. Jaubert celle de M. Boissy-d'Anglas. Il n'y avait d'ailleurs aucune induction positive à tirer de ces opérations préliminaires, relativement à la marche de la session. La façon dont les voix s'étaient partagées dans ces deux jours d'élection, n'indiquait bien réellement qu'une chose, c'est que la Chambre était fractionnéc en divers groupes, dont aucun ne se trouvait assez fort pour dominer. On pouvait remarquer, en outre, qu'elle ne s'était pas réunie sous l'inspiration d'un zèle bien ardent, puisque 278 membres seulement avaient voté quand il s'était agi de la nomination du président, et que, depuis, ce chiffre n'avait cessé de décroître, à tel point, qu'un scrutin de ballottage, entre MM. Cunin-Gridaine et Jollivet, fut annulé, dans la séance du 31 décembre, pour insuffisance du nombre des votans. Le bureau définitif avait été installé dans cette même séance. M. Dupin, en montant au fauteuil, s'était borné à faire une honorable profession de foi d'impartialité. La Chambre, dans la séance suivante (2 janvier), nomma la commission de l'adresse (t), et s'ajourna, sans terme fixe, jusqu'à ce que cette commission eût terminé son travail. 6 janvier. Depuis l'ouverture de la session, le message annuel du président Jackson, au congrès des États-Unis, était arrivé en France (voyez 1835, p. 745). Faisant allusion à ce message, qui avait généralement paru d'une nature conciliante, le projet d'adresse présenté à la Chambre des pairs par M. Barthe, rapporteur de la commission chargée de le préparer, portait qu'un document important, récemment publié, faisait espérer que le désir de voir terminer le différend relatif au traité du 4 juillet 1831, d'une manière honorable pour deux grandes nations, serait prochainement réalisé. Voilà tout ce qu'il y avait à remarquer dans ce projet d'adresse, qui n'était, pour le reste, qu'un écho prolongé du discours de la couronne, paraphrasant ce qu'il avait dit, et se taisant sur ce qu'il avait passé sous silence. C'est pour réclamer contre ce silence, en ce qui concernait la Pologne, que M. le comte de Tascher prit le premier la parole dans la discussion. Il ne venait pas commenter un discours (2) auquel on voudrait, disait-il, pouvoir refuser plus encore que le caractère officiel. Il n'avait d'autre intention que de présenter quelques considérations générales touchant l'équilibre de l'Europe, et, en même temps, d'exprimer le vœu que, s'appuyant sur les traités, le gouvernement employât lebienfait de son influence pour alléger les malheurs d'une nation depuis long-temps unie à la France par de (1) Elle fut ainsi composée : MM. Pelet (de la Lozère), Dumon, Bessières, Kératry, Hébert, Piscatory, Sauzet, Teste, de Lamartine. (2) Cette première allusion, qui sera suivie de tant d'autres, au discours adressé par l'empereur Nicolas à la municipalité de Varsovie, nous force à renvoyer le lecteur à notre précédent volume, page 454. naturelles sympathies, et les liens d'une confraternité d'armes plus d'une fois scellée du sang confondu de l'une et de l'autre. M. de Tascher insistait, dans la seconde partie de son discours, sur les dangers qui résultaient, pour l'équilibre de l'Europe, de la politique de la Russie, de cette puissance par instinct et incessamment envahissante, gagnant par ses traités ce qu'elle avait dédaigné de conquérir avec les armes; de cette puissance dont l'amitié tuait, et qui, unissant l'astuce du Grec à la violence du Tartare, divisait, attirait, protégeait les pays qu'elle convoitait, et absorbait bientôt ceux qu'elle avait protégés; de ce cabinet enfin qui, tenant d'une main la Baltique, et de l'autre ayant saisi la clef des Dardanelles, pouvait maintenant, du nord au midi, jeter dans la balance européenne tout le poids de sa puissance asiatique, le poids de la barbarie poussé par le despotisme contre la civilisation. L'orateur terminait en déclarant qu'il aurait demandé le renvoi de l'adresse à la commission, pour y insérer une phrase analogue aux sentimens qu'il avait exprimés, s'il avait été plus sûr de trouver appui dans la Chambre, et surtout s'il avait eu moins de confiance dans la sollicitude du gouvernement pour ce qui touchait à l'honneur ou aux intérêts de la France. M. le comte de Montalembert appuya avec chaleur le vœu émis par le préopinant. L'occasion se présentait de nouveau d'élever la voix en faveur de la plus malheureuse et de la plus opprimée des nations. L'orateur invitait la Chambre à donner à la Pologne ce gage de sympathie, en payant, par quelque pitié tout le sang qu'elle avait versé pour la France. • Cet attachement à la Pologne, si enraciné dans nos cœurs, scellé par tant de victoires communes et des revers essuyés ensemble, a été réveillé dernièrement, comme vous savez, messieurs, par de mémorables paroles qui ont retenti dans toute l'Europe, et auxquelles a partout répondu un long murmure de surprise et d'indignation. Ne craignez pas, messieurs, que je cherche ici à attaquer ou à réfuter les paroles impériales. Bien loin de là, je ne me sens disposé qu'à leur rendre de solennelles actions de grâces puisqu'elles ont proclamé de la manière la moins suspecte que la nationalité de la Pologne n'était ni un souvenir suranné du passé, ni un rêve incertain de l'avenir; mais bien une actualité flagrante, une flamme inextinguible qui couve toujours sous tant de sanglans décombres, et assez ardente pour troubler sans cesse la paix des oppresseurs. Oui, messieurs, c'est le maître de la Pologne lui même qui est venu, aux yeux du monde entier, donner la plus éclatante confirmation à cette haute vérité, proclamée naguère parmi nous du haut du trône, et répétée par vous en 1831 : « que la nationalité > polonaise savait résister au temps et à toutes ses vicissitudes. Ici l'orateur énumérait toutes les atrocités qui avaient été commises depuis quatre années dans cet infortuné pays. Il rappelait la puissante et victorieuse compassion de l'Europe pour les malheurs de la Grèce, et démontrait que les maux de la Pologne étaient bien autrement cruels. D'ailleurs il ne s'agissait pas de la Pologne seule; c'était l'Europe tout entière qui avait été blessée au cœur de la Pologne. Tout en s'associant volontiers aux sentimens qui avaient inspiré le premier orateur entendu dans cette discussion, le président du conseil, ministre des affaires étrangères (M. le duc de Broglie), soutenait que le gouvernement français avait fait dès 1831, pour la nation polonaise, tout ce qui dépendait de lui. Le gouvernement français avait ensuite consulté le temps et l'espérance du succès, pour savoir jusqu'à quel point il devrait multiplier ses insistances dans l'intérêt de l'humanité. Il était à craindre, en effet, que des paroles dictées par un sentiment généreux ne produisissent au dehors une animosité plus grande, un ressentiment plus profond; qu'en un mot, la cause de l'humanité, qu'on avait voulu servir, ne fût trahie et compromise par les efforts mêmes que l'on multipliait hors de saison. Quant à la question des traités, personne, en Europe, ne contestait qu'ils ne dussent-être fidèlement exécutés selon leur lettre et selon leur esprit. Mais dans le traité auquel les deux orateurs précédens avaient fait allusion, se trouvaient placés des principes différens à l'égard de la Pologne. L'article qui les renfermait n'était pas rédigé avec autant de clarté que cela serait à désirer; il laissait, par conséquent, la pos |