conceptions. Il n'expose, il est vrai, nulle part dans son ensemble le système théologique qu'il a élevé sur la base de la règle de foi, et nous n'essayerons pas de le reconstruire, en en rassemblant les pièces éparses dans sa polémique contre les gnostiques. Il suffira d'esquisser quelques-unes de ses pensées pour montrer la vigueur philosophique de son esprit. La christologie d'Irénée mérite à ce point de vue une mention particulière. L'homme, dit-il, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Le premier Adam ne possédait que l'image, la puissance de ressembler à Dieu. La virtualité est devenue une réalité dans Jésus, le second Adam. La manifestation de Dieu, qui n'était qu'indiquée dans Adam, s'achève en lui et l'idée de l'homme, ébauchée seulement dans Adam, arrive en sa personne à son expression adéquate à la pensée divine. Entre Adam et Jésus il n'y a que la différence de l'idée à la réalité. Il s'ensuit que les deux natures en Jésus ne sont pas juxtaposées seulement, elles se sollicitent au contraire mutuellement et l'une est le complément de l'autre; la nature divine aspire à se réaliser dans la nature humaine, la nature humaine aspire à arriver à son développement définitif en s'assimilant la nature divine; l'union à laquelle elles tendent l'une et l'autre est prévue et voulue par Dieu de toute éternité. On voit que pour Irénée le point essentiel de la christologie était l'union de la divinité avec l'humanité; on comprend qu'il n'avait nul intérêt à la personnalité du Logos et au mode de son origine, à accentuer sa position entre les monarchiens et les subordinatiens, et l'on peut regretter que l'Eglise, au lieu de suivre la voie qu'il lui avait tracée, se soit engagée dans d'interminables débats sur la différence et les rapports des hypostases divines et la manière dont s'est effectuée l'union des deux natures en Jésus-Christ pour aboutir finalement à l'impasse du Symbolum Quicumque. La doctrine d'Irénée sur la rédemption présente un caractère trop juridique pour trouver des imitateurs, mais elle se recommande à l'attention par son originalité. La mort de Jésus y joue le rôle essentiel; mais cette mort n'est pas comme dans le dogme orthodoxe une satisfaction donnée à Dieu pour les péchés de l'humanité; elle est au contraire l'effet d'une méprise du diable par suite de laquelle celui-ci se voit légitimement privé de ses droits sur le genre humain. En induisant Adam à désobéir à son créateur, le diable avait acquis sur lui et ses descendants pécheurs comme lui un pouvoir souverain, dont la mort physique est le signe et la sanction. Mais ce droit il ne l'exerce que sur les pécheurs. Il outrepassait ses pouvoirs en faisant mourir le saint sans reconnaître en lui le Logos incarné. Jésus, vainqueur du diable par son obéissance à la volonté divine, s'est acquis en retour le droit d'arracher à son empire l'humanité qu'il détenait captive. On voit aussitôt la connexion de ce dogme avec celui de la double nature du Christ. Le Fils de Dieu seul était capable d'une sainteté parfaite; mais pour que cette sainteté profitât au genre humain, il fallait qu'il fût homme. Le diable perd son empire sur l'humanité, parce que dans le Fils de l'homme il n'a pas reconnu le Fils de Dieu. La façon juridique de concevoir la rédemption se maintint depuis Irénée, à la différence près qu'aux deux puissances se disputant l'empire sur l'humanité, on substitua plus tard les deux attributs divins de la justice et de l'amour, ce dernier ne pouvant se manifester qu'autant que la justice était satisfaite. Nous terminons par un mot sur l'eschatologie. De même qu'Irénée ne voit pas dans la création du monde une œuvre indigne du Dieu suprême, ni dans la matière une substance impénétrable à son esprit, il laisse subsister aussi l'élément matériel dans le monde futur. Jésus entre muni de son corps dans la communion de son Père, et comme lui les fidèles ressuscitent corporellement pour entrer dans la gloire éternelle. La substance du monde et de l'homme persiste, la figure seule change et revêt l'impérissabilité. Comme le verbe premier-né de Dieu est descendu dans la créature et la remplit, la créature à son tour remplie du verbe et faisant un seul corps avec lui s'élevera jusqu'à lui par delà les anges et ne portera plus seulement l'image de Dieu, mais sera transfigurée à sa ressemblance. On peut trouver que l'évêque de Lyon attache une importance excessive à la persistance des corps; il suffit pour l'excuser de dire que l'antiquité en général concevait la personnalité seulement comme circonscrite dans un espace déterminé. L'essentiel est encore ici la ressemblance parfaite avec Dieu, destination de l'homme depuis la création, préfigurée dans le verbe incarné, s'accomplissant par son esprit, et consommée dans l'éternité. La théologie d'Irénée a été de notre temps exposée, soit dans ses détails soit dans son ensemble, par Baur, Geschichte der Lehre von der Versæhnung, et Geschichte der Trinitætslehre; Dorner, Entwicklungs Geschichte der Lehre von der Person Christi; Denker, Die Christologie des Irenæus im Zusammenhang mit dessen theolog. u. anthrop. Grundlehren, 1843; Boehringer, Die christliche Kirche und ihre Zeugen, Ier vol.; Ziegler, Irenæus der Bischof von Lyon, 1871. Malgré la valeur incontestable de ces travaux, elle mériterait une étude nouvelle, qui mît mieux en relief l'idée mère du système et la cohésion de toutes ses parties. A. KAYSER. IRÉNÉE, évêque de Tyr, vivait au cinquième siècle. En 431 il représenta Théodose II au concile d'Ephèse et embrassa le parti des nestoriens; puis, se rendant à Constantinople, il essaya de s'emparer de l'esprit de l'empereur; mais ce prince se prononça contre les nestoriens et bannit Irénée de la cour. L'an 444, ce dernier fut nommé évêque par les prélats orientaux qui partageaient ses opinions; mais un décret impérial le déposa de l'épiscopat, et le priva du caractère ecclésiastique (448). Dans sa retraite, Irénée écrivit unehistoire de la controverse nestorienne intitulée: Tragedia, seu commentarii de rebus in synodo Ephesiæ ac in Oriente gestis; il n'en reste que des fragments qui ont paru sous ce titre : Variorum Patrum Epistolæ ad concilium Ephesium pertinentes, Louvain, 1682. — Voyez Mansi, Sacr. concil. nova et amplissima collectio, V, 417-731; Tillemont, Mémoires, XIV. IRÉNIQUE ou HÉNOTIQUE. On appelle de ce nom une science qui a pour but de compléter la Polémique dont elle est pour ainsi dire la contre-partie. Tandis que la polémique s'applique à découvrir les erreurs de chaque système ou de chaque Eglise, en les ramenant à leur principe fondamental, l'irénique, au contraire, prend pour tâche de rechercher les éléments communs de vérité que renferment des systèmes opposés ou des Eglises rivales, afin de les déterminer à se rapprocher, à s'unir par le cúvôeouos tñs εipŕvns dont parle l'apôtre saint Paul (Eph. IV, 3). L'irénique, comme science, se distingue des essais ou tentatives pratiques d'union, qu'elle est destinée à préparer, à éclairer, à féconder. Ce qui, en effet, à diverses époques, a discrédité les tentatives de rapprochement soit entre l'Eglise catholique et l'Eglise grecque, soit entre l'Eglise catholique romaine et les Eglises protestantes, soit entre les diverses branches du protestantisme lui-même, c'est l'absence de principes ou de règles nettement déterminées qui auraient dû y présider. Sans parler des essais d'union ou de fusion qui cachaient un dessein déloyal, comme certains projets préconisés par les jésuites, on ne peut que s'applaudir d'avoir vu échouer les tentatives de pacification qui ne s'inspiraient que d'une pensée politique (centralisation administrative ou despotisme gouvernemental) ou celles qui émanaient d'individus ou de groupes d'individus, qui n'ayant qu'une idée vague ou incomplète des divergences de doctrine, d'organisation, de pratiques religieuses qui séparent les diverses Eglises, risquaient de sacrifier la vérité à la charité, le devoir de la fidélité au désir de la paix. Les services que l'irénique, comme science, est appelée à rendre ressortent suffisamment des considérations qui précèdent. On comprend aussi que cette science, de date toute récente, a pour mission principale de combattre l'esprit d'étroitesse dogmatique et d'intolérance ecclésiastique, et qu'elle reconnaît comme ses représentants ou du moins ses précurseurs les théologiens qui étaient animés du véritable esprit de largeur chrétienne, tels que Mélanchthon, Hugo Grotius, George Calixte, Spener, Leibnitz, Schleiermacher, Sam. Vincent, etc. Sources: Duræus, Irenicorum tractatuum Prodromus, Amstelod., 1662; Kocker, Bibliotheca theologiæ irenicæ, Iéna, 1764; Winer, Handb. der theol. Literatur, 1838, I, p. 356 ss.; Stark, Theoduls Gastmahl, 1828; Bohme, Christl. Henotikon, Halle, 1827; D. v. Cœlln, Ideen üb. den innern Zusammenhang von Glaubenseinigung u. Glaubensreinigung in der evang. Kirche, Leipz., 1823; L. Schmid, Der Geist des Katholicismus od. Grundlegung der christl. Irenik, 1848; J. P. Lange, Christl. Dogmatik, Heidelb., 1852, t. III; J. Müller, Die evang. Union, Bresl., 1854; Schenkel, Unionsberuf des evang. Protest., Heidelb., 1855; Martensen, Katholic. u. Protestant., Gütersloh, 1874; Danz, dans l'Encycl. d'Ersch et Gruber, II, 23 ss.; Pelt, dans la Real-Encykl, de Herzog, VII, 60 ss., ainsi que l'article Union. F. LICHTENBERGER. IRLANDE (Histoire religieuse). L'histoire religieuse de l'Irlande se divise assez naturellement en cinq périodes. La première va des origines à l'invasion anglo-normande; la seconde se termine à la Réformation; la troisième conduit jusqu'à l'avènement de la dynastie d'Orange et est remplie par la persécution violente; la quatrième est l'époque de la persécution légale et des lois pénales; la cinquième enfin est l'ère de la réparation, et elle dure encore. I (430-1169). L'Irlande n'avait pas subi le joug de fer de l'empire romain. Le génie celtique avait pu s'y développer librement, et «< il y avait créé, dit M. de Montalembert, une langue, une poésie, un culte, un enseignement, une hiérarchie sociale, en un mot une civilisation égale et même supérieure à celle de la plupart des autres peuples païens» (Moines d'Occ., t. III, p. 80). Les premiers missionnaires de la foi chrétienne y furent Albe, Declan, Iber et Kirian, dont la tradition n'a guère fait que conserver les noms. Palladius, envoyé par le pape Célestin, arriva dans la troisième année du règne de Léogaire (Lae-ra). Il fonda trois églises, mais dut s'enfuir devant les mauvaises dispositions des insulaires. Ce fut Patrick (387-465) qui fut le véritable apôtre des Irlandais. Il avait étudié dans les monas tères de Marmoutier et de Lérins et avait accompagné Germain d'Auxerre dans sa mission en Grande-Bretagne. Une captivité de six ans en Irlande l'avait familiarisé avec la langue et les mœurs du peuple. Envoyé par Célestin pour renouveler la tentative avortée de Palladius, il partit accompagné de vingt auxiliaires, qui s'élevèrent à trente-deux en traversant l'Angleterre. Ils faillirent être massacrés en débarquant. Patrick ne se laissa pas décourager. Il convertit le chef du district d'Ulster avec sa famille et, l'année suivante, Léogaire, le principal roi de l'île. La supériorité morale et intellectuelle du missionnaire breton et de ses compagnons frappa vivement les indigènes qui se laissèrent baptiser sans trop de résistance. Des monastères et des églises furent fondés en grand nombre; la plus célèbre de ces fondations fut Armagh, où accoururent de loin de nombreux étudiants. Patrick fut législateur en même temps que missionnaire, et sa participation au Sanchus Mor, ce recueil des vieilles lois celtiques que l'on a republié de nos jours (1865) paraît incontestable. La Confession de saint Patrick (publiée pour la première fois par sir James Ware, Lond., 1656, réimp. dans Gallandii Bibl. Patr., vol. X, et dans la Patrologia de Migne, vol. LIII, p. 802), est un écrit de sa vieillesse, souvent obscur et emphatique, mais d'une authenticité généralement admise. Cet écrit est très évangélique et se tait sur la suprématie du siège de Rome et sur les doctrines spécialement romaines. Brigitte, qui est demeurée la patronne de l'Irlande comme Patrick en est le patron, propagea comme lui l'institution monastique. Ce germe planté par eux fut fécond. Nulle contrée n'eut autant de monastères que l'Irlande; quelques-uns, comme Bangor et Clonfert, renfermaient plus de trois mille cénobites. C'étaient de vrais clans organisés sous une forme religieuse. C'étaient en même temps des foyers de vie studieuse, où accouraient des élèves de la Grande-Bretagne et du continent. On y cultivait, outre les lettres anciennes, la musique, la calligraphie et l'art de la miniature. Là se formait aussi toute une armée de missionnaires qui se répandirent dans toute l'Europe. Columba fonde le célèbre mo nastère d'Iona, d'où la lumière et la vie se répandent sur l'Occident. Aidan, Finan, Colman évangélisent la Grande-Bretagne. Colomban parcourt la Gaule, y fonde Luxeuil, et va finir sa vie en Lombardie, dans le couvent de Bobbio qu'il a aussi fondé. Argobast s'en va prêcher l'Evangile en Alsace, Hillaire et Gall en Helvétie, Kilian en Thuringe. Au huitième siècle, un Irlandais, Sedulius, est évêque en Espagne, et un autre, Ferghal ou Vergelius, occupe le siège de Salzbourg. Il ne faudrait pas toutefois prendre trop à la lettre ce surnom d'île des saints que porte l'Irlande d'alors. Les mœurs du peuple n'avaient pas cessé d'être rudes et sauvages, et les clans guerroyaient entre eux avec un acharnement et des cruautés dignes de l'époque païenne. L'organisation ecclésiastique était à peine ébauchée. Il y avait des prêtres et des évêques, mais non des paroisses et des diocèses. L'harmonie entre les chefs et les évêques était souvent troublée, et ces rivalités aboutirent plus d'une fois au pillage des églises et au bannissement des évêques. Il y eut également des luttes fort vives entre le clergé irlandais et les prêtres bretons. L'Eglise d'Irlande défendait avec un soin jaloux ses coutumes et son autonomie contre ses voisins et contre le siège de Rome. Son illustre missionnaire Colomban revendiquait avec énergie contre les évêques des Gaules et d'Italie, et contre le pape lui-même, la liberté chrétienne de ses compatriotes sur la question de la Pâque et sur d'autres points importants, et ce Celte mettait une franchise pleine de rudesse dans les admonestations qu'il adressait aux prélats latins. Rome supportait impatiemment de telles résistances. Elle essaya d'intéresser à sa cause les envahisseurs danois. Le premier légat romain en Irlande fut l'évêque danois Gilbert, de Limerick (1106). En 1151, le pape envoie le pallium et le titre d'archevêques aux évêques d'Armagh, de Cashel, de Dublin et de Tuam. L'année suivante, le synode de Kells, sous la direction de l'évêque Papiron, reconnaît formellement la suprématie de Rome. Ce fut sans doute pour se mieux assurer de la fidélité de l'Irlande que le pape Adrien IV, Anglais lui-même d'origine (Nicolas Breakspeare) la livra aux Anglais, alors fervents catholiques. La bulle adressée, en 1156, au roi d'Angleterre Henri II, montre avec quelle facilité le saint-siège croyait pouvoir disposer des royaumes de la terre. Il y est dit que toutes les îles lui ont été données de Dieu pour en disposer à son gré (Hiberniam et omnes insulas, quibus Sol justitiæ Christus illuxit, ad jus beati Petri et sacrosanctæ Ecclesiæ non est dubium pertinere). Adrien IV, usant de ce prétendu droit, donne en toute propriété l'Irlande au roi d'Angleterre, à condition que le denier de saint Pierre soit régulièrement versé dans le trésor pontifical (De singulis ejus domibus annuam ejus denarii beato Petro solvere pensionnem) (Mathieu Paris, Grande chronique, t. I). II (1169-1535). La première invasion des Anglo-Normands sur le sol de l'Irlande remonte à 1169. La conquête, qui mit quatre siècles à s'achever, fut favorisée par l'état de morcellement de la contrée, divisée en une foule de petits Etats rivaux. Elle eut aussi, dès l'origine, le concours des prélats irlandais qui, obéissant aux ordres de Rome, reconnurent les droits du roi |