feurs accusations. Plusieurs personnes d'ailleurs, avant les grandes. persécutions et les décrets d'anathème de Trente, étudient l'Ecriture et les œuvres des réformateurs, discutant librement sur la réforme et sa nécessité; mais après l'établissement définitif du saint-office (1542) il ne resta plus, comme nous allons le voir, à ceux qui professaient courageusement l'Evangile que l'alternative d'Ochinus: l'exil ou la mort; et à ceux que cette alternative terrifiait, que le silence ou l'abjuration. II. La Réforme dans l'Italie du Nord. On pourrait grouper tous les faits de la Réforme dans le midi de l'Italie autour des deux personnages importants, Valdez et Carnesecchi, qui la rendirent célèbre; mais non pas autour de A. Paleario (comme l'a fait M. Young), qui ne se déclara hérétique que vers la fin de sa vie. La Réforme dans le Nord, à Venise surtout, est indépendante de celle de Valdez, bien qu'elle en ait subi plus tard l'influence. Les œuvres des réformateurs allemands pénétrèrent de bonne heure dans Venise et y répandirent la connaissance de l'Evangile dans toutes les classes de la société. Avant même que la voix de Luther se fit entendre nous y trouvons, au commencement du siècle, une réunion de personnes nobles et parmi elles la mère du cardinal Bembo, autour d'un docteur J. Marie de Bologne, qui expliquait l'Evangile en langue vulgaire. Dénoncé par un moine, le docteur fut emprisonné et la réunion dissoute. En 1520 les premiers livres de Luther, vendus et distribués dans la ville, furent saisis et brûlés par le patriarche Contarini, ce qui n'empêcha pas qu'on ne les y imprimât en cachette et qu'on ne pût écrire : « Le nom de Luther est ici dans toutes les bouches. » La politique et les relations commerciales de la république favorisaient l'introduction. de la Réforme à Venise; son gouvernement, oscillant entre les papes et les Césars, ne considéra jamais son intolérance contre les réformés que comme une mesure politique, comme le faisait cyniquement comprendre, plus tard, l'ambassadeur Tiepolo à Pie V. En effet, la république concède parfois à Rome et aux nonces les pouvoirs inquisitoriaux qu'ils réclament, mais souvent elle les leur refuse, suivant la marche des événements de ce siècle de luttes sans fin; et ces refus amènent des ruptures sérieuses et des combats diplomatiques acharnés entre la fourberie vénitienne et la ruse romaine. Malgré l'indépendance dont elle se vante, malgré la pénétration qu'on lui attribue dans la distinction des deux pouvoirs, politique et religieux, nous ne pouvons toutefois partager l'admiration des historiens et surtout de l'archiviste Bartolomeo Cecchetti, pour la politique religieuse de Venise. Le respect de la vie des citoyens et la liberté de conscience qu'elle aurait dû proclamer à la face de Rome furent méprisés par elle, grâce à ses lâches et serviles condescendances envers l'inquisition: Luther en 1528 se réjouit de ce que les Vénitiens reçoivent la parole de Dieu et il est, en 1529, en correspondance suivie avec I. Ziegler qui favorisait la Réforme à Venise. En 1530 les frères de Venise, écrivant à Mélanchthon par le moyen de L. P. Rosselli di Padoue, exhortaient le réformateurà demeurer ferme dans la foi pendant les débats de la diète d'Augsbourg qui allait s'ouvrir. Il est inexact toutefois que Mélanchthon ait écrit plus tard au sénat de Venise (1538) pour l'inviter à la tolérance. Une dépêche de F. Contarini démontre que le réformateur, tout en approuvant les pensées de cette lettre apocryphe, affirmait de ne l'avoir jamais écrite (cette prétendue lettre de Mélanchthon est citée presque in extenso par Mac Crie, C. Cantù et J. Bonnet). Le nombre des réformés vénitiens augmenta considérablement de 1530-1542, grâce aux prédications de quelques moines, grâce à l'infatigable activité de Baldassare Altieri, secrétaire de l'ambassade anglaise et correspondant de plusieurs princes allemands, grâce aux efforts de C. S. Curione et aux prédications d'Ochinus. L'Informatio de l'évêque de Chieti, présentée à Clément VII, jette les hauts cris, constatant que l'hérésie infecte même le clergé et les personnes notables, et Gerdès (Specimen Italiæ Reformatæ, p. 57) affirme que les réformés vénitiens, peu molestés à cette époque, avaient de nombreuses réunions et voulaient même s'organiser en congrégations publiques.-Pendant cette époque de paix relative nous trouvons déjà cependant quelques procès d'hérésie qu'il faut noter, car on ne fait dater en général les rigueurs du saint-office que de 1543. Gérôme Galateo, dont parlent l'Informatio du cardinal théatin, Gerdès, Curione, les diarii mss. de Sanudo et dont Eus. Salarino écrivit la vie qui se trouve dans la Bibliothèque royale de Munich (polémique n° 1086; voyez Rivista Cristiana, janvier 1873; Girolamo Galateo par E.Comba), franciscain, maître de théologie, prêcha l'Evangile dans le Padouan avant 1530, date à laquelle, sur l'ordre de J. P. Caraffa, il fut emprisonné à Venise et condamné au feu par le légat. Le Conseil des Dix ne consentit ni à sa dégradation ni à sa mort; mais G. Galateo demeura en prison sept années, au bout desquelles il obtint la liberté sous caution. Pendant trois ans de liberté il écrivit son apologie qui le fit de nouveau incarcérer et en 1541 le courageux martyr mourut de privations dans les prisons ducales. Il fut enseveli au Lido avec les juifs et les scélérats. Son Apologia a lo Illustrissimo Senato di Vinegia est remarquable parce qu'elle expose avec clarté et simplicité les doctrines principales de la Réforme : la prédestination qui ne nie pas le libre arbitre sanctifié par Dieu pour le bien. les bonnes œuvres comme fruits de la foi qui justifie, etc. Il répudie les sacrements non scripturaires, le purgatoire, le sacrifice de la messe, la confession auriculaire, le culte des saints, etc. Son apologie est un excellent traité de polémique, fait dans un esprit de charité. Il méritait bien la mort! Deux autres moines hérétiques étaient détenus avec Galateo. L'un d'eux, fra Bartolomeo dont parle une lettre de Francesco Negri de Bassano, en 1530 et dont l'Informatio déplore la fuite est certainement Bartolomeo Fonzio dont nous verrons bientôt le martyre. Les doctrines qui causèrent la mort de Galateo firent emprisonner en 1541 Giulio di Milano (son procès est le premier dans les archives de Venise) souvent confondu avec Giulio Forenziano, l'ami et le compagnon de P. Martyr. De 1536-38 il prêcha de Tortone à Trieste et fut accusé d'hérésie; on lui reprochait entre autres points de controverse: Quod non invenies in S. Script. quod heretici debeant comburi! Son premier procès se fit à Bologne; condamné par Campeggio, il fut absous par Paul III qui hésitait encore, en 1540. En 1541, accusé par quelques moines envieux, pendant qu'il prêchait à Venise et qu'il vivait avec Curione, il fut emprisonné et mis sous procès. Dans les interrogatoires de juillet 1541, Giulio expose ses croyances, qui se rapprochent du calvinisme, et en août il se voit condamné à la réclusion. Il tenta de s'évader, mais repris il faiblit et lut en 1542 une abjuration publique qui réduisit sa peine à un an de prison et à quatre d'exil. Il se retira dans les Grisons, où il fut un pasteur des plus zélés contre les antitrinitaires; il mourut à Poschiavo en 1572 et eut pour successeur César Gaffori de Plaisance. Ses sermons furent imprimés à Venise sous le nom de Girolamo Savonese. C'est à lui que faisait allusion la célèbre apostrophe d'Ochimus: Che facciamo, o uomini veneli... avec laquelle il se déclarait pour la Réforme et se faisait citer à Rome. Un écrivain fort calomnié par les auteurs catholiques (Fontanimi, Tiraboschi, Cantù), parce qu'il a été très malheureux, s'efforçait alors aussi de répandre les doctrines réformées par le moyen de la Bible. Né vers la fin du quinzième siècle, A. Bruccioli, Florentin, disciple de Savonarole, conspirateur avec Alamanni contre les Médicis, après de cruelles vicissitudes se retira à Venise en 1529. De 1530-1546 il publia successivement la traduction de la Bible et un commentaire de tous ses livres dédié à Renée de France. Accusé d'hérésie en 1544 par fra Catarino Polito Senese, pour avoir transcrit, dans ses commentaires, de verbo ad verbum, plusieurs fragments des réformateurs et répandu ainsi le venin de l'hérésie; accusé d'avoir déposé chez le libraire Centarii plusieurs livres des réformateurs (tous ces livres furent brùlés), Bruccioli, alors absent de Venise, fut condamné à cinquante ducats d'amende et à deux ans d'exil. Accusé une seconde fois en 1555, Bruccioli abjura les doctrines qu'il avait exposées dans ses livres et en 1558 et 59, dans un troisième procès, il s'abaissa plus encore, accablé par l'âge, les infirmités et la misère. Il mourut en 1566; ses ouvrages eurent beaucoup d'influence, l'homme n'en eut pas. En 1542, l'influence de l'école valdésienne de Naples se fit sentir à Venise par le moyen du célèbre traité du Beneficio di G. C, longtemps attribué à A. Paleario mais dù à la plume d'un moine de Sicile, fra Benedetto di Mantova et revu, pour la forme, par M. A. Flaminius. Publié à plusieurs reprises à Venise, on en répandit plus de quarante mille exemplaires qui furent presque tous détruits par le saint-office. Ce traité, par la douceur et la suavité évangélique qui inspirent toutes ses pages, dut amener plusieurs âmes pieuses à la connaissance de la vérité. Nous devrons encore en parler plus loin.— En 1543 Luther est en correspondance avec les Vénitiens par le moyen d'Altieri. En 1546 le nonce J. della Casa enrage parce que les luthériens de Venise font beaucoup de bruit, protégés par la Sérénissime et parce que celle-ci ne veut pas livrer à Rome un hérétique obstiné, F. Strozzi. En 1547 le même nonce parle de l'abjuration d'un certain fra Angelico et regrette de n'avoir pu lui infliger une peine « digne du saint-office. » Le gouvernement ducal ne tenait aucun compte de la bulle de Paul III, Licet ab initio, qui avait inauguré les persécutions en 1542, mais il nommait lui-même dans toutes ses villes des commissaires laïques et des docteurs chargés de poursuivre sévèrement les hérétiques (1547). Jean de la Casa est tristement célèbre encore par le procès qu'il intenta au chef de la réforme istriote, P. P. Vergérius. L'Istrie, soumise alors à la république, connut de bonne heure les doctrines de la Réforme; c'est Vergérius lui-même qui le dit. Légat en Allemagne, en 1534, il prie le Sénat de Venise d'empêcher la distribution d'un opuscule séditieux et hérétique, de 100 p. in-8°, publié en 1533 pour les réformés italiens, intitulé Correttion del stato cristiano et composé très probablement par Bartolomeo Fonzio. Il lui annonçait aussi que l'Istrie et en particulier le village de Piran étaient infectés par le luthéranisme qu'il se promettait de détruire à son retour. Ses légations, ses voyages, ses entrevues avec Luther, qu'il méprisait d'abord souverainement, ses relations avec la reine de Navarre, eurent beaucoup d'influence sur ses idées religieuses et au colloque de Worms, au nom du roi de France, il plaidait la cause d'un concile général (De Unitate et Pace Ecclesiæ, Venise, 1542) sans songer encore à se séparer de l'Eglise. Découragé par l'avortement de ses projets d'union, déjà soupçonné en 1541, il se retira dans son diocèse de Capo d'Istria et commença un travail adversus apostatas Germaniæ. Les œuvres des réformateurs qu'il voulait réfuter lui ouvrirent les yeux, et il embrassa la Réforme avec son frère Battista, évêque de Pola, se promettant d'évangéliser l'Istrie et Venise. Accusés en 1544 les deux frères ne tinrent aucun compte des sommations à comparaître de della Casa. Battista mourut chrétiennement peu de temps après et en 1546 P. Paul, protégé par le gouvernement, fit annuler son premier procès par des procureurs, à la grande confusion de della Casa. Il avait été accusé de considérer les rites romains comme nullius valoris, quia salus J. C. sanguis ad nostram salutem sufficit et de répandre des traités hérétiques. Ce premier procès, publié dans la Rivista Cristiana de 1873 par E. Comba, contient quelques notes sur d'autres Istriotes accusés d'hérésie. En 1547 et 48 P. Paolo voyagea librement, bien que surveillé, dans le territoire de la république; il as-iste aux derniers moments de l'apostat Spiera de Cittadella dont le désespoir lui fit une salutaire impression, et il prêche l'Evangile à Padoue. Chassé de Trente malgré la protection des cardinaux Gonzaga et Madruzzo, accusé et persécuté par della Casa et T.Stella qui détruisaient son œuvre dans l'Istrie, déclaré contumace et hérétique en 1549 et comme tel dégradé et privé de son évêché qui fut donné à son persécuteur T. Stella, P. P. Vergérius, en 1549, par les montagnes de Bergame, s'enfuit dans la Valtellina. Reçu à bras ouverts par plus de deux cents Italiens qui s'étaient déjà réfugiés dans les Grisons il prècha la Réforme à Poschiavo, à Rogoledo, à Ponteresina, à Vico-Soprano; il lutta contre les antitrinitaires et les anabaptistes des Grisons, et son orgueil d'ancien évêque lui procura des ennemis même parmi les orthodoxes. Après plusieurs voyages dont nous ne devons pas nous occuper, il mourut à Tubingue en 1565. Les historiens catholi ques qui le font abjurer avant de mourir n'en ont jamais fourni les preuves (H. Sixt, P.-P. Vergėrius, Brauns weig, 1855). Après son départ, l'Istrie, sous le dominicain T. Stella, fut purgée de son venin hérétique, malgré les prières que Vergérius adressait au sénat de Venise. Avec lui, B. Altieri se plaint des persécutions violentes dirigées contre les frères de Venise et de l'Istrie; il voit venir le moment où sa vie ne sera plus en sûreté. Il avait demandé aux Etats suisses des lettres officielles pour réprimer les fureurs du saint-office; elles lui furent refusées (1545). Malgré la haine de ses ennemis, Altiéri eut le courage de venir des Grisons à Venise, d'où il fut définitivement exilé n'ayant pas voulu se rétracter, et en 1549, après avoir été à Ferrare et à Florence, nous perdons ses traces sans savoir s'il a eu la gloire du martyre. Dès cette époque, la Sérénissime ne s'oppose que faiblement aux empiétements de Rome et c'est avec complaisance qu'elle lui prête son bras séculier. Le saint-office invitait les fidèles à dénoncer les hérétiques. Quand la dénonciation était prouvée par témoins, l'accusé était cité à comparaître pour sa défense (B. Cecchetti, La republica di Venezia e la corte di Roma, nei rapporti della religione, Venezia, 1873), mais sa défense n'était qu'une pure formalité. Le saint-office, lié par la tolérance politique. du sénat, avant 1548, ne mit ensuite plus de bornes à ses rigueurs : il s'agissait d'anéantir l'hérésie. Baldo Lupetino, provincial des franciscains, né en 1502, entré dans l'ordre en 1533, et accusé d'hérésie en 1541 avec sept personnes de Cherso, demeura en prison jusqu'en 1543. Ayant alors refusé d'abjurer, il fut condamné à la prison perpétuelle et à cent ducats d'amende, pour l'arsenal de Venise, malgré la généreuse intervention du duc de Saxe et d'autres princes réformés. Lupetino évangélisa alors ses compagnons de captivité et fut soumis en 1547 à un nouvel interrogatoire; il protestait ne vouloir croire que ce qui est approuvé et commandé par l'Ecriture. Les interrogations sur l'Eucharistie furent les plus pressantes et celles qui le firent condamner. Inébranlable devant les promesses et les menaces des inquisiteurs, il répondait sans cesse : « Convainquezmoi per el verbo di Dio. » L'argument du saint-office fut de le condamner à être décapité entre les deux colonnes de la piazzetta, à avoir le corps brûlé et ses cendres jetées à la mer, at honor et gloria di Jesu Christo!... Un bref apostolique de Paul III avait, pour ainsi dire, dicté ce verdict; mais le conseil des Dix en prohiba l'exécution et Lupetino fut reconduit à son cachot. C'est alors que Pierre de Cittadella publia ses réponses et quelques vers composés en prison qui parurent comme corps de délit dans le troisième procès que Lupetino subit en 1556. L'impression n'avait pas été faite à Venise. Lupetino, en 1551, écrivit aussi un traité intitulé: Memoria æterna piissimæ ducissæ Ferrariæ. Soumis à un troisième interrogatoire, il répondit invariablement avec la Bible et fut condamné à la dégradation et à être noyé, occulte, secrete sine sonitu et sine strepitu. Le procès de B. Lupetino, publié par le prof. E. Comba (Florence, 1875), est un de ceux qu'on peut consulter avec le plus grand profit et l'un des |