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toutes les sinécures fondées sur les principes de la bigoterie. Le bill proposait donc de suspendre la présentation ou la nomination à un bénéfice en Irlande, là où il n'y aurait pas plus de cinquante protestans. Huit cent soixante paroisses de cette contrée étaient dans ce cas, et sur ce nombre cent cinquante et une ne comptaient pas un seul membre de la religion anglicane. D'après le bill, chaque fois que le titulaire actuel de quelqu'une de ces huit cent soixante paroisses viendrait à mourir, il ne serait pas remplacé, au moins immédiatement. D'un autre côté, des mesures seraient prises pour assurer à la minorité protestante de ces paroisses les secours et les ser. vices d'un ministre anglican d'une commune voisine, à moins que le lord-lieutenant d'Irlande en conseil ne jugeât devoir y autoriser, en certaines circonstances, la résidence d'un ministre particulier qui ne pourrait avoir plus de 75 livres d'appointemens. Enfin, si, à la mort du titulaire de quelque bénéfice que ce soit, il était constaté que le revenu du bénéfice s'élevait à plus de 300 livres par an, la commission ecclésiastique en ferait son rapport au lord-lieutenant, et ce revenu serait réduit à ce taux. Différens calculs autorisaient à penser que toutes ces suppressions et réductions de bénéfices donneraient une somme de 58,000 livres. Telle était la somme qui serait appliquée à l'instruction du peuple irlandais.

Le 21 juillet, au moment où la Chambre allait se former en comité, pour examiner les détails du bill, sir Robert Peel proposa de séparer ce bill en deux parties, pour qu'il pût rejeter celle qui supprimait les églises protestantes de huit cent soixante paroisses, et consacrait leurs revenus à des objets sans connexion immédiate avec les intérêts de l'église établie. Alors le débat que nous avons déjà résumé plus haut (page 683), et qui avait eu pour résultat la dissolution du ministère tory, recommença et se prolongea à travers trois séances en tournant à peu près dans le même cercle d'objec tions et de réfutations que la première fois. Chaque parti aligna surtout des bataillons de chiffres à l'appui de son opiAnn. hist. pour 1835.

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nion. Le discours de sir Robert Peel lui-même n'était

pour

ainsi dire qu'une série non interrompue de calculs, dont il suivait que l'église d'Irlande, loin d'avoir plus de revenus qu'il ne lui en fallait, n'en avait pas même assez pour entretenir ses ministres d'une manière décente. Aux chiffres de sir Robert, M. Spring Rice opposa d'autres chiffres qui mettaient de nouveau en relief l'immense disproportion existante entre les membres de l'église établie, les revenus de cette église et la masse de la population irlandaise. L'opinion de la Chambre était connue, et rien n'était arrivé, depuis la discussion du mois d'avril, qui fût de nature à la lui faire abandonner; aussi la proposition de sir Robert Peel fut-elle repoussée à une majorité de 37 voix (319 contre 282). Le bill passa ensuite sans autre opposition, les tories s'abstenant de discuter des détails qui, suivant eux, ne pouvaient pas être amendés, et qu'on devait supprimer entièrement.

D'ailleurs la Chambre des lords était là, et les adversaires du bill n'ignoraient pas qu'il y rencontrerait une majorité irrévocablement hostile en ce qui touchait la disposition des fonds de l'église irlandaise. En effet, dans la séance du 20 août, le comte de Haddington, qui avait été lord-lieutenant d'Irlande sous la précédente administration, demanda que toute cette partie du bill fût rejetée. Il ne voulait pas examiner s'il y avait ou s'il n'y avait pas d'excédant. C'était une question décidée, cet excédant était une chimère; mais alors même qu'il en serait autrement, le plan projeté n'autorisait que trop la Chambre à repousser le coup le plus fatal qui eût encore été dirigé contre la religion protestante en Irlande. Il ne s'opposait pas moins au principe sur lequel était basée la séquestration des bénéfices qu'à cette séquestration elle-même. On bornait aujourd'hui l'application de ce principe à l'Irlande; mais si on l'adoptait, le temps viendrait où il serait aussi appliqué à l'Angleterre. L'évêque de Londres appuya la proposition en dénonçant ce principe comme un germe de destruction et d'extermination. Le sort du protes

tantisme dépendait, suivant le prélat, de la décision que la Chambre allait rendre.

Après que tous les argumens qui plaidaient en faveur de la mesure eurent été développés par les lords Lansdowne, Clanricarde, Conyngham, Plunkett, Brougham, Glenelg, lord Melbourne déclara formellement que, si la proposition passait, il abondonnerait le bill; c'est-à-dire que le clergé continuerait à être dans l'impossibilité de lever la dîme et à subir toutes les misères de sa situation actuelle. Cette considération n'arrêta pas la Chambre des lords, qui adopta la proposition à la majorité de 138 voix contre 41, et le bill en resta là.

Quelques jours avant cette victoire d'un protestantisme intolérant et cupide, le parti qui devait en profiter avait essayé un échec assez remarquable dans la Chambre des communes. Dès les premières séances de la session, une discussion s'était engagée dans cette Chambre sur les sociétés orangistes d'Irlande, et le ministère d'alors avait été accusé de favoriser ces sociétés illégales en donnant des places à des individus connus pour leur appartenir, et en recevant avec bienveillance des adresses qu'elles envoyaient au roi afin de le remercier d'avoir dissous le parlement et congédié le dernier ministère. Bientôt après, le 23 mars, une motion avait été adoptée portant qu'une commission spéciale serait nommée pour s'enquérir de la nature, du caractère, de l'étendue et de la tendance des loges et associations orangistes en Irlande, et de faire connaître sur ces points son opinion à la Chambre. Cette commission n'avait pas encore terminé son enquête. lorsque M. Hume, s'appuyant des renseignemens qu'elle avait, déjà recueillis, souleva de nouveau la question le 4 août, et déclara qu'il paraissait que des loges orangistes avaient été introduites dans l'armée et qu'il en existait dans trente ou quarante régimens de ligne; que ce fait constituait une violation directe des ordres généraux publiés par le commandant en chef en 1822 et 1829, qui le désapprouvaient avec

force comme funeste à la discipline militaire et contraire aux règles du service, et menaçaient de punition ceux qui contreviendraient à cet avertissement; que ces loges avaient été formées en vertu de brevets (warrants) délivrés à cet effet par le duc de Cumberland. Ces brevets à la vérité avaient été donnés en blanc; mais M. Hume pensait qu'il était difficile d'imaginer que le duc eût ignoré l'usage auquel ils étaient destinés. En conséquence il proposait une série de résolutions dont la dernière était ainsi conçue :

« Qu'une humble adresse soit présentée au roi pour le prier qu'il lui plaise gracieusement de diriger son attention sur la nature et l'étendue des loges orangistes établies dans son armée en contravention aux ordres du commandant en chef des troupes de S. M., ainsi que sur cette circonstance que S. A. R. le duc de Cumberland, feld-maréchal de l'armée de S. M., a signé des brevets en sa qualité de grand-maître de la grande loge orangiste en Irlande, lesquels brevets ont eu pour objet de constituer des loges orangistes dans l'armée. »

Dans le cours du débat qui s'engagea sur ces résolutions, il fut généralement reconnu que l'établissement de ces loges ne pouvait être défendu et qu'il était plein de dangers pour la discipline et pour la liberté publique. Suivant M. Hume, les orangistes étaient des perturbateurs de la paix publique qu'il fallait disperser et chasser de toutes les places. M. Sheil ne fut pas moins véhément à blàmer la conduite du duc de Cumberland.

«Que ferait cet homme, s'écriait-il, s'il arrivait au trône? Voudrait-il s'entourer de 100,000 janissaires irlandais, pour exterminer tout ce qui montre de la franchise et de l'indépendance.

» Les dangers qui menacent l'Angleterre, tant qu'on permet aux clubs d'exister, sont en vérité redoutables. Il faut renverser ces meneurs de l'absolutisme ou permettre qu'on nous renverse. Que dirait la Chambre, si le peuple irlandais formait des contre-associations pour opposer des millions d'hommes à la caste orangiste? Quel serait le résultat d'une pareille lutte? Le sang coulerait abondamment. Pour éviter un semblable résultat, il faut détruire le pouvoir qui s'est établi dans le sein des clubs; il faut plus encore, les criminels ne doivent pas échapper aux châtimens qu'ils méritent ! »

Le colonel Perceval, qui était grand-trésorier de la grande loge, soutint que le duc de Cumberland avait signé des brevets dans la conviction qu'on ne s'en servirait que d'une manière conforme aux lois, et surtout qu'ils n'étaient pas des

tinés pour l'armée. Le duc eût été le premier à condamner cette pratique. L'orateur ajoutait que l'institution orangiste n'avait qu'un caractère exclusivement défensif, qu'elle n'était guère une société secrète, puisqu'elle avait produit devant la commission ses livres, ses papiers et même les signes et les mots d'ordre par lesquels les orangistes se reconnaissaient l'un l'autre. Elle n'avait pour but que de résister à d'autres associations qui tendaient, pensait-on, à détruire l'église établie en Irlande et à extirper la religion protestante de ce pays. Du reste, les sociétés orangistes étaient prêtes à se dissoudre, pourvu que les autres associations en fissent autant.

Sir Robert Peel critiqua la forme dans laquelle les résolutions avaient été introduites, et soutint que la Chambre n'était pas suffisamment éclairée pour prononcer. Il consentait à voter une adresse par laquelle le roi serait prié de porter son attention sur les loges orangistes; mais il refusait d'aquiescer à la résolution qui faisait une mention spéciale du duc de Cumberland. Lord John Russell trouvait aussi qu'il n'était guère possible d'adopter cette résolution, bien qu'elle ne parlat d'un illustre personnage que dans les termes les plus modérés, sans donner lieu de croire qu'on jetait un blame sur lui. Le ministre n'était disposé à prendre aucune décision touchant la conduite d'un individu quelconque, si cet individu n'était pas pleinement entendu ou s'il voulait se défendre ou s'expliquer. Il désirait donc que ces derniers mots de la résolution, « lesquels brevets ont été rendus pour constituer des loges orangistes dans l'armée », fussent omis, persuadé qu'ainsi modifiée elle obtiendrait l'assentiment général. Elle passa, en effet, à une très-grande majorité (183 voix contre 40).

Les questions de finances, d'industrie et de commerce ne tinrent proportionnellement qu'une petite place dans les débats de cette session. Quelques unes de ces questions se reproduisaient chaque année sans résultat. Ainsi, le 25 mai, lord

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