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un débiteur pour peine de sa demeure, du jour de la demande en justice. Ces intérêts sont adjugés comme des dommages-intérêts et forment une dette distincte du principal; et ce que le débiteur paye, lorsqu'il n'y a point d'imputation de faite, s'impute sur le principal plutôt que sur les intérêts... » (n° 571).

Telle était, en effet, l'ancienne jurisprudence coutumière, notamment à Paris.

On distinguait les intérêts compensatoires, qui sont le prix de la jouissance du capital, d'avec les intérêts moratoires, qui sont la peine de la demeure du débiteur, pour appliquer aux premiers seulement la règle que l'imputation doit se faire sur les intérêts, avant de se faire sur le capital. Quant aux intérêts moratoires, l'imputation était faite d'abord sur le capital, et, comme on disait, sur la partie la plus dure.

La règle n'était d'ailleurs applicable aux intérêts même compensatoires, que dans les cas, exceptionnels aussi à cette époque, où le principal pouvait produire des intérêts, comme lorsqu'il s'agissait des arrérages de rente, ou des intérêts, qui couraient de plein droit, tels que les intérêts de légitime, de dot, de prix de vente d'immeubles. (Comp. Argou, Inst. t. II. p. 369-370; Lecamus, Traité des créances, p. 258).

Cette distinction entre les intérêts compensatoires et les intérêts moratoires doit-elle encore être faite, en pré.sence de notre article 1254?

On l'a soutenu ainsi et que le texte nouveau ne devait pas non plus être appliqué aux intérêts moratoires (comp. Duranton, t. XII, n° 192; Marcadé, art. 1254 n° 3).

Mais nous ne pensons pas que cette solution soit exacte; et notre avis est, au contraire, que l'article 1254 est applicable aux uns comme aux autres :

1° Le texte est général; et c'est mal à propos, suivant nous, que les dissidents prétendent qu'il consacre implicitement l'ancienne distinction.

Il s'applique, en effet, à toute dette, qui porte intérêt;

Or, les intérêts peuvent courir, soit en vertu de la convention, soit en vertu de la demande en justice. (art. 1153-1154);

Donc, une fois que la demande en justice a été formée, il est rigoureusement exact de dire que désormais la dette porte intérêts.

2o Les motifs, sur lesquels l'article 1254 est fondé, nous paraissent d'ailleurs, autant que ses termes, résister à une telle distinction.

Est-il équitable que le débiteur, qui fait un payement insuffisant pour s'acquitter intégralement, puisse, au détriment du créancier, imputer le payement sur le capital, qui produit des intérêts, plutôt que sur les intérêts, qui n'en produisent pas ; et cela, précisément parce qu'il est demeure et en faute!

Est-ce conforme à l'interprétation loyale de la convention?

Est-il vrai enfin qu'il y ait là deux dettes distinctes et indépendantes?

Voilà ce que nous saurions admettre.

3° Quant à la discussion qui a eu lieu au Conseil d'État, et que Marcadé invoque à l'appui de sa doctrine, nous ne pensons pas qu'elle la justifie; car les orateurs se sont bornés à rappeler la différence, qui existait autrefois, sur ce point, entre le droit coutumier et le droit écrit, sans rien dire qui puisse restreindre la généralité de l'article 1254, qu'ils adoptaient. (Comp. Fenet, t. XIII p. 378-379; Delvincourt, t. II, p. 55 n°; Favard, Répert. vo Imputation § 3; Massé et Vergé, t. III, p. 429; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 166; Larombière, t. III, art. 1254, no 4.)

13. Ce qui pourrait être vrai seulement, c'est que l'article 1254 cesserait d'être applicable dans le cas, que M. Larombière suppose, où le débiteur aurait été con

damné, à l'occasion d'une dette, à des dommages-intérêts, qui pourraient être considérés comme formant euxmêmes une dette distincte et indépendante. (Comp. Larombière, loc. supra cit. n° 5).

14. Quant aux frais, que le créancier aurait été obligé de faire à l'occasion de la dette, ils forment un accessoire, qui se confond avec le principal. L'article 1254 y est donc applicable.

Et l'imputation doit être faite, en conséquence, sur ces frais, par préférence soit au capital de la dette, à l'occasion de laquelle ils ont eu lieu, soit aux intérêts, qui pourraient être dûs; car les frais passent avant tout! (Art. 1258 3°; comp. le tom. III de ce Traité, no 238; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV p. 167; Larombière, t. III, art. 1254, no 5.)

15. Il est d'ailleurs bien entendu que cette disposition de l'article 1254 ne peut recevoir d'application, que lorsqu'il s'agit d'intérêts exigibles.

Telle est, en effet, la règle générale. (Comp. infra no 27; Cass. 18 janv. 1832, Dev. 1833,1,74; Lyon, 30 août 1861, Duberachet, Dev. 1862,II,126; ajout. art. 445 Code de Comm.; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 166; Larombière, t. III, art. 1254, no3).

16. -II. La seconde partie de l'article 1254 décide que :

<< Le payement fait sur le capital et intérêts, mais qui n'est point intégral, s'impute d'abord sur les intérêts. »> Et c'est là surtout, avons-nous dit, la décision d'un point de fait. (Supra no 9).

Pour s'en rendre compte, il faut d'abord poser ce principe, qui est de toute évidence que les parties peuvent convenir, contrairement à la première partie de l'article 1254, que le payement sera imputé sur le capital, par préférence aux intérêts.

Cette convention, qui ne blesse en rien l'ordre public, fait alors leur loi commune (art. 1134).

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Le créancier est, en effet, bien libre, s'il le veut, de consentir à recevoir d'abord le capital, avant les inté rêts.

Et son consentement résulterait même, d'une manière suffisante, indépendamment de toute clause expresse à cet égard, de la simple mention faite dans la quittance que l'imputation aura lieu sur le capital.... Si qui dabat, in sortem se dare dixisset.

Le créancier, qui a bien voulu accepter cette quittance, disait Pothier, ne peut plus par la suite contester l'imputation qu'elle porte. (n° 545; L. 102, § 2 ff., De Solut.; comp. Toullier, t. IV, no 175.)

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17. Faut-il excepter le cas où il y aurait eu dol ou surprise de la part du débiteur?

L'article 1255 édicte cette exception pour l'hypothèse où c'est le créancier, qui a fait l'imputation dans la quittance..

Mais, pourrait-on dire, c'est là, en effet, une disposition exceptionnelle. (Infra, no 35.)

Et de ce que la loi a cru devoir subvenir au débiteur, qui est toujours plus favorable, on n'en peut pas conclure qu'elle ait voulu accorder la même faveur au créancier.

Nous croyons, toutefois, que cette disposition de l'article 1255 devrait être appliquée à l'un comme à l'autre.

Les motifs nous paraissent être les mêmes dans les deux cas..

Et si les juges reconnaissent, en fait, que c'est le débiteur qui a surpris la bonne foi et la confiance du créancier par une imputation glissée perfidement dans la quittance, nous regretterions beaucoup que cette déloyale manœuvre ne pût pas être déjouée :

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Bona occasio est, disait Ulpien, cætera quæ « tendunt ad eamdem utilitatem, vel interpretatione, vel « certe jurisdictione suppleri. » (L. 13 ff. de Legibus,

comp. Duranton, t. XII, no 192; Larombière, t. III, art. 1254, n° 2.)

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18. Et, maintenant, voici ce que suppose la seconde partie de l'article 1254..

Il était dû en capital, 100 000 fr., et en intérêts, 20 000 fr.

Le débiteur remet au créancier une somme de 80.000 fr.

Et la quittance porte que l'imputation est faite sur capital et intérêts.....in sortem et usuras.

Comment faut-il entendre cette clause?

L'imputation sera-t-elle faite d'abord sur le capital, parce que le mot capital est écrit le premier, dans la quittance, avant le mot : intérêts?

Sera-t-elle faite proportionnellement sur le capital et les intérêts, parce que l'un et l'autre mot y sont écrits? Eh bien! non; il ne faut admettre ni l'une ni l'autre de ces imputations.

C'est d'abord sur les intérêts, que l'imputation doit être faite, prius in usuras, et ensuite sur le capital,... si quid superest, in sortem.

Voilà ce que décidait Ulpien, en Droit Romain. (L. 5, § 3 ff., de Solut.)

Et Pothier, dans notre ancien Droit (no 570).

Telle est également la disposition de notre Code.

Et très-justement, par les motifs, que nous avons déjà fournis (supra, no 9-10).

Dans notre exemple donc, les 80 000 fr. payés éteindront. intégralement d'abord les 20 000 fr. d'intérêts, et n'éteindront ensuite que pour 60 000 fr., le principal de 100 000 francs, qui restera dû au chiffre de 40 000 francs..

19-Cette solution, que la seconde partie de l'article 1254 applique aux intérêts d'un capital, est-elle aussi applicable aux arrérages d'une rente?

Évidemment oui! suivant nous..

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