La première préoccupation d'un étranger qui visite un palais riche en souvenirs historiques, c'est de chercher à connaître les événements qui s'y sont passés, et ce qu'il demande surtout au livre qui lui sert de cicerone, c'est le récit simple, lucide et fidèle de tous les faits qui se sont accomplis dans la pièce même où il se trouve. Nos patientes recherches dans les journaux, les mémoires et les chroniques des contemporains nous permettent d'affirmer que les événements, placés par nous dans tel ou tel salon, se sont déroulés là et non ailleurs; nous avons puisé aux sources les plus authentiques. C'est donc l'histoire topographique du pa 1 lais de Saint-Cloud que nous écrivons, l'histoire de chacune de ses pièces isolément, et si les étrangers, en parcourant ses merveilleux salons, approuvent le plan de cet ouvrage, nous serons heureux d'en reporter très - respectueusement tout l'honneur à la haute pensée qui l'a conçu, et qui nous a permis de l'exécuter. PHILIPPE DE SAINT-ALBIN, ARMAND DURANTIN. HISTORIQUE DU PALAIS DE SAINT-CLOUD Avant de faire connaître l'histoire de chaque salle en particulier, jetons un rapide coup d'œil sur le passé de Saint-Cloud, et retraçons, en quelques traits, les principaux événements qul se sont accomplis dans cette magnifique résidence. Sur l'emplacement occupé maintenant par le. château ou à peu près, s'élevait, au xvi° siècle, une jolie villa, bâtie dans le goût italien, par la famille florentine de Gondi, qui avait suivi, à la cour de France, la fortune de Catherine de Médicis. La veuve de Henri II, la mère de trois rois, avait octroyé à son féal écuyer Jérôme de Gondi ce beau domaine, fort arrondi par la réunion de l'hôtel d'Aulnay, acheté de Jean Roville en 1572. Plus tard, la propriété était passée entre les mains de Barthélemy Hervard, contrôleur général des finances, chargé jadis, par Mazarin, de sonder ce que pesait la conscience du prince de Condé. Riche et fastueux, Hervard avait acheté la villa de Gondi un million; il avait dépensé le double en embellissements, et le traitant, aussi vaniteux qu'imprudent, rêva la faveur d'une visite royale. Fort bien en cour, ayant aidé souvent Mazarin de ses services, il parvint à obtenir que le cardinal-ministre lui amenât Louis XIV et son frère, le duc d'Orléans. La collation qu'il eut l'insigne honneur de leur offrir lui coûta cher. Le 24 octobre 1658, le Roi, Monsieur et Ma zarin réalisèrent enfin le songe doré du financier, en venant passer la journée dans la maison de Gondi, qui fit jouer, pour eux, ses cascades féeriques et s'inonda de feux et d'illuminations merveilleuses, du moins au dire des chroniques du temps. Lorsque la dernière gerbe du feu d'artifice fut éteinte, Louis XIV et son frère prirent congé de leur hôte, s'éloignèrent suivis de la cour et des mousquetaires; mais Mazarin resta. 11 débuta par des compliments sur la fête, et vanta beaucoup la fortune de son hôte, de ce ton fin et demi-railleur qui donne à penser. Or, la conscience du contrôleur général n'étant pas parfaitement nette en matière de finances, Hervard entrevit, à la suite de ce sourire, qu'il connaissait de longue date, des poursuites, des restitutions, la ruine peut-être. Il pensa que le mieux était de se faire petit, et d'amoindrir sa fortune. Combien vous coûte ce palais, demanda le cardinal? Douze ou quinze cent mille livres? Et le peuple se plaint!... |