remarquable sous le rapport littéraire, contient, entre autres, des observations que nous adopterions volontiers sur la femme auteur, qui, dépouillant la modestie et la pudeur naturelles à son sexe, vient se produire sur un théâtre, faire parade de son esprit ou de celui qu'elle croit: avoir, mendier des applaudissemens et s'exposer aux traits aigus de la critique. • Toute femme, dit M. Cousin, qui écrit sur ses sentimens pour le public, entreprend de le tromper; elle fait un personnage, et partant elle le fait assez mal; elle écrit avec plus ou moins de chaleur et de feu extérieur, mais sans ame, car si l'ame l'inspiroit, elle la retiendroit aussi. M. Cousin fait pourtant une exception en faveur des poètes, hommes ou femmes, « enfans aimables ou sublimes, qui ne savent ni ce qu'ils disent, ni ce qu'ils font, chantent ou écrivent, comme l'enseigne Platon, sous l'empire d'un démon qui leur souffle tout ce qu'ils di sent. Quant aux écrivains en prose qui changent l'art d'écrire en un métier, et qui font des livres comme d'autres font des habits, voici comment M. Cousin s'exprime sur leur compte : « Un hommè sérieux n'écrit que par nécessité, et parce qu'autrement il ne peut atteindre son but. Cela est si vrai, qu'il n'écrit bien qu'à cette condition; et ce n'est pas une remarque de petite conséquence (rémarque, pour le dire en passant, qui n'appartient pas à M. Cousin) que les plus grands écrivains n'ont pas été des auteurs de profession. Descartes, Pascal et Bossuet sont-ils des gens de lettres? Pas le moins du monde. Ils n'écrivent point pour faire montre de leur esprit, mais pour défendre une noble cause confiée à leur courage et à leur génie. » On approuvera volontiers ces paroles: Pascal, comme Bossuet, avoit entrepris la défense d'une noble cause, dans ce grand ouvrage qu'il préparoit pour la défense de la religion, et dont il n'est resté que des fragmens impérissables. Malheureusement, ce n'est pas à cet ouvrage que M. Cousin fait allusion, c'est aux Provinciales que le conseiller universitaire a mis au nombre des livres obligatoires pour les examens du baccalauréat, sans faire réflexion sans doute que plusieurs de ces lettres soutiennent formellement une doctrine contraire aux principes de la religion, et réprouvée depuis long-temps par l'Eglise. M. Cousin nous dit avec emphase que «Pascal, dans les Provinciales, combattoit pour la morale éternelle, comme Démosthène avoit combattu deux mille ans auparavant à la tribune d'Athènes pour la liberté de sa patrie..., etc. C'est-là un trait de rhétorique universitaire, pas autre chose. Nous dirons, nous, sans aspirer à la hauteur du style de M. Cousin, mais en prétendant seulement nous rapprocher davantage de la vérité, qu'on pourroit remarquer avec beaucoup plus de raison que Pascal commence ses trop célèbres épîtres par ébranler les fondemens mêmes de toute morale, en défendant avec un zėle déplorable, contre l'enseignement exprès et constant de l'Eglise, ce dogme absurde de la grâce necessitante, destructif du libre arbitre, sans lequel il n'y a point de morale. Dans ses Provinciales, Pascal, pour dire simplement la chose comme elle est, combattoit pour la cause du jansénisme, à laquelle il avoit eu le malheur de s'attacher. Les jansénistes aux abois, battus sur le dogme, écrasés par l'autorité de l'Eglise, résolurent, pour faire diversion, de se jeter sur la morale, et de substituer, comme le fit plus tard Voltaire, la plaisanterie aux argumens. Ils se mirent à faire des extraits dans tous les casuistes que la société des Jésuites avoit produits depuis plus d'un siècle. Ils eurent soin de faire ces extraits de la manière la plus convenable à leur but, sans appliquer là les principes de leur morale sévère. On avoit remarqué dans Pascal un écrivain incisif et piquant; on lui communiqua ces extraits, en lui recommandant d'en tirer le meilleur parti possible en faveur de la secte, et contre les mortels ennemis des nouvelles doctrines. Pascal, confiant sans doute dans l'honnêteté et la bonne foi de ses amis, qualités, pour l'observer en passant, qu'il ne faut pas supposer si facilement dans les gens que domine l'esprit de parti, Pascal, indigné de ces adoucissemens étranges, de ces altérations apportées à la morale, écrivit ses lettres connues sous le nom de Provinciales; et il avoua depuis qu'il n'avoit jamais lu les • auteurs dont il avoit stygmatisé les opinions. Nous ne prétendons pas assurément que parmi toutes ces opinions, telles même qu'elles se trouvent dans les ouvrages des casuistes, il n'y en ait aucune de blamable. Qui pourroit s'étonner que, dans ce grand nombre d'auteurs qui ont écrit sur les questions épineuses de la morale chrétienne, de cette morale que les gens du monde trouvent quelquefois relâchée dans les livres, et toujours trop sévère dans la pratique; qui pourroit, disons-nous, s'étonner que quelques-uns de ces écrivains, séduits par de faux raisonnemens, n'aient pas toujours su se contenir dans les justes bornes? Ce n'étoit pas la faute particulière des Jésuites; ils n'étoient pas plus infaillibles que les autres. Mais supposer gratuitement, comme le fait l'auteur des Provinciales, que des hommes qui renoncent à tous les biens et à toutes les espérances d'ici-bas, qui s'exposent à toutes les privations, à tous les périls, à la mort même, pour aller porter la lumière de la vérité à des peuples barbares; avoir le courage de supposer que ces héros de la vérité et de la charité ont formé le complot de corrompre la morale de cet Evangile pour lequel ils se sacrifient; rien certainement ne peut mieux démontrer à quel incroyable excès d'injustice et d'aveuglement peut conduire l'esprit de secte et de parti. A notre avis, une si monstrueuse énormité suffiroit seule pour justifier la condamnation des Provinciales; elle doit servir encore à juger de la confiance que l'on doit accorder à tout le reste du livre : c'est le cas de dire: Ab uno disce omnes. Ceux qui sont versés dans ces matières, qui ont examiné le pour et le contre, savent très-bien à quoi s'en tenir sur les fameuses lettres de Montalte, qui n'influeront jamais sur le jugement qu'ils doivent por-' ter des Jésuites. Mais pour un homme placé dans les circonstances où se trouve l'éditeur de Jacqueline, est-il un livre plus précieux que les Provinciales? Il semble que Pascal l'ait écrit pour MM. de l'Université, aussi bien que pour les jansénistes de son temps. La position est presque la même; la cause que soutiennent les défenseurs absolus de l'Université est à peu près aussi bonne que celle de Port-Royal. Bien entendu que certains hommes de l'Université, quand il s'agit de combattre pro aris et focis, ne seront pas plus délicats que les austères disciples de Saint-Cyran. Cela posé, les Provinciales, où l'on tourne en ridicule les Pères Jésuites, où on les réfute avec des facéties et de temps en temps avec des calomnies, ces Provinciales ne sont-elles pas une réponse péremptoire à opposer aux succès des Jésuites dans l'enseignement, à leur prétention de jouir, en vertu de la liberté de conscience, des droits qui sont ou doivent être accordés à tous les citoyens? Toutes les réfutations de ce livre si utile aux intérêts du moment, doivent être considérées comme non avenues, et voilà comme on allie l'amour de la justice et de la vérité avec les superbes maximes de la philosophie. Mais il est temps de revenir à la citation de M. Cousin sur les gens de lettres. « Dès qu'un homme écrit pour écrire, dit-il, pour briller ou pour faire fortune, il écrit mal, ou du moins il écrit sans grandeur, parce que la vraie grandeur ne peut sortir que d'une ame naturellement grande qui s'émeut pour une grande cause. Hors de là, il n'y a plus de pathétique, il n'y a plus de vraie beauté, il n'y a plus par conséquent de grand effet; tout se réduit à une industrie intellectuelle habilement exercée, à des succès qui en Chine font monter un mandarin d'une classe à une autre, et en France nous envoient à l'Académie. L'homme de lettres est un artisan distingué qui contribue aux plaisirs publics, mérite et obtient une juste considération, et a droit à tout, par exemple à la pairie, telle que nous l'avons faite, à tout, dis-je, excepté à la gloire. La gloire est à un autre prix: elle est le cri de la reconnoissance du genre humain, et le genre humain ne prodigue pas sa reconnoissance; il la lui faut arracher par d'éclatans services. >>> Nous ne savons si tous nos écrivains de profession, qui se croient des personnages si importans, seront pleinement satisfaits du ton un peu leste et sans façon avec lequel M. Cousin les juge et leur assigne leur place, et si nos graves politiques ne seront pas peut-être scandalisés de la manière dont il parle de la chambre des pairs, telle que l'a faite notre dernière révolution. Mais il faut convenir qu'il y a quelque chose de vrai dans les observations de M. Cousin, et qu'à l'égard de la plupart de nos écrivains, la dette des générations futures sera très-facile à payer. Plût à Dieu qu'en échange des avantages qu'ils trouvent dans la société actuelle, ils se bornassent à contribuer à ses plaisirs, comme le dit M. Cousin, ce qui n'est pourtant pas le but principal de l'art d'écrire, et qu'ils ne travaillassent pas avec tant de zèle à la pervertir et à la corrompre! M. Cousin nous permettra de ne point admirer autant qu'il le fait les religieuses de Port-Royal. Il trace un portrait magnifique de la mère Angélique; la mère Agnès a aussi sa part de louanges. Ces religieuses étoient sans doute distinguées par les qualités de leur esprit; elles avoient plusieurs des vertus de leur profession; mais nous ne pou-vons oublier que le fondement indispensable et comme la pierre de touche de toutes les vertus chrétiennes, et surtout des vertus religieuses, c'est l'humilité, vertu, il est vrai, peu connue dans les régions philosophiques. Une des marques certaines de cette vertu si éminemment chrétienne, c'est la soumission aux supérieurs légitimes, la soumission à l'autorité de l'Eglise quand elle parle. Or, l'humilité de ces bonnes re-ligieuses de Port-Royalétoit telle, qu'elles osoient bien protester contre une décision du Saint-Siége: Elles n'étoient pas plus soumises à leur évêque. M. Singlin, ce fameux directeur et prédicateur janséniste, ayant été interdit par l'Archevêque de Paris, la mère Angélique déclara hautement qu'aucun autre prédicateur ne mettroit les pieds dans l'église de Port-Royal. Dans des religieuses formées, dirigées par des hommes d'une morale si sévère, ennemis si prononcés, dans leurs livres au moins, de tout ce qui pouvoit avoir l'apparence du mensonge, on devroit sans doute trouver une sincérité irréprochable. Mais peut-on dire que cette fameuse mère Angélique, si exaltée par M. Cousin, étoit bien sincère lorsque, dans sa lettre à la reine-mère, elle soutenoit que les religieuses de Port-Royal ne s'occupoient d'aucune discussion théologique, et qu'elles n'avoient pas même lu le livre de la fréquente communion, tandis qu'il est constant, par les apologies même de Port-Royal, qu'elles dévoroient tous les écrits que publioient Arnauld, Nicole et Pascal; qu'elles ne craignoient pas de descendre elles-mêmes dans l'arène, et que, suivant l'abbé Racine, témoin non suspect, elles entretenoient des correspondances au-dehors, et composoient des ouvrages qu'on imprimoit, ainsi que leurs lettres? Elles prétendoient être étrangères aux matières controversées, et dans une visite que leur archevêque eut la bonté de leur faire, elles le fatiguèrent par leurs objections et leurs subtilités. C'est alors que ce prélat, justement indigné de leur suffisance et de leur invincible opiniâtreté, leur dit avec tant de raison qu'elles étoient pures comme des anges et orgueilleuses comme des démons. On ne pouvoit mieux les peindre d'un seul trait. M. Cousin nous présentè comme un des préliminaires de la persécution, la visite d'un des grands-vicaires de l'archevêque de Paris, envoyé pour interroger les religieuses sur leur foi. Il oublie que Bossuet luimême remplit aussi ce ministère, qu'il se rendit auprès des religieuses de Port-Royal pour les instruire, les ramener à de meilleurs sentimens. Mais l'auteur de l'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique, qui réussit à convaincre Turenne, ne put réussir à persuader ces grandes théologiennes; elles se crurent plus éclairées que Bossuet. Mais, ce qui est bien plus grave encore, elles résistèrent obstinément à leur évêque, au souverain pontife, à tout l'épiscopat qui avoit approuvé les décisions émanées de la chaire apostolique. A quel point falloit-il donc qu'elles cussent été séduites et ensorcelées par leurs faux docteurs! Un catholique sincère pourroit-il ne pas déplorer une pareille aberration? Il est vrai que M. Cousin avoue que « Saint>> Cyran, homme fatal, en introduisant dans Port-Royal une doctrine >> particulière, imprima à une œuvre simple et grande le caractère étroit >> de l'esprit de parti, et fit presque d'une réunion de solitaires, une >>> faction. >> Il faut convenir que Jansénius et Saint-Cyran avoient bien choisi leur place d'armes. Ils savoient de quelle importance il est, lorsqu'on veut propager de nouveaux dogmes, de les établir d'abord dans une communauté. « De telles gens (des gens de communauté), écrivoit Jan>> sénius à son ami, sont étranges quand ils épousent quelque affaire; je juge par là que ce ne seroit pas peu de chose si mon ouvrage étoit >> secondé par quelque compagnie semblable; car étant une fois em>> barqués, ils passent toutes les bornes pro et contrà. » Il avoit bien jugé. REVUE ET NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES. PARIS. D. L. Plus la dissolution intellectuelle et doctrinale du protestantisme en Allemagne devient un fait patent et incontestable, plus les puissances protestantes (la Prusse surtout qui a fait de son protestantisme philosophique le piédestal et le pivot de sa politique), s'efforcent de lui conserver cette existence extérieure et purement formelle qui menace de se dissoudre également, comme tout corps organisé dont la vie s'est éteinte. En ce moment le gouvernement de Berlin a convoqué, dans ses pro |