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I. Le gouvernement se rapproche des puissances continentales. M. Thiers veut « faire du cardinal Fleury ». Satisfaction des trois puissances. Mécontentement de l'Angleterre. II. Occupation de Cracovie. Attitude conciliante de M. Thiers. III. Le contre-coup de la révolution de 1830,en Suisse. L'agitation pour la réforme fédérale. La question des réfugiés. La politique du gouvernement français se modifie peu à peu. Démarches comminatoires de M. Thiers. La Suisse cède. Son irritation. Affaire Conseil. IV. M. Thiers repousse l'intervention en Espagne. Il propose le mariage d'Isabelle et de don Carlos. Éloge fait, à Berlin et à Vienne, du roi Louis-Philippe. V. Pourquoi M. Thiers se rapprochait-il des puissances continentales? Le duc d'Orléans. On désire, aux Tuileries, un mariage avec l'archiduchesse Thérèse. Résistance à Vienne. M. Thiers se flatte d'enlever le mariage. Voyage du duc d'Orléans et du duc de Nemours. Leur succès à Berlin et à Vienne. Pourparlers relatifs au mariage avec l'archiduc Charles et M. de Metternich. Les princes à Milan. L'effet de l'attentat d'Alibaud. Derniers efforts de M. Thiers. Refus de l'archiduc Charles. Le roi de Prusse propose la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. - VI. M. Thiers veut se venger. Il revient à l'idée d'une intervention en Espagne. Le Roi consent à l'organisation d'une légion étrangère. Désaccord entre le Roi et son ministre. Ce désaccord s'aggrave après l'insurrection de la Granja. Démission du ministère. Effet produit à l'étranger et en France.

I

Si M. Thiers se bornait, dans les affaires intérieures, à vivre d'expédients, d'ajournements et d'équivoques, sans rien tenter d'éclatant ni de décisif, était-ce qu'il se réservait de chercher au dehors le succès qui devait illustrer son administration? Les circonstances dans lesquelles il avait remplacé le duc de Broglie au ministère des affaires étrangères, les

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influences qui l'avaient poussé à ce poste, indiquaient à elles seules un changement de politique. Il semblait que ce fût un pas décisif vers le système diplomatique que le Roi, depuis quelques années, avait tâché de faire prévaloir sur les idées différentes de son ministre doctrinaire, système tendant à rapprocher la France des puissances continentales. M. Thiers s'était laissé persuader par M. de Talleyrand qu'il était seul capable de réconcilier la révolution de Juillet avec ces puisMonsieur, l'Europe vous attend », lui avait dit sentencieusement le vieux diplomate. Aussi le président du conseil marqua-t-il, dès le premier jour, par son langage, cette direction nouvelle donnée à la politique française. Au lieu de s'attacher, comme l'avait fait M. de Broglie, à former la ligue des États libéraux en opposition à l'alliance des cours absolutistes, et de proclamer leur antinomie en quelque sorte essentielle et permanente ', il écrivait à ses ambassadeurs : « Il ne faut pas nous placer entre deux camps, l'un composé des trois cours du Nord, l'autre des deux puissances maritimes, et se préparant, par des hostilités de langage ou de visage, à des hostilités plus réelles. Si le temps le voulait, il faudrait resserrer

1 Cf. notamment les instructions données, le 3 avril 1833, à M. de SainteAulaire, quand il alla prendre possession de l'ambassade de Vienne. « L'antagonisme de la France et de l'Autriche, y lit-on, se rattache à la différence absolue des principes de leurs gouvernements, de l'esprit des populations, de tout ce qui constitue la force morale de l'un et de l'autre, de tout ce qui fait qu'indépendamment des accidents de la politique intérieure, la France en réalité n'a pas cessé, depuis un demi-siècle, d'être à la tète du mouvement des idées nouvelles, tandis que l'Autriche, au contraire, a constamment favorisé le maintien ou le rétablissement des anciennes institutions... L'hostilité morale, existant entre la France et l'Autriche, ne se rattachant pas à des motifs accidentels, mais au fond même de la situation, ce serait se faire une dangereuse illusion que de compter, pour la faire cesser, sur des motifs puisés dans les vicissitudes ordinaires de la politique. Cette hostilité durera tant les deux pays continueront à marcher à la tête des deux ordres d'opinions et d'idées qui partagent aujourd'hui l'Europe en deux camps ennemis... Il ne saurait être question, pour longtemps, à moins de circonstances bien extraordinaires, de travailler à opérer un rapprochement intime entre deux pays séparés par des divisions aussi profondes... Le rôle de l'ambassadeur du Roi auprès de la cour impériale est d'observer attentivement les manoeuvres ténébreuses d'un cabinet où viendront toujours aboutir tous les fils des combinaisons dirigées contre la France... » (Mémoires inédits du comte de Sainte-Aulaire.)

que

l'alliance anglaise; mais, tout le monde se rapprochant de nous, il ne faut pas repousser ceux qui tendent vers nous et faire du Toeplitz en sens contraire'. » Le ministre revenait souvent sur le « danger » de cette séparation de l'Europe en « deux camps ennemis 2». Il exprimait du reste ainsi l'idée personnelle du roi Louis-Philippe, qui faisait assurer le gouvernement prussien de son désir de « faire cesser les deux camps qui divisent l'Europe et de les fondre en un seul, en se rapprochant de plus en plus des trois puissances continentales 3 ». M. Thiers protestait encore de la « satisfaction bien vive avec laquelle il avait vu les grands États de l'Europe, prenant envers nous une attitude plus amicale, nous mettre en mesure de leur prouver que nos sentiments à leur égard n'étaient pas tels qu'ils avaient pu se le figurer. Je n'ai pas besoin d'ajouter, disait-il, que plus ils avanceront dans cette voie nouvelle, plus ils nous trouveront disposés à y marcher avec eux. Notre vœu le plus sincère est d'imprimer à nos rapports avec les cabinets étrangers un caractère de confiance bienveillante, »

M. de Broglie, à la fin de son ministère, avait, lui aussi, rêvé d'un rapprochement avec l'une des cours continentales, avec l'Autriche; mais c'était dans le dessein de séparer celle-ci des deux autres cours, de la rattacher à l'alliance franco-anglaise. Ce projet, si lointain qu'en fût la réalisation dans la pensée du ministre, n'avait pas laissé que de préoccuper le gouvenement prussien. Quand M. de Barante était passé par Berlin, en décembre 1835, M. Ancillon lui avait demandé, avec inquiétude, s'il était vrai que nous eussions le désir de faire «< une trouée entre les trois cours, de tâter l'Autriche pour la ramener à une alliance avec l'Angleterre et la France », affirmant que «< ce serait une vue erronée, que l'on échouerait dans ce des

1 Lettre particulière de M. Thiers à M. de Barante, ambassadeur à SaintPétersbourg, en date du 15 avril 1836. (Documents inédits.)

2 Lettre de M. Thiers à M. de Sainte-Aulaire, destinée à être communiquée à M. de Metternich. (Mémoires inédits du comte de Sainte-Aulaire.)

3 Dépêche d'Ancillon, du 3 avril 1836. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, t. I, p. 590.)

Dépêche de M. Thiers, en date du 15 avril 1836. (Documents inédits.)

sein' ». M. Thiers se hâta de dissiper ces alarmes. « L'idée de diviser les cour's continentales, écrivait-il à l'un de ses ambassadeurs, d'en détacher une ou deux sur les trois, serait un projet, et je ne suis pas disposé pour les projets. Je les trouve en général ridicules, et inexécutables la plupart du temps. J'ai toujours été en guerre avec les faiseurs de projets, et je ne le deviendrai pas moi-même. Sur les trois cours du Nord, s'il y en avait une seule qui tendit vers nous plus visiblement qu'aucune autre, alors on pourrait peut-être exécuter le projet auquel vous faites allusion. Mais sur les trois, deux, la Prusse et l'Autriche, sont également bien, sans qu'on puisse distinguer entre les deux. Il y a bon sens, bon vouloir de leur part. Il n'y a donc aucune manière de faire une scission pour ajouter une troisième alliance à l'alliance des deux cours de France et d'Angleterre. Tout cela, d'ailleurs, ce sont des agitations d'esprit, et il n'en faut ni de corps ni d'esprit 3.

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Cette dernière formule était faite pour aller au cœur de M. de Metternich. M. Thiers insistait sur cette idée, sachant qu'il n'en était pas de plus agréable aux puissances dont il voulait se rapprocher. Il se déclara résolu à éviter les « motifs de

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Dépêche de M. de Barante au duc de Broglie, en date du 20 décembre 1835. (Documents inédits.) — Il est vrai qu'en 1836, il y avait peu de chances d'opérer cette dissolution. Une dépêche de M. de Barante, adressée à M. Thiers, le 22 mars 1836, indiquait judicieusement d'où venait la difficulté : « Dans la situation présente, toutes choses restant ce qu'elles sont, en quoi pourrait servir à une des trois puissances de se détacher des deux autres? Si elle avait un dessein à exécuter, si elle entrevoyait un péril dont elle eût à se garder, je conçois qu'elle vint chercher notre aide et notre appui. Mais il n'y a rien de pareil en ce moment, chacun veut le statu quo, chacun se trouve bien de l'équilibre européen et en souhaite la préservation actuelle. Or, rien, selon les cabinets de Berlin et de Vienne, ne peut mieux maintenir cet équilibre que l'union des trois cours du Nord, destinée à arrêter les invasions révolutionnaires, et l'alliance de la France avec l'Angleterre, qui retiendra la Russie dans ses projets d'invasion ou de conquête... Si nous faisions quelques tentatives, si l'on nous voyait quelque désir de dénouer les liens qui unissent les cabinets du Nord, ces liens en deviendraient plus serrés et plus intimes, car nous donnerions ainsi l'indice d'un esprit d'inquiétude ou de projets ultérieurs. » Rappelons-le, du reste, quand le duc de Broglie songeait à détacher l'Autriche des autres puissances, c'était seulement en vue de la question d'Orient et pour le jour où cette question se poserait. Il n'y avait donc pas contradiction entre lui et M. de Barante.

Lettre particulière de M. Thiers à M. de Barante, en date du 15 avril 1836. (Documents inédits.)

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controverse >> les questions périlleuses», à les « résoudre par des transactions >> ou à les « éluder », en se fiant au << temps1». « La conservation du statu quo, disait-il encore, voilà, suivant moi, la vraie sagesse. Quand on a cru que la paix était le meilleur des systèmes, il faut la vouloir franchement. Être tranquille de corps, et ne pas l'être d'esprit, serait la plus triste des façons d'être. Puisque nous n'armons pas des armées, il est inutile de nous adresser des notes qui seraient la guerre de plume, en attendant la guerre du canon. » Puis, après cette déclaration où les hommes d'État du continent pouvaient voir un désaveu de certaines notes de M. de Broglie, M. Thiers concluait ainsi : « Il n'y a aujourd'hui rien à faire en Europe qu'à attendre et, en attendant, à améliorer notre situation intérieure, à nous renforcer, à devenir riches et forts. Il faut faire du cardinal Fleury. Nous verrons ensuite. Quand l'imprévu surviendra, il nous trouvera préparés par le repos et une longue paix. Voilà mon système. Ceux qui pensent et agissent autrement sont des brouillons 2. » Que M. Thiers eût tort, que ce ne fût pas la conduite la plus sage à ce moment, nous ne le prétendons certes pas mais le cardinal Fleury était bien le dernier homme d'État sous le patronnage duquel on se fût attendu à voir se placer le jeune, mobile et aventureux ministre.

Les puissances continentales ne devaient voir qu'avec plaisir le pouvoir aux mains d'un personnage ainsi disposé. A l'ambassade d'Autriche, où il y avait réception le soir même de la constitution du cabinet, on affectait de faire un pompeux éloge de M. Thiers. De Vienne, M. de Metternich exprimait l'espoir que le Roi, débarrassé des doctrinaires, « trouverait plus de facilité avec le nouveau ministre des affaires étrangères».

Dépêche précitée du 15 avril 1836.

2 Lettre précitée, en date du 15 avril 1836.

3 Cependant, quand il envisageait les choses au point de vue de la politique intérieure de la France, M. de Metternich regrettait qu'on eût fait de M. Thiers un président du conseil. Cela lui paraissait « un véritable danger pour la durée du nouveau ministère ». « Je n'ai rien, ajoutait-il, contre l'homme personnellement; mes doutes ne portent pas sur ses facultés intellectuelles, mais il me semble avoir trop peu de poids. Aussi ne lui vois-je d'autre soutien celui que lui prêtera la couronne, et les hommes qui vivent de fonds prêtés ne sont jamais

que

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