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CHAPITRE LXXXI.

Des personnes qui peuvent êtres fondées à participer au droit d'usage réel, ou à en revendiquer l'exercice.

3134. Le droit d'usage servitude réelle est activement inhérent au fonds pour le service duquel il fut établi, puisque telle est la destination des servitudes prédiales dont il est le caractère : quid aliud sunt jura prædiorum quàm prædia qualiter se habentia? ut bonitas, salubritas, amplitudo, c'est-à-dire que c'est une qualité civilement unie au fonds, et qui lui reste attachée comme si elle en faisait une partie matérielle.

Si donc il appert par l'acte de concession, ou par la suite d'une possession constante, qu'un droit de cette nature n'ait été établi que pour le service d'un fonds particulier, ou d'une habitation spécialement déterminée, ou d'un certain domaine formant un corps de métairie, il ne doit appartenir qu'au possesseur de ce fonds, de cette habitation ou de ce domaine : il n'y a que lui qui puisse avoir la faculté d'en réclamer l'exerice, parce qu'il n'y a que lui qui soit en possession de l'héritage dont ce droit fait partie; et comme il s'agit ici d'une chose toute réelle, on n'a pas à examiner si le possesseur actuel est devenu propriétaire du fonds, à titre d'hérédité, ou comme donataire, ou comme acquéreur à titre singulier, cùm fundus fundo servit, vendito quoque fundo servitutes sequuntur; on n'a pas à rechercher si, dans l'acte de

L. 86, ff. de verbor. significat.

2 L. 12, ff. communia. prædicr., lib. 8, tit. 4.

mutation du fonds, il a été expressément stipulé que le droit d'usage serait aussi transféré à l'acquéreur ou au donataire, puisqu'il faisait une partie naturelle de l'aliénation.

3135. Il y a plus, et l'on peut dire que, tant qu'il n'y a pas eu d'action en cantonnement exercée, la servitude tient plus intimement au fonds dominant que si elle en était une portion matérielle; car on pourrait vendre une partie du fonds, tout en conservant le surplus, tandis qu'il ne serait pas possible de n'aliéner que la servitude en retenant le fonds, ou d'aliéner le fonds en ne retenant que la servitude : ideò autem servitutes prædiorum appellantur, quoniam sine prædiis constitui non possunt. Nemo enim potest servitutem acquirere, vel urbani vel rustici prædii, nisi qui habet prædium 3.

3136. Lors même que le droit d'usage n'aurait d'autre fondement que la destination du père de famille, qui serait toujours resté maître d'y déroger avant la vente du fonds, ou de l'en séparer en le vendant; ce droit serait encore transféré au tiers acquéreur, sans qu'on l'eût expressément compris dans l'acte d'aliénation; et la loi romaine nous en donne l'exemple suivant : Plusieurs citoyens d'une ville, y est-il dit, possédant divers fonds de terres, avaient acheté un bois en

3 L. 1, § 1, ff. eod.

commun, pour y faire paître leurs bestiaux, et leurs héritiers en ont usé de mème, plures ex municipibus qui diversa prædia possidebant, saltum communem, ut jus pascendi haberent, mercati sunt: idque etiam à successoribus eorum observatum est; mais quelques-uns de ceux qui avaient ce droit de pâturage commun ont vendu les fonds qui leur appartenaient séparément et en propre, sed nonnulli ex his quis hoc jus habebant, prædia illa sua propria venundederunt; je demande si ce droit de pâturage est compris dans la vente et suit le fonds vendu, lorsqu'il paraît que telle a été l'intention des vendeurs? Quæro an in venditione étiam jus illud secutum sit prædia, cùm ejus voluntatis venditores fuerint ut et hoc alienârint? On a répondu qu'il fallait observer ce dont les parties étaient convenues, et que le droit de pâturage passait aux acquéreurs lors même qu'il n'y avait eu, entre les contractans, aucune intention manifeste à cet égard, respondit id observandum quod actum inter contrahentes esset : sed si voluntas contrahentium manifesta non sit, et hoc jus ad emptores transire. Je demande aussi si celui à qui une partie de ces fonds propres aurait été léguée pourrait également revendiquer une participation à ce pâturage commun? item quæro, an cùm pars illorum propriorum fundorum legato ad aliquem transmissa sit, aliquid juris secum hujus compascui traxerit? On a répondu que, comme ce droit était attaché à la terre léguée, il devait passer au légataire avec le fonds, respondit, cùm id quoque jus fundi qui legatus esset, videretur, id quoque cessurum legatario '.

3137. Mais lorsqu'on ne voit pas que le droit d'usage, établi sur une forêt ou autre terrain, ait été spécialement attaché à un fonds seulement, ou à un domaine ou métairie déterminés, ou à une maison ou habitation particulières: lorsqu'au

L. 20, § 1, ff. si servit. vindicet., lib. 8, tit. 5. 2 L. 7, § 1, ff. quod cujusque univer. nomin., lib. 3, tit. 4.

contraire on voit par le titre de concession, ou par des actes de reconnaissance, ou par la suite d'une possession constante, que ce droit a été généralement ou indistinctement établi, ou réservé au profit des colons, ou cultivateurs, ou habitans d'une localité quelconque; lorsqu'on voit que les personnes domiciliées dans cette localité en ont joui comme habitans du lieu, on doit dire que ce droit est une véritable propriété communale, et que la servitude foncière est alors activement inhérente à la masse du territoire ou des propriétés territoriales dela communauté, pour servir à l'aisance de ses cultivateurs et habitans; attendu que tout ce qui, au lieu d'être réservé à la disposition individuelle des citoyens, est au contraire abandonné à l'usage ou à la jouissance commune de tous, est nécessairement une propriété communale, d'où il résulte que quoiqu'alors l'usage soit exercé par les particuliers, il n'est cependant pas la propriété individuelle de chacun d'eux; en sorte qu'il en est de ce droit comme de celui de la propriété d'un terrain communal qui n'appartient qu'aux corps de la commune, quoique la jouissance en soit dévolue à chacun des habitans, si quid universitati debetur, singulis non debetur : nec quod debet universitas, singuli debent 2; ou en d'autres termes encore, universitatis sunt, non singulorum, quæ in civitatibus sunt, theatra, stadia et si qua alia sunt communia civitatum 3. Voilà le principe; voyons-en les conséquences.

3138. Le droit d'usage établi ou réservé au profit de la généralité des habitans d'un lieu, est un droit communal; donc, pour avoir la faculté d'y participer, il faut être membre de la communauté qui en est propriétaire; donc les forains ne doivent point en jouir personnellement et par euxmêmes; donc celui qui quitte la commune, pour transporter son domicile ailleurs, ne peut plus en réclamer les émolumens.

3 Instit. § 6, de rerum division., lib. 2, tit. 1.

3139. Le droit d'usage concédé ou laissé à la généralité des habitans d'un lieu, est un droit communal; donc celui qui acquiert l'incolat dans la commune, acquiert aussi le droit d'y participer; et c'est là une conséquence nécessaire du quasi-contrat qui s'opère, par la fixation du domicile, entre les anciens habitans et le nouveau domicilié; quasi-contrat en vertu duquel ce dernier se trouvant passible de sa quote part des charges communales, doit aussi, et par réciprocité, avoir le droit de participer aux avantages communaux dont les autres jouissent.

Il doit l'avoir encore parce qu'il vient associer ses travaux avec ceux des autres membres de la commune, pour la culture en faveur de laquelle les usages sont établis; ainsi toutes les fois qu'un ancien habitant de la commune usagère quitte son domicile pour aller s'établir ailleurs, on doit dire que celui qui vient le remplacer, soit comme fermier ou locataire, soit comme acquéreur, doit le remplacer aussi dans l'exercice du droit d'usage

commun.

3140. Les usages établis ou laissés au profit de la généralité des habitans d'un lieu, sont une propriété communale: done il n'y a que le corps de la communauté qui puisse, à cet égard, exercer en justice l'action en revendication ou y défendre, lorsqu'il y a contestation sur le fond du droit avec le propriétaire de la forêt; donc les particuliers, quoique membres de la commune, ne seraient recevables ni les uns ni les autres à agir ou défendre, en leur propre nom, dans l'action confessoire ou négatoire de la servitude, parce qu'on leur opposerait avec le jurisconsulte Marcien, que les choses qui appartiennent à une commune ne sont pas la propriété individuelle des membres qui la composent, universitatis sunt non singulorum, ou avec Ulpien, que ce qui est dû au corps d'une commune, n'est pas pour cela direc

Voy. au volume des additions aux questions de droit de M. MERLIN, page 843, no 10. 2 L. 6, § 1, ff. de division. rerum, lib. 1, tit. 8.

tement dû aux habitans qui en sont membres, si quid universitati debetur, singulis non debetur, et qu'en conséquence ce n'est qu'avec le corps même de la commune, représenté par le maire, que la contestation peut être jugée régulièrement.

Dans le cas même où des particuliers habitans d'une commune qui se dirait usagère, seraient traduits en police correctionnelle, pour avoir coupé du bois dans une forêt que le propriétaire soutiendrait être franche de la servitude prétendue, et où il faudrait préalablement faire statuer sur l'existence du droit d'usage, pour savoir s'il y aurait eu délit, ou non, dans le fait de la coupe du bois, ces particuliers, défendeurs en police correctionnelle, n'auraient pas capacité suffisante pour faire eux-mêmes renvoyer à fin civile la question préjudicielle sur le droit de la commune, et c'est encore au moyen de l'intervention du maire, qu'il faudrait faire statuer sur cette question, parce qu'aux termes de la loi du 29 vendémiaire an 5, le maire, ou celui qui en exerce les fonctions, est le seul contradicteur légitime ayant droit et capacité pour suivre les actions qui intéressent la commune 3, et que c'est ainsi que la question a été jugée sur les conclusions de M. Merlin, par la cour de cassation, le 2 janvier 1811 4.

3141. Cette manière de procéder est de toute justice; car, d'une part, lorsque c'est le fond du droit qui est contesté, c'est le corps même de la société communale qui est attaqué dans son intérêt territorial: c'est donc à lui, et non aux habitans ut singuli, à supporter les embarras du procès.

D'autre part, il est important, pour la paix publique, que les procès ne soient pas trop multipliés; et la justice exige aussi que le propriétaire du fonds soumis au droit d'usage, ne soit pas obligé à passer sa vie dans des luttes judiciaires, successivement renouvelées avec tous les habitans de la commune usagère : et comme tous sont associés et placés dans un ordre administratif qui leur donne, dans la personne du maire, un chef pour agir et défendre dans l'intérêt commun, il faut bien que les jugemens rendus avec lui fixent les droits de tous.

3 Voy. au bull, 84, no 796, tom. 3, 2e sér. 4 Voy. au répertoire, tom. 14, pag. 466.

3142. Mais quoique le droit d'usage dans une forêt soit un droit communal lorsqu'il a été indistinctement concédé ou laissé à la généralité des habitans du lieu, néanmoins c'est aux particuliers ut singulis que l'exercice en appartient, parce qu'il n'a été établi que pour leurs aisances, et qu'il n'est destiné qu'à les favoriser dans leurs cultures et habitations.

Il en est de la jouissance de cette espèce de droit, comme de celle d'un terrain communal dont la propriété appartient au corps de la communauté, nonobstant que ce soient les particuliers qui en perçoivent tout le produit par la voie du parcours de leurs bestiaux.

On ne pourrait l'entendre autrement sans s'écarter de la nature des choses; car le droit d'usage dont nous traitons ici est bien certainement un droit de servitude foncière: c'est un droit établi sur un fonds pour l'utilité d'autres fonds: c'est une charge imposée sur la forêt pour l'avantage général de la commune, d'où il résulte que le fonds dominant est ici le territoire de la commune tout entier, et que c'est à ce territoire pris en masse, que la servitude est activement inhérente: or, le territoire pris en masse comprend tous les fonds particuliers, territorium est, universitas agrorum intra fines cujusque civitatis'; d'où il résulte que l'exercice de l'usage est nécessairement dû aux

différens particuliers possesseurs ou cultivateurs des fonds en considération desquels le droit fut établi.

Il faut donc regarder comme une vérité bien constante que le produit ou les émolumens du droit d'usage servitude-réelle qui appartient à une commune sont dus aux habitans et leur sont dus ut singulis, puisqu'ils sont ut singuli possesseurs des héritages auxquels la servitude est activement inhérente: et de là résultent encore trois conséquences qui nous restent à signaler sur ce point :

3143. La première, c'est que les habitans d'une commune, qui exercent, sur la forêt d'un tiers, un droit d'usage qui n'est pas contesté, peuvent bien se rendre répréhensibles, et se faire justement écarter de la forêt par le propriétaire, s'ils abusent de leur droit en dépassant les limites de leur titre, ou en contrevenant aux réglemens de la matière; mais jamais sous le prétexte qu'ils n'ont pas la faculté d'en user ut singuli;

La seconde, c'est que, comme nous l'avons déjà établi plus haut 2, tout habitant devient contradicteur légitime lorsqu'il n'y a que l'exercice du droit qui lui est contesté, et non le droit lui-même qui soit l'objet du litige;

La troisième, que quand le propriétaire de la forêt se porte à contester le droit d'usage, et cause du trouble aux habitans dans l'exercice qu'ils veulent en faire, chacun d'eux doit avoir la faculté de dénoncer le trouble au maire pour qu'il ait à prendre fait et cause en sa qualité de chef de la commune et même de se pourvoir contre lui, par-devant l'administration supérieure, pour vaincre sa résistance s'il refuse d'agir, et que le droit de la commune ait au moins quelqu'apparence de fondement.

* L. 239, § 8, ff. de verbor. significat.

2 Voy. au chap. 69, sous le n° 2876.

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3144. IL semble, au premier coup d'œil, que le titre de ce chapitre soit positivement en contradiction avec celui du chapitre 80, où nous avons traité de l'indivisibilité du droit d'usage; car dira-t-on, il ne doit pas y avoir d'étendue à considérer dans ce qui est indivisible; mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, l'indivisibilité ne s'applique qu'au droit d'usage considéré en lui-même et dans un sens abstrait, tandis qu'ici nous avons à nous occuper du plus ou moins d'étendue qu'il peut recevoir en fait, et dans son exécution, ce qui lève toute équivoque et écarte toute espèce de contradiction.

L'étendue du droit d'usage dans les bois et forêts doit être appréciée sous quatre points de vue différens, c'est-àdire:

1o Par rapport au titre constitutif qui l'a établi, et la possession qui en a été la suite;

2o Par rapport à la nature de ce droit généralement considéré;

3o Par rapport aux diverses espèces qu'on en aurait voulu particulièrement établir;

4o Enfin, par rapport au plus ou moins

grand nombre des parties prenantes.

SECTION I.

DE L'ÉTENDUE DU DROIT D'USAGE APPRÉCIÉE D'APRÈS LE TITRE CONSTITUTIF, ET LA POSSESSION QUI EN A ÉTÉ LA SUITE.

3145. L'ÉTENDUE du droit d'usage dans

Voy. au chap. 80, sous le no 3109.

les forêts peut varier sous bien des points de vue, parce qu'ici les produits du fonds sont eux-mêmes très variés, et qu'il est possible que l'usage porte sur tous, ou qu'il n'ait été établi que sur quelques-uns. Il faut donc voir en premier lieu, si ce ne sont que des droits de pâturage, ou de panage, ou de glandée dont on a voulu faire la concession; ou si l'on a voulu accorder aussi le droit de la coupe du bois : et dans ce dernier cas, il faut encore examiner si l'on a voulu accorder la coupe de toutes les espèces de bois, ou si l'on n'a permis que la prise de quelques-unes. Il faut voir enfin si l'intention des parties paraît avoir été que l'usager n'obtint que le strict nécessaire, ou si l'on a voulu au contraire qu'il fût largement pourvu pour tous ses besoins et toutes ses aisances. Il faut vérifier si l'usage a été établi à titre onéreux, ou par une concession purement gratuite, parce que, dans ce dernier cas, le droit doit être apprécié d'une manière moins large, ou plus rigoureuse que dans le premier: or, toutes ces circonstances ne peuvent être bien avérées qu'en vue du titre par lequel il aurait été établi; c'est donc à son examen qu'il faut d'abord s'attacher pour apprécier la nature, l'espèce et l'étendue du droit d'usage (628).

« L'usage, dit Domat, est le droit de << prendre sur les fruits qui y sont affec«tés, ce que l'usager peut en consommer << pour ses besoins, ou ce qui lui est << donné par son titre. Ce qui se règle ou « par le titre même, s'il l'a exprimé, ou << par la prudence du juge selon la qualité << de l'usager, et l'intention des personnes

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