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D'après le droit commun, la puissance paternelle continue d'appartenir au père. En effet, l'article 393 dit : « Le père « seul exerce cette autorité durant le mariage. » Or le mariage n'est pas dissous par la séparation de corps. Mais la puissance paternelle continue-t-elle d'appartenir au père sans changement? Ou bien l'exercice peut-il en être modifié et dans quelle mesure?

Aucun texte du chapitre consacré à la séparation de corps ne s'occupe de cette question. Une jurisprudence constante décide qu'il faut appliquer par analogie les règles édietées par l'article 302 sur le sort des enfants en cas de divorce. Le silence du chapitre IV à cet égard est un argument significatif à l'appui du système d'après lequel le chapitre IV, quant aux effets de la séparation de corps, doit être complété par les dispositions précédentes relatives au divorce. Comment admettre, en effet, que le législateur ait omis volontairement de statuer sur le sort des enfants mineurs en cas de séparation de corps survenant entre les parents? Ç'aurait été les laisser sous l'application pure et simple du droit commun, en d'autres termes laisser l'autorité paternelle au père et enlever les enfants à la mère, alors même que la séparation aurait été prononcée contre le père. Force est bien d'admettre que le législateur aurait regardé l'article 302 comme applicable à la fois en matière de divorce et de séparation.

Aux termes de cet article, l'autorité paternelle appartient à celui des auteurs qui a obtenu la séparation, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement; les juges prescrivent ce que paraît exiger l'intérêt respectif des époux et des enfants. En fait, le plus souvent, les enfants en bas âge sont laissés à la mère. Même plus âgés, ils lui sont également laissés si elle offre des garanties plus grandes que le père. Quelquefois on ordonne qu'ils seront placés dans une pension, fixant alors le jour et l'heure où chaque conjoint pourra les voir. Il y a là mille difficultés, résultant de ce que le mariage subsiste sans vie commune entre les époux ; dans ces tristes débats, les juges décident pour le mieux et au jour le jour 2.

1. Dalloz, Supplément au Code civil annoté, no 2525.

2. lbid., nos 2526 et suiv.

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Ajoutons que l'article 303 est applicable au même titre que l'article 302 et comme complément de celui-ci : « Quelle que soit la personne à laquelle les enfants seront confiés, les père et mère conserveront respectivement le droit de surveiller l'entretien et l'éducation de leurs enfants et seront tenus d'y contribuer à proportion de leurs facultés. » Enfin, de même qu'en cas de divorce, les mesures ordonnées quant à la garde des enfants ne sont jamais que provisoires. Si les circonstances changent, les décisions prises peuvent être modifiées. Il n'y a jamais chose définitivement jugée à cet égard'.

D'autre part, l'effet de ces décisions cesse de droit quand le mariage est dissous par la mort d'un des conjoints ; prises à raison de l'état de séparation, elles cessent avec lui. Le survivant des époux séparés recouvre alors, conformément au droit commun, l'intégralité de ses droits d'après les règles de la puissance paternelle. La séparation survenue ne peut, à elle seule, lui être opposée comme lui enlevant ces droits, sauf déchéance à intervenir dans les cas possibles, ainsi que nous le verrons au titre de la puissance paternelle. C'est parfois un spectacle singulier. Les mesures jugées nécessaires vont cesser brusquement à la mort du conjoint; l'époux indigne, à qui l'éducation a été enlevée, la recouvre. Il ne saurait en être autrement, car la séparation n'a et ne peut avoir d'effets que du vivant des conjoints 2.

455. Quels sont les effets de la séparation de corps relativement aux enfants que la femme met au monde après la séparation?

Jusqu'en 1850, la séparation ne modifiait pas, quant à eux, la situation résultant du mariage; donc le principe de l'article 312 restait applicable : « L'enfant conçu pendant le «< mariage a pour père le mari... » En conséquence, l'enfant né d'une femme séparée de corps était légitime, à moins que le mari ne le désavouât et ne réussit dans l'action en désaveu de paternité, pour les causes et dans les cas prévus par les articles 312 et suivants. Il résulta parfois de là des situations in

1. Cass. 1er août 1883, D.P. 1885. I. 206.

2. Cass. 13 août 1881, D. P. 1885. I. 40,- Poitiers 21 juillet 1890, D. P. 1891. I. 73, Sir. 1891. II. 17, Paris 24 juin 1892, D. P. 1893. II. 81, Sir. 1893. I. 228.

tolérables. Une femme séparée vivait dans le désordre; elle avait des enfants et prenait soin d'ailleurs de ne pas se mettre dans un des cas où l'action en désaveu était possible d'après le Code de 1804; le mari devait en subir la paternité. De véritables scandales s'étaient ainsi produits sous le couvert de la loi.

Pour en tarir la source, la loi du 6 décembre 1850 a créé un cas spécial de désaveu à raison de la séparation de corps. Ce cas de désaveu doit être joint à ceux qu'admettait déjà le Code de 1804; il est indiqué dans un alinéa nouveau que la loi de 1850 a ajouté à l'article 313. Nous y insisterons au titre De la paternité et de la filiation. Il suffit pour le moment d'avoir noté que la loi de 1850 permet au mari séparé de corps de désavouer, sous certaines conditions, l'enfant né de sa femme; le mari peut désavouer l'enfant, c'est-à-dire faire constater qu'il n'en est pas le père.

IV. Conversion de la séparation de corps en divorce.

456. La séparation de corps est non pas une cause, mais un moyen de divorce; sous certaines conditions, elle peut être convertie en divorce. C'est ce qu'indique l'article 310, le seul du titre VI dont nous ayons encore à parler. Il traite de la conversion possible de la séparation de corps en di

vorce.

De tous les textes remis en vigueur ou introduits lors du rétablissement du divorce, l'article 310 a été de suite le plus appliqué. Il y avait, en 1884, un nombre considérable d'anciennes séparations, remontant à des dates plus ou moins éloignées, que les intéressés se sont empressés de convertir en divorces. Pour la bonne renommée du législateur de 1884, il a été fâcheux que l'événement se produisit ainsi, car l'article 310 ne lui fait pas beaucoup d'honneur; la disposition est aussi mal conçue que mal rédigée.

1. Voy. suprà, p. 24, nole 3.

2. Voy. sur ce sujet Saint-Marc, De la conversion des jugements de séparation de corps en jugements de divorce, dans la Revue critique de droit, 1887, p. 120 et 227.

I

457. Pour le moment, ne prenons du texte que le premier alinéa les autres ont trait à la procédure de la conversion et seront étudiés plus loin. « Lorsque la séparation de corps aura « duré trois ans, dit le début de l'article, le jugement pourra « être converti en jugement de divorce sur la demande for«mée par l'un des époux. >>

Donc, au bout de trois ans, l'un ou l'autre des époux peut demander la conversion. Les trois ans courent à partir du jour où la séparation est devenue définitive, c'est-à-dire du jour où la sentence qui la prononce ne peut plus être attaquée, si dans l'intervalle il n'y a pas eu réconciliation entre les époux. La demande en conversion n'est recevable qu'après l'expiration des trois années; intervenant plus tôt, elle ne serait pas régulièrement formée 1.

Le délai de trois ans (il est à peine utile de le dire) n'est imposé que si le demandeur invoque, pour arriver au divorce, la séparation dont il demande la conversion. Si des faits nouveaux sont survenus depuis la séparation prononcée et qu'ils constituent des causes suffisantes de divorce, rien ne s'oppose à une demande directe en divorce. Ce n'est plus le cas que prévoit l'article 310, mais celui que visent les articles 229 et suivants. L'article 310 est applicable sculement au cas de conversion, non au cas de demande en divorce pour causes nouvelles spécifiées. Nous verrons même que les faits nouveaux ne peuvent pas être déduits dans une demande en conversion; ils ne peuvent l'être que dans une demande principale en divorce.

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1. Cass. 28 novembre 1887, D. P. 1888.1.433. Cpr. Massigli, Examen doctrinal de jurisprudence, dans la Revue critique de droit, 1891, p. 566. — Dès que les trois années sont écoulées, la demande en conversion est possible; mais elle cesse de l'être si les époux laissent passer trente ans sans agir à compter du jour où ils ont le droit de le faire (article 2262). Voy. suprà, p. 40. Cpr. Dalloz, Supplément au Répertoire, Vo Divorce, no 674.

2. Cass. 29 mars 1886, Sir. 1886.1.405, Cass. 12 août 1885, Sir. 1886.1.193 et la note de M. Labbé. - Sans attendre l'expiration du délai de trois ans pour agir en conversion, sans former une demande principale en divorce a raison de faits nouveaux survenus depuis la séparation, les époux séparés peuvent-ils demander directement le divorce en se fondant sur les faits anciens à raison desquels la séparation a été prononcée ? La négative est certaine. En effet, le divorce et la séparation de corps sont des remèdes aux mêmes situations; les causes de l'une sont les mêmes que celles de l'autre

Ainsi, au bout de trois ans, la conversion peut être demandée par l'un ou l'autre des époux.

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458. L'ancien article 310 (rédaction de 1804) était conçu tout différemment; il portait : « Lorsque la séparation de corps, prononcée pour toute autre cause que l'adultère de la <«<femme, aura duré trois ans, l'époux qui était originairement « défendeur pourra demander le divorce au tribunal,qui l'ad« mettra, si le demandeur originaire, présent ou dûment appelé, ne consent pas à faire cesser la séparation. » Le droit de demander la conversion n'appartenait donc pas indistinctement aux deux époux séparés, comme d'après l'article 310 actuel, mais à l'un d'eux seulement, à celui contre lequel la séparation avait été prononcée, aux torts duquel elle l'avait été, à l'époux coupable en un mot. Au bout des trois ans d'épreuve, il pouvait dire à son conjoint, à l'époux qui avait demandé et obtenu la séparation : « J'ai eu des torts; j'ai été «< puni; trois ans se sont écoulés depuis ; la situation ne peut «< durer indéfiniment; pardonnez ou rendez-moi toute ma « liberté; faites cesser la séparation ou divorçons. » Alors le tribunal, saisi de la demande en conversion, devait prononcer le divorce; il y était obligé, à moins que le défendeur à la demande en conversion, celui qui originairement avait obtenu la séparation, ne consentit à faire cesser la séparation.

Voici comment cette combinaison avait été expliquée et motivée en 1803, lors de la rédaction de l'ancien article 310'. Elle se rattachait à l'idée que la séparation était un divorce mitigé, à l'usage de ceux que leurs croyances religieuses éloignent du divorce. Si un épouxlésé, qui a des griefs contre son conjoint, aime mieux demander la séparation que le divorce, on lui laisse le choix. Mais, la part ainsi faite à ses

(suprà, p. 89 et suiv.). L'une de ces causes existe-t-elle, l'époux victime a le choix entre les deux remèdes, mais il épuise son droit, quant à cette cause, en recourant à l'un et ne peut plus désormais recourir à l'autre. Débouté de sa demande en divorce, il ne peut pas agir en séparation ex eadem causa et réciproquement; ayant obtenu la séparation, il ne peut pas agir en divorce ex eadem causa et est seulement recevable à demander la conversion dans les conditions prescrites par l'article 310. Trib. de la Seine 17 mai 1886, Le Droit du 19 mai. Paris 31 mars 1886, 1bid. 26 septembre 1886, Paris 22 juillet 1886, Ibid. 31 juillet 1886, — Trib. de la Seine 26 mars 1887, La Loi du 18 novembre 1887, Cass. 22 février 1888, Sir. 1888.1.371, -- Trib, de la Seine 13 novembre 184, Le Droit du 28 novembre.

1. Locré, V, p. 7.

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