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rir, élever, entretenir l'enfant auquel ils donnent le jour. C'est un effet de la filiation et non du mariage'; il en résulte que cette obligation s'impose aux père et mère naturels comme aux père et mère légitimes. De cette dette d'éducation dérivent, quant à la filiation, un devoir et un droit: pour les auteurs le devoir strict de constater la filiation des enfants, pour l'enfant le droit de faire constater sa filiation. Dès que la loi impose des devoirs aux parents envers l'enfant, elle les oblige implicitement à lui ménager une preuve de sa filiation; ayant des droits, il faut bien que l'enfant puisse faire établir, afin d'en justifier, la qualité qui les lui donne. De là les deux preuves admises: l'une principale et normale, l'autre subsidiaire.

a) La première est et doit être ménagée à l'enfant par ses auteurs.

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S'agit-il de la filiation légitime? « La filiation des enfants légitimes, dit l'article 319, se prouve par les actes de nais«<sance inscrits sur le registre de l'état civil. »> Directement, l'acte de naissance prouve seulement la naissance; sous certaines conditions, si certaines énonciations s'y trouvent, il est admis comme prouvant, en outre, la filiation légitime. L'article 320 ajoute: «A défaut de ce titre, la possession « constante de l'état d'enfant légitime suffit. » La possession d'état est constituée par les parents; c'est donc encore un mode de preuve ménagé à l'enfant par ses auteurs.

S'agit-il de la filiation naturelle? « La reconnaissance « d'un enfant naturel, dit l'article 334, sera faite par un acte «<authentique, lorsqu'elle ne l'aura pas été dans son acte de <«< naissance. » Il ne peut y avoir de preuve plus pertinente que l'aveu émanant des auteurs. Telle précisément la reconnaissance.

Voilà la preuve principale et normale.

b) A côté d'elle est la preuve subsidiaire, qui peut être invoquée par les enfants: preuve testimoniale sur l'action en réclamation d'état.

S'agit-il de la filiation légitime? C'est la preuve testimoniale sur l'action en réclamation d'état d'enfant légitime (article 323).

S'agit-il de la filiation naturelle? C'est la preuve testimo

1. Supra, tome I, p. 189 et 418.

niale sur l'action en réclamation de maternité naturelle (article 341) et mème de paternité naturelle, au moins dans quelques cas (article 340).

477. V. La loi, au point de vue des modes de preuve, traite différemment la filiation légitime, la filiation naturelle et la filiation adultérine ou incestueuse.

Elle se montre facile et accommodante pour la filiation légitime, jusqu'à admettre comme probantes les énonciations insérées dans l'acte de naissance sur la seule déclaration de tiers, ce qu'on appelle la preuve par l'acte de naissance. La régularité de la situation est une garantie suffisante de la sincérité des déclarations; l'usage prouve qu'il ne se produit alors aucun abus.

La loi se montre, au contraire, réservée et circonspecte quand il s'agit de la filiation naturelle. Elle n'admet comme preuve que l'aveu émanant des auteurs eux-mêmes, ou reconnaissance. C'est ce qu'on énonce en disant que l'acte de naissance ne prouve pas la filiation naturelle. L'irrégularité de la situation justifie les craintes et les soupçons; l'usage prouve que sans cela les abus seraient à redouter.

La loi va plus loin encore quand il s'agit de la filiation adultérine ou incestueuse; en principe, elle en prohibe la constatation. Le législateur estime que la révélation de filiations ayant ce caractère serait attentatoire à la décence publique et qu'il est préférable de les condamner à l'oubli.

Ces trois aperçus comportent chacun des restrictions, même le dernier; ils n'en subsistent pas moins comme règles générales.

478. Comment s'explique ce système? Deux considérations ont conduit le législateur à l'admettre.

479. La première est tirée du caractère spécial des trois sortes de filiations.

Le fait d'avoir donné le jour à des enfants légitimes n'a rien que de conforme à la nature et à la loi, d'honorable mème; c'est le fait régulier et normal. Le mode de constatation de cette filiation doit être simple comme le fait constaté lui-même; la régularité de la situation est une garantie suffisante contre les abus. De là, quand il s'agit de la filiation légitime, la simplicité du mode de preuve normal.

La maternité est suffisamment prouvée par l'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance. C'est là ce que signi

fie l'article 349. Un enfant vient au monde; une quelconque des personnes qui ont assisté à l'accouchement, le père, même un étranger, un médecin, une sage-femme, etc., fait la décla ration dans les termes de l'article 56; sur cette déclaration, l'acte de naissance est dressé et le nom de la mère y est inscrit, conformément à l'article 57. L'acte de naissance, ou plutôt l'indication de la mère dans l'acte, suffit à établir la filiation par rapport à la mère. En réalité, cette déclaration faite par un tiers ne prouve rien; elle peut être erronée, mensongère; mais c'est peu vraisemblable, parce que l'erreur ou la fraude ne se comprendrait guère quand il s'agit d'une filiation régulière. La régularité de la situation des père et mère fait que tout se passe au grand jour, sans dissimulation; c'est une situation qui se respecte et qu'on respecte. Ces déclarations sont tenues pour sincères, parce que, dans l'usage, elles le sont; alors elles font preuve; les besoins de la pratique l'exigent. En un mot, la filiation légitime est conforme à l'ordre; on en admet la preuve par le mode que l'usage consacre: la déclaration. Tel est le sens de l'article 319. L'acte de naissance, rédigé sur les renseignements fournis par les déclarants, prouve l'accouchement de la mère qui y est désignée; si l'identité de celui qui s'en prévaut avec l'enfant qui y est dénommé n'est pas contestée ou est établie, la maternité est regardée comme prouvée.

Quant à la paternité (toujours s'il s'agit de filiation légitime), la loi la tient comme suffisamment établie dès que la maternité est prouvée. C'est la traduction du vieil adage Pater is est quem nuptiae demonstrant1, confirmé par le premier alinéa de l'article 312: « L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. » En d'autres termes la loi conclut de la maternité légitime,de la maternité d'une femme mariée, à la paternité du mari de la mère.

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Deux raisons commandent de décider ainsi. D'un côté, l'obligation de cohabitation, que l'article 216 impose aux époux, rend vraisemblable la paternité du mari; d'un autre côté, la fidélité de la femme, qui est conforme à l'ordre, doit être présumée plutôt que l'infidélité. Il est donc rationnel et logique de conclure que le mari d'une femme mariée est le père de l'enfant qu'elle met au monde. Ce n'est pas une preuve directe; c'est du moins une preuve morale suffisante.

1. Fragm. 5, Dig., De in jus vocando, II, 4.

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Le plus souvent, le nom du père légitime est inscrit dans l'acte avec le nom de la mère, car l'article 57 exige qu'il le soit. Même s'il ne l'était pas, la preuve serait acquise par application de l'article 312.

Toutefois, la paternité n'est ainsi regardée comme établie par contre-coup de la maternité prouvée que sous réserve de la preuve contraire; de là l'action en désaveu, par laquelle le mari prétend faire tomber la présomption Pater is est quem justæ nuptiæ demonstrant. Nous verrons dans quels cas et sous quelles conditions le mari est admis à intenter cette action; c'est l'objet de tout un chapitre au titre De la paternité et de la filiation (articles 312 à 318).

Rien donc n'est plus facile et plus simple que le mode normal de preuve de la filiation légitime. L'acte de naissance, qui contient les noms du père et de la mère, ou même le seul nom de la mère, prouve la maternité et la paternité, c'est-à-dire la filiation complète. Les deux éléments de la filiation légitime sont établis conjointement.

A défaut de l'acte de naissance, s'il n'est pas présenté, soit qu'il n'ait pas été rédigé, soit que les intéressés ignorent où il l'a été, la possession d'état suffit. C'est un aveu résultant de la manière d'être des parents à l'égard des enfants. Ils ont élevé l'enfant ; ils se sont conduits à son égard comme il est d'usage que les parents légitimes le fassent; il a porté leur nom. Cela suffit pour établir la maternité et la paternité, c'est-à-dire la filiation (article 320).

Finalement, l'acte de naissance et la possession d'état sont admis comme modes de preuve normale de la filiation légitime. Les deux modes de preuve établissent à la fois et conjointement les deux éléments, par conséquent la filiation complète.

A défaut de l'un et de l'autre des modes de preuve normale, l'enfant peut agir en recherche de filiation (article 323). C'est la preuve subsidiaire. Il agira contre les deux auteurs qu'il prétend avoir; à la rigueur, il pourra n'agir que contre la prétendue mère, car, ici encore, si la maternité est démontrée, la loi conclut de la maternité à la paternité du mari. La preuve testimoniale est bien un troisième mode de preuve de la filiation légitime, car elle sert à établir les deux éléments de cette filiation: maternité et paternité.

480. Tout autre est le système admis quand il s'agit

de la filiation naturelle, c'est-à-dire de celle qui se produit hors mariage. Cette filiation est un fait insolite, exceptionnel; elle est la suite d'une faute. Il en résulte, pour le moins, que l'attribution à une personne d'un enfant naturel est grave par elle-même. Il se peut que cette attribution soit sincère; mais plus d'une raison autorise à craindre qu'elle ne le soit pas. En fait, elle est quelquefois un moyen de chantage; d'autres fois, un moyen de faire supporter à autrui les conséquences d'une faute qu'on a commise. De là cette règle fondamentale que la déclaration d'une filiation naturelle faite par un tiers, dans quelque forme que ce soit,est insuffisante à elle seule pour prouver cette filiation. L'acte de naissance, qui fait preuve de la filiation légitime aux termes de l'article 319, ne fait jamais preuve de la filiation naturelle; les déclarations que l'acte contiendrait à cet égard ne sont pas tenues comme probantes. L'imputation d'un fait honorable et licite peut être acceptée comme probante, parce qu'il n'y a aucun motif d'en suspecter la sincérité ; l'imputation d'un fait compromettant, d'une faute, ne suffit pas à faire preuve; il y a mille motifs d'en suspecter la sincérité. L'irrégularité de la situation justifie les soupçons; l'usage démontre que les abus seraient à craindre.

Comment se prouve alors la filiation naturelle? Par l'aveu de celui qui en est l'auteur. Le mode normal de preuve est la reconnaissance individuelle (article 334). Elle fait preuve au regard de qui elle émane. Emanant de la mère, elle prouve la maternité; émanant du père, elle prouve la paternité ; la reconnaissance faite par l'un n'a pas d'effet à l'égard de l'autre (article 336)'. La preuve des deux éléments de la filiation se fait donc séparément, au lieu qu'en matière de filiation légitime les deux éléments sont prouvés en même temps. Voilà la preuve normale de la filiation naturelle.

A défaut du mode normal de preuve, quand il s'agit de filiation naturelle, les articles 340 et 341 admettent,sous des distinctions à faire, la preuve testimoniale soit contre le père, soit contre la mère; c'est le mode de preuve subsidiaire. Comme dans le cas de la preuve normale par la reconnaissance, la preuve des deux éléments de la filiation se fait séparément.

1. Infrà, p. 219.

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