TITRE VI DU DIVORCE ET DE LA SÉPARATION DE CORPS 375. Le divorce a été signalé précédemment parmi les causes de dissolution du mariage 1. Le titre VI y revient, mais n'a pas seulement cet objet. Il traite d'abord du divorce, en d'autres termes de la rupture légale ou dissolution du mariage du vivant des époux; c'est l'objet des trois premiers chapitres (articles 229 à 305). Il traite ensuite d'un autre expédient, qu'on a souvent nommé un divorce mitigé, à l'usage des ménages en détresse : la séparation de corps; c'est l'objet du chapitre IV (articles 306 à 311). Les deux sujets sont connexes; nous verrons bientôt comment ils se rattachent l'un à l'autre. Dégageons les idées qui les dominent. 376. Nous avons démontré plus haut que le mariage, de sa nature, est perpétuel 2. En faut-il conclure qu'il est indissoluble? Les deux idées se tiennent de très près; cependant elles ne se confondent pas. C'est toute la question du divorce. Historiquement, c'est sous l'influence du droit canonique, qui considère le mariage comme un sacrement, que la perpétuité est devenue, dans l'ancien droit, l'indissolubilité; d'où la prohibition du divorce, la séparation de corps restant d'ailleurs possible. D'autre part, quand la Constitution de 1. Suprà, tome I, p. 493. 2. Ibid., p. 493 et suiv. 1791 déclara que le mariage serait considéré désormais comme un simple contrat civil', l'indissolubilité canonique disparaissant de la loi civile, la perpétuité se trouva compromise quoiqu'elle fût de la nature du mariage. Non seulement le divorce fut réintroduit, mais beaucoup conclurent que le mariage, comme tous les contrats, peut être révoqué au gré des parties. Grave méprise, qui a longtemps pesé sur notre législation. De ce qu'on changeait la forme du mariage, désormais considéré comme un contrat civil, ce n'était pas une raison pour méconnaître un de ses caractères naturels, la perpétuité. Cette fausse conception explique les incessantes vicissitudes par lesquelles a passé la législation du divorce depuis 1791. Suivons-les brièvement; leur enchaînement fera ressortir l'esprit du droit actuel. 377. Six lois résument, dans les temps modernes, l'histoire du divorce en France; elles sont l'expression de systèmes différents et c'est pour cela qu'il faut d'abord les rapprocher la revue de ces lois est une introduction nécessaire à l'étude du droit actuel. Ce sont: 1° la loi du 20 septembre 1792, qui a introduit le divorce dans la pratique française et exclu la séparation de corps, 2o le Code civil de 1804, qui a maintenu le divorce introduit par la loi de 1792, mais en modifiant cette loi sous plusieurs rapports, notamment en réintroduisant la séparation de corps, 3o la loi du 8 mai 1816, qui a aboli le divorce et rétabli le système antérieur à 1792, c'est-à-dire maintenu la séparation de corps, 4o la loi du 27 juillet 1884, qui a rétabli partiellement le système du Code de 1804,50 la loi du 18 avril 1886, sur la procédure en matière de divorce et de séparation de corps, 6o la loi du 6 février 1893, portant modification au régime de la séparation de corps. Reprenons ces documents divers. 378. La loi du 20 septembre 1792, avons-nous dit, a introduit le divorce dans la pratique française. Jusqu'au 20 septembre 1792, la loi civile, en matière de mariage, fut le droit canonique et le droit canonique proscrit le divorce. Dans l'antiquité, au contraire, on le rencontre partout en usage. A Rome, notamment, quoiqu'il ait été inconnu au dé 1. Constit. des 3-14 septembre 1791, titre II, article 7. but, on finit par l'admettre de la façon la plus large. Le mariage se dissolvait avec une extrême facilité, soit par le commun accord des parties qui se séparaient bona gratia (c'est le divortium proprement dit), soit par la volonté d'un des conjoints, auquel cas le divorce s'appelait plus spécialement repudium'. Sous l'influence du christianisme, les princes du Bas empire, tout en conservant le divortium bona gratia, restreignirent graduellement le repudium; ils ne l'autorisèrent que pour certaines causes déterminées, punissant dans tout autre cas l'époux qui divorçait malgré son conjoint, qui dimittebat uxorum vel virum 2. Le droit canonique acheva la réaction et fit prévaloir le principe de l'indissolubilité absolue. A quelle époque exactement? La chose est incertaine, car la controverse se perpétua pendant des siècles à cet égard. Les livres saints, en effet, auxquels se rattachèrent la discipline catholique d'abord et ensuite le droit canonique, ne sont pas d'une précision complète en ce qui concerne la question du divorce. Tous les évangélistes ne rapportent pas en termes identiques les paroles par lesquelles Jésus-Christ a consacré l'indissolubilité du mariage. D'après saint Luc et saint Marc, le principe de l'indissolubilité a été posé d'une manière absolue3; d'après saint Mathieu, la rigueur du principe a été tempérée par une exception, le mari étant autorisé à répudier sa femme en cas d'adultère. A laquelle des deux versions fallait-il s'attacher? La question parut embarrassante 1. Voy. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, p. 154. 2. Ibid., p. 155. 3. Voici le texte de saint Marc : « Quod ergo Deus conjunxit homo non separet... Et ait illis quicumque dimiserit uxorem suam et aliam duxerit adulterium committit super eam. Et si uxor dimiserit virum suum et alii upserit, moechatur (X, 9, 11 et 12). » — Saint Luc s'exprime ainsi : « Omnis qui dimittit uxorem suam et alteram ducit moechatur et qui dimissam a viro ucit moechatur (XVI, 18). Cpr. la première épître de saint Paul aux Cointhiens « lis autem qui matrimonio juncti sunt praecipio non ego,sed Doninus, uxorem a viro non discedere. Quod si discesserit, manere innuptam, ut viro suo reconciliari Et vir uxorem non dimittat (VII, 10 et 11). » 4. Saint Mathieu rapporte ainsi les paroles du Christ en deux passages de on Evangile. D'abord au chapitre V, verset 32: « Ego autem dico vobis uia omnis qui dimiserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, facit am moechari et qui dimissam duxerit adulterat. » Ensuite au chapitre XIX, versets 6 et 9 : « ... Quod ergo Deus conjunxit homo non separet. Dico auem vobis quia quicumque dimiserit uxorem suam, nisi ob` fornicationem, aliam duxerit et qui dimissam duxerit moechatur. » et divisa longtemps les plus grands docteurs. C'est seulement au XIIe siècle que la doctrine de l'indissolubilité sans réserve a prévalu d'une manière unanime. Encore cette doctrine n'at-elle été vraiment définitive et fixée qu'après le concile de Trente, au XVIe siècle 1. A partir de là, l'indissolubilité et. par suite, la prohibition du divorce ont été la loi incontestée de l'Etat. 379. Toutefois, si l'on veut avoir une idée complètement exacte de l'ancien droit sur ce point, il faut tenir compte de deux faits qui constituent, dans une certaine mesure, deux atténuations du principe. 1o D'abord, si on ne se paie pas de mots, il y avait, sous un autre nom, de véritables divorces. Précisons, en effet, ce qu'est le divorce. Nous l'avons défini déjà : c'est la rupture du mariage, sa dissolution autrement que par la mort de l'un des époux, du vivant des deux époux. Dans l'acception étymologique du mot, c'est la séparation de deux époux qui s'en vont chacun de leur côté, désormais étrangers l'un à l'autre divertere, divortium. En cela, le divorce ressemble à l'annulation du mariage, après laquelle les conjoints deviennent également étrangers l'un à l'autre. Mais il en diffère sous deux rapports. En premier lieu, les causes ne sont pas les mêmes, au moins ne sont pas de même nature. L'annulation suppose que le mariage a manqué, lorsqu'il a été contracté, d'un ou plusieurs éléments nécessaires à sa validité; elle résulte, quand elle intervient, de causes qui ont vicié le mariage au début, qui sont, par là même, ou antérieures au mariage, ou, au plus tard, concomitantes. Le divorce, au contraire, suppose un mariage valable; il a sa cause, quand il survient, dans des faits postérieurs au mariage, faits qui, sans 1. Voy. sur ce sujet Glasson, Le mariage civil et le divorce, 2e édition. p. 213 et suiv.,--Viollet, Histoire du droit civil français, p.443 et suiv.,- Esmein, Le mariage en droit canonique, II, p. 48 et suiv. Contrairement à la doctrine qui a prévalu dans l'Eglise catholique, les Eglises orientales reçoiver.* le divorce; voy. P. Javanovic, Etude sur les causes de dissolution du mariage d'après la doctrine de l'Eglise chrétienne d'Orient, dans le Bulletin de l Société de législation comparée d'avril 1885. 2. Voy. le fragm. 2 princ., Dig., De divortiis et repudiis, XXVI, 2 : « Divor tium autem vel a diversitate mentium dictum est, vel quia in diversas partes eunt, qui distrahunt matrimonium. » Cpr. le fragm. 191, Dig., De verborum significatione, L. 16: « Divortium ex eo dictum est, quod in diversas partes eunt, qui discedunt. » empêcher le mariage d'avoir été conclu valablement, en amènent la rupture, la dissolution. Donc,à l'inverse de l'annulation, le divorce est une rupture du mariage pour cause postérieure au mariage. C'est une première différence entre eux. En outre, les effets du divorce et ceux de l'annulation ne sont pas les mêmes. Le divorce dissout le mariage pour l'avenir; à la différence de l'annulation, il ne l'efface pas pour le passé, rétroactivement. D'où il résulte que le mariage, malgré le divorce intervenant, a produit ses effets et que les effets produits restent acquis : les enfants issus du mariage sont et restent légitimes, les conventions matrimoniales sont exécutées. Ce sont seulement les effets que le mariage aurait produits plus tard qui disparaissent, non les effets acquis 2. Donc annulation et divorce, malgré des traits communs, sont choses différentes. Le droit canonique a toujours admis la nullité pour causes antérieures ou concomitantes au mariage. De plus, dans la période de formation du droit canonique, alors que le principe de l'indissolubilité rencontrait de sérieuses résistances, il est intervenu des annulations pour causes postérieures au mariage. Certaines autorités ecclésiastiques des douze premiers siècles ont, dans des hypothèses assez nombreuses, admis l'annulation de mariages pour causes se réalisant après la célébration. Le changement de religion, l'absence prolongée d'un des conjoints, certaines infirmités graves rendant impossible et insupportable la vie commune, l'entrée d'un des époux dans les ordres ou en religion, le fait par un époux adultère de machiner la mort de son conjoint afin de se rendre libre ont été proposés et parfois acceptés comme causes de nullité. Dans les siècles suivants, la théorie de l'indissolubilité s'affirme, les divergences d'opinions s'effacent, la doctrine canonique se forme et ne retient que deux causes de nullité pour faits postérieurs au mariage. La première se présente dans le cas de l'apôtre, ainsi nommé parce qu'il est prévu par saint Paul, dans les versets 12 à 15 de la Première épitre aux Corinthiens : l'époux chrétien d'un infidèle ne peut pas répudier son conjoint, mais est autorisé à contrac 1. Voy. suprà, tome I, p. 370 et suiv., nos 262 et 264. 2. Voy. suprà, tome I, p. 404 à 407, nos 288 et 289. Cpr. p. 496, no 362. 3. Esmein, Le mariage en droit canonique, II, p. 80, 81, 82, 25, I, p. 385. |