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solution? Elle s'applique aux effets du divorce relatifs au régime des biens; s'applique-t-elle également aux effets du divorce relatifs à la personne des époux? Voici deux cas où la question s'est posée.

a) L'un des époux payait à l'autre une pension alimentaire. Survient le jugement de divorce, puis la transcription. Si l'époux débiteur est en retard, l'autre époux peut-il exiger le paiement des sommes échues depuis le jour de la demande jusqu'à celui de la transcription? Si l'époux débiteur a continué régulièrement le service de la pension, peutil réclamer la restitution des sommes payées à ce titre et correspondant à la période intermédiaire entre la demande. en divorce et la transcription? La jurisprudence décide avec raison que l'article 252 in fine, d'après lequel le jugement dûment transcrit remonte au jour de la demande quant à ses effets entre époux, concerne exclusivement les biens et n'apporte aucune modification aux droits et devoirs des époux tant que subsiste le mariage; dès lors, l'obligation de secours et d'assistance, établie par l'article 212, doit être remplie jusqu'au jour où la dissolution du mariage est consommée par la transcription du jugement prononçant le divorce 1.

6) L'un des époux se rend coupable d'adultère au cours de l'instance. Survient le jugement de divorce, puis la transcription. La poursuite correctionnelle est-elle encore possible? Oui, car le devoir de fidélité subsiste, comme l'obligation de secours, tant que la transcription du jugement n'a pas dissous le mariage 2.

423. Tel est le premier effet du divorce. Il entraine la dissolution du mariage, mais cette dissolution a des conséquences qui lui sont propres et qui la distinguent de la dissolution par le décès d'un des époux.

II. Le divorce entraîne certaines déchéances contre

l'époux coupable.

424. Tout en admettant le divorce, la loi le regarde comme un mal, comme une dérogation non seulement à l'idéal, mais

1. Trib. de la Seine 27 mai 1887, Le Droit du 22 juin, — 21 décembre 1888, Le Droit du 31 décembre, — Paris 13 décembre 1895, Gazette du Palais,1896.1.330. 2. Trib. de la Seine, 15 octobre 1890, Le Droit du 16 octobre. Trib. de Grenoble 14 novembre 1888, Le Droit du 25 novembre.

III. - 6

Cpr.

à la nature du mariage; en conséquence, elle punit celui des deux époux qui le rend nécessaire. De là les déchéances.

425. D'abord le divorce entraîne perte pour l'époux coupable d'un droit qui résulte de la puissance paternelle : le droit de jouissance légale. L'article 384 établit le droit de jouissance légale; l'article 386 en prive « celui des père et mère contre <«<lequel le divorce aurait été prononcé ». C'est un texte qui a cessé d'être en vigueur de 1816 à 1884 et qui s'applique à nouveau depuis 1884.

426. En outre, le divorce entraîne, toujours pour l'époux coupable, perte de « tous les avantages que l'autre époux lui «< avait faits, soit par contrat de mariage, soit depuis le ma«<riage ». C'est ainsi que s'exprime l'article 299 alinéa 11. Disposition importante et caractéristique du système. Elle est une application un peu large de l'article 955, qui autorise la révocation des donations pour cause d'ingratitude. L'époux coupable, disait Treilhard, « s'est placé au rang « des ingrats; il sera traité comme eux ». Les avantages à lui faits sont révoqués de plein droit.

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La déchéance s'applique d'abord aux avantages faits par contrat de mariage. Le texte dit : « les avantages » ; il ne dit pas seulement les donations proprement dites et le législateur s'est exprimé de la sorte avec intention. Donc la déchéance atteint, d'une façon générale, le bénéfice de toutes les clauses du contrat d'où découle un avantage gratuit. Quant au point de savoir quelles sont les clauses qui ont ce caractère et cet effet, nous ne pouvons que renvoyer à la matière du contrat de mariage, notamment aux articles 1516, 1518 et 15253.

La même déchéance s'applique, en outre, aux avantages faits depuis le mariage, c'est-à-dire aux donations et dispositions testamentaires que le conjoint victime aurait faites au profit de l'époux coupable. C'est à propos d'elles qu'apparait surtout la pensée de la loi. Ces dispositions sont par elles-mêmes révocables. Pour les dispositions testamentai

1. Jusqu'en 1893, l'article 299 ne contenait qu'un seul alinéa, celui qui a trait aux déchéances dont nous nous occupons. La loi du 6 février 1893 a fait suivre cet alinéa d'un second, relatif aux effets du divorce quant au nom des époux. Voy. suprà, p. 76.

2. Exposé des motifs déjà cité (Locré, V, p. 311). 3. Voy. Carpentier, op. laud., p. 274 et suiv. 25 novembre 1890, La Loi du 31 janvier 1891.

Cpr. Trib. d'Orange

res, c'est le droit commun (article 895); pour les donations entre vifs, c'est le droit spécial aux donations entre époux (article 1096). Si la loi les déclare révoquées de plein droit par le seul effet du divorce, sans aucune manifestation de volonté, ce n'est pas seulement par intérêt pour l'époux innocent, puisqu'il dépendrait de lui de les faire tomber, mais parce qu'elle entend punir directement l'époux coupable.

427. Quant à l'époux qui a obtenu le divorce, il conserve, au contraire, tous ces droits (article 300), ce qui s'explique par le caractère pénal de la disposition inscrite dans l'article 299. Il conserve ces droits, mais exercera seulement à la mort du conjoint ceux qui ont le caractère de droits de survie, comme par exemple les legs. Viendra-t-il alors les exercer comme époux, bien qu'il n'ait plus cette qualité, ou comme étranger? La question présente un intérêt fiscal, car les droits de mutation ne s'élèvent qu'à 3 0/0 pour les mutations entre époux, tandis qu'ils atteignent le taux de 9 0/0 pour les mutations entre personnes étrangères. L'article 300 commande de décider que l'époux exerce ses droits comme tel et non comme étranger. Le texte dit, en effet, qu'il conserve les avantages à lui faits; cela revient à dire que ces avantages lui sont maintenus tels qu'ils étaient, avec le caractère d'avantages entre époux'.

428. Si les torts ont été réciproques et qu'en conséquence le divorce, demandé par les deux conjoints, ait été prononcé contre tous deux, la révocation atteint l'un et l'autre. Cela explique pourquoi, la plupart du temps, le divorce est demandé par les deux époux à la fois et aussi pourquoi, si l'initiative est prise d'abord par l'un d'eux, l'autre répond par une demande reconventionnelle, de manière que le tribunal fasse bonne justice distributive.

429. Trois observations restent à présenter sur la déchéance édictée par l'article 299.

D'abord, elle n'a lieu que sous la réserve des droits acquis aux tiers. L'article 958 admet formellement cette solution en ce qui concerne la révocation des donations pour cause

1. Sic Trib. de la Seine 30 mai 1893, Le Droit du 6 juillet et la note, - Trib. de Fougères 4 janvier 1893, Le Droit du 15 février. Voy. Laurent, Principes, III, p. 356,- et Binet, Examen doctrinal de la jurisprudence en matière d'enregistrement, dans la Revue critique de droit, 1894, p. 214 et

d'ingratitude. Or l'article 299 ne fait qu'appliquer le principe de la révocation des donations pour cause d'ingratitude (article 957).

D'autre part, la déchéance de l'article 299 n'est pas d'ordre public. L'époux au profit duquel le divorce est prononcé peut renoncer à se prévaloir de cette déchéance.

Enfin la déchéance de l'article 299 n'exclut pas la révocation pour cause d'ingratitude, qui est le droit commun des donations entre vifs. C'est pour l'un des conjoints le seul moyen de faire révoquer les libéralités qui profitent à l'autre. lorsque celui-ci est mort sans que le divorce ait eu lieu. C'est aussi le seul moyen, pour l'époux contre lequel le divorce a été prononcé, de faire tomber les libéralités dont l'autre a profité et continue de profiter par application de l'article 3001.

430. En résumé, les articles 386 et 299 établissent deux déchéances; elles sont encourues l'une et l'autre par l'époux contre lequel le divorce est prononcé.

III. Le divorce modifie, sous quelques rapports, les
droits des père et mère à l'égard de leurs enfants.

431. C'est l'objet des articles 302 à 304.

La considération des enfants fournit incontestablement l'objection la plus grave contre le divorce. Que vont-ils devenir quand les père et mère auront rompu le lien qui les unissait? Il est vrai que les mêmes inconvénients se présentent en cas de séparation de corps; les enfants ne sont guère moins malheureux en présence de parents restant mariés mais qui sont éloignés l'un de l'autre qu'en présence de parents divorcés. En cas de divorce cependant les complications peuvent être plus grandes, parce qu'alors les père et mère divorcés peuvent contracter chacun une nouvelle union; de sorte que les enfants verront se constituer deux foyers dont aucun ne sera le leur. Quoi qu'on fasse, on ne saurait leur épargner les fatalités qu'amène pour eux la mésintelligence des parents.

En droit, quelle situation leur est faite?

432. La dissolution du mariage ne brise pas le lien qui unit

1. Demolombe, Traité du mariage, 3e édition, II, p. 647 et 648.

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l'enfant à ses père et mère; entre eux subsistent les droits et les devoirs inhérents au rapport de filiation: puissance paternelle, obligation alimentaire, droits éventuels de succession, etc. L'article 304 n'est qu'une application partielle de cette idée « La dissolution du mariage par le divorce admis « en justice ne privera les enfants nés de ce mariage d'aucun « des avantages qui leur étaient assurés par les lois ou par les <«< conventions matrimoniales de leurs père et mère; mais il n'y « aura d'ouverture aux droits des enfants que de la même manière et dans les mêmes circonstances où ils se seraient ouverts s'il n'y avait pas eu de divorce. »

En ce qui concerne la puissance paternelle, si les enfants sont mineurs, le droit commun ne peut cependant continuer de s'appliquer. De droit commun, pendant le mariage, l'exercice de la puissance paternelle appartient au père seul article 373) et, après la dissolution par la mort de l'un des époux, au conjoint survivant. Après le divorce, la prééminence du père, qui tient à sa qualité de chef de famille, ne s'expliquerait plus, puisque l'unité de la famille est brisée. C'est pourquoi l'article 302 confère au tribunal la faculté de prendre telles décisions que les circonstances paraîtraient rendre nécessaires pour le plus grand avantage des enfants : « Les enfants seront confiés à l'époux qui a obtenu le di"vorce, à moins que le tribunal, sur la demande de la fa« mille ou du ministère public, n'ordonne, pour le plus « grand avantage des enfants, que tous ou quelques-uns « d'eux seront confiés aux soins soit de l'autre époux, soit « d'une tierce personne: » L'article 238, nous l'avons vu1, permet au tribunal de prendre, pendant l'instance, des mesures touchant la garde des enfants; à plus forte raison le peut-il quand l'instance a pris fin par le prononcé du divorce.

En principe, la garde des enfants est confiée à l'époux qui a obtenu le divorce; il est réputé le plus digne de la conserver. Mais la règle n'est pas exclusive; il est permis au tribunal d'y déroger et de confier les enfants à l'autre époux ou à une tierce personne. C'est sur la demande du ministère public ou de la famille 2 que le tribunal statue sur les délicates questions que les intérêts engagés peuvent soulever.

1. Suprà, p. 67.

2. Paris 17 juillet 1886, La Loi du 14 aoùt, Le Droit du 21 août.

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