CHAPITRE II L'ORGANISATION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES SECTION I. L'ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L' § 1. Le territoire de l'Etat, sa personnalité, Dans une étude méthodique de l'organisation administrative, on doit distinguer des administrations publiques qui individualisent des groupes territoriaux de population, avec l'ensemble de leurs besoins administratifs, et des établissements publics qui individualisent seulement certains services ou certaines fonctions techniques (1). Il y a quatre catégories d'administrations publiques qui sont : l'administration centrale de l'État, que, pratiquement, on appelle simplement l'Etat, et trois catégories d'administrations locales, les départements, les communes et les colonies. Ces administrations publiques ont une assiette territoriale et, dans leur circonscription, elles ont une compétence générale pour organiser au profit de tous les habitants, sans distinction, des services communs. Chacune d'elles, d'ailleurs, gère des services multiples. Les habitants de la circonscription font bourse commune dans leur budget. Par ces caractères, les administrations publiques se distinguent des établissements publics qui seront étudiés au chapitre suivant. Ceux-ci gèrent des services qui sont considérés comme techniques, plutôt que comme communs à tous les habitants d'une circonscription, et, en conséquence, tous les habitants de la circonscription ne font pas bourse commune dans leur budget. (1) A une certaine époque, l'expression Établissement public avait été détournée de sa signification et on l'employait comme synonyme de personne morale; en ce sens on a dit que les départements étaient des établissements publics, cela signifiait simplement qu'ils étaient des personnes morales. On a renoncé aujourd'hui à cette termino Le territoire de l'État. L'État étant la première des circonscriptions administratives, il y a lieu de signaler l'existence de son territoire, car toutes les circonscriptions administratives sont territoriales; mais les faits qui déterminent les limites du territoire de l'État sont d'ordre international, ce sont des faits d'occupation ou des traités de paix, leur étude relève du droit international public. Ce territoire est subdivisé en une quantité de circonscriptions administratives intérieures, dont les unes comme les départements, les communes, les colonies, sont le siège. d'une personnalité administrative locale, dont les autres ont uniquement pour objet de déterminer le ressort des agents administratifs de l'État. L'établissement des ressorts administratifs est, en principe, de la compétence du chef de l'État chargé d'organiser les services (V. Décr. du 11 juillet 1895, créant des directions régionales des postes). Pour l'établissement des circonscriptions servant de base à une personnalité administrative locale, il y a des règles spéciales (1). La personnalité juridique de l'Etat. L'État considéré comme administration est doué de la personnalité juridique (2). Cette personnalité est une, malgré que l'exercice des droits soit partagé entre plusieurs ministères ou plusieurs grandes directions de ces ministères, et qu'en fait des masses de biens distinctes soient confiées à la garde des grands services publics; il y a là une organisation objective qui ne morcelle ni la personnalité juridique de l'État ni son patrimoine (3). Les services publics de l'État. - Théoriquement, les services publics d'État devraient être seulement les services généraux par opposition aux services locaux ou spéciaux, c'est-à-dire : 1o ceux qui intéressent également tous les sujets de l'État; 2° ceux qui intéressent l'unité politique. Pratiquement, il est bien difficile d'opérer cette détermination, car, suivant la façon dont on les envisage, beaucoup de services peuvent être considérés comme généraux ou comme locaux; pour des raisons histo (1) V. infrà, Départements, Communes, etc. (2) V. suprà, p. 111, et dans le Cours de droit administratif de Ducrocq. 7° édit., t. IV, p. 12, une série de textes consacrant cette personnalité de l'État. (3) Cf. Th. Tissier, Traité des dons et legs, no 92. En sens contraire, MM. Marquès dit Braga et Camille Lyon dans leur Traité de la comptabilité de fait, no 172, enseignent que l'État est un être composé, qui renferme dans son sein autant de personnes morales que de services publics généraux, que, par exemple, le Trésor, le domaine national, les grandes régies financières, etc., ont la personnalité. Observons d'abord, que quand même cela serait, cela n'empêcherait point une personnalité globale de l'État : L'État est divisé en départements qui ont la personnalité, cela n'empêche point l'État d'avoir une personnalité globale qui ne se confond pas avec la collection des personnalités départementales. Mais il n'est même pas exact de dire que les grands services publics aient une personnalité, ils n'ont qu'une individualité administrative. V. suprà, p. 112, ils ne peuvent recevoir de libéralité qu'en empruntant la personnalité de l'Etat (Note de la sect. de l'Int. du 13 mars 1889, Richaud; id., 12 avr. 1892, Boilleau. Cf. Tissier, loc. cit.; L. 4 févr. 1901, art. 1-4; Aucoc, sur cette loi, Rev. critique, 1901, p. 167; Ducrocq, 7° édit., t. IV, no 1380). riques et parce qu'en France le régime d'État ne s'est établi que grâce à une extrême centralisation, on peut dire que tous les services publics sont en principe d'État, à l'exception de ceux qui ont été expressément concédés aux administrations locales ou spéciales par les lois et règlements (et de ceux qui intéressent les agglomérations bâties, qui sont certainement municipaux). C'est-à-dire qu'au point de vue du droit positif, la centralisation des services est le principe, la décentralisation, l'exception. § 2. L'organe exécutif de l'État. -- Article 1. Le Pouvoir central. N° 1. La Présidence de la République. Les organes de l'État qui ont l'action administrative sont les mêmes que ceux qui ont l'action gouvernementale et politique (1). L'organe exécutif comporte une organisation centrale et une organisation régionale, que l'on appelle plutôt le pouvoir central et le pouvoir régional. Le pouvoir central se compose: 1o de la présidence de la République; des ministères; 3° des conseils administratifs; 4° des agents d'exécution et de la hiérarchie. La présidence de la République se compose: 1° du Président de la République; 2° d'une maison civile et militaire qui a pour mission de fournir un travail de bureau et de représenter le chef de l'État dans les cérémonies. A. L'organisation de la présidence. - Il y a un Président de la République, il n'y a pas de vice-président. On a considéré que les intrigues possibles d'un vice-président constitueraient un danger. D'un autre côté, ce vice-président serait inutile, le congrès qui nomme le président étant facile à réunir, une vacance subite par suite de décès ou de démission n'a pas de graves inconvénients. D'ailleurs, en cas de vacance de la présidence, dans l'intervalle, le conseil des ministres est provisoirement investi du pouvoir exécutif (L. const. 25 févr. 1875, art. 7). Le Président de la République est élu par les deux Chambres réunies. (1) Il ne faut point s'en étonner, l'administration, par les services qu'elle rend aux citoyens, par les faveurs qu'elle est en mesure de distribuer, est une grande source de pouvoir et ce pouvoir peut être utilisé dans un but politique. Le mélange de l'action politique et de l'action administrative n'avait jamais été aussi évident que depuis le développement du suffrage universel; il se traduit par ce que l'on peut appeler la • préoccupation électorale » qui accompagne désormais toute mesure administrative. Comme tout besoin tend à se créer son organe, il fallait s'attendre à ce que la préoccupation électorale se créât le sien dans l'organisation administrative. En effet, nous verrons dans les ministères et dans les préfectures, à côté des organes d'administration ordinaire, se créer, sous le nom de « cabinet du ministre » ou de «< cabinet du préfet », des organes d'administration politique. en Assemblée nationale (L. const. 25 févr. 1875, art. 2, § 1). L'assem blée se tient à Versailles (L. 22 juill. 1879, art. 3)(1). Tout citoyen est éligible, à l'exception des membres des familles ayant régné sur la France (L. 25 févr. 1875, art. 8, modifiée par L. 14 août 1884). Le Président de la République est nommé pour sept ans, il est rééligible (L. cons. 25 févr. 1875, art. 2, § 2). Cette période est personnelle à chaque président, c'est-à-dire qu'il l'accomplit, alors même que, par suite de décès ou de démission, son prédécesseur ne serait pas allé jusqu'au bout de la sienne. Le Président de la République reçoit une indemnité de six cent mille francs par an, plus six cent mille francs de frais de maison et de frais de représentation. L'Élysée national est affecté à son logement. — Il y a une responsabilité pénale du Président limitée au cas de haute trahison. Dans ce cas unique, la Chambre des députés accuse, le Sénat juge (2). Il n'y a ni responsabilité civile, ni responsabilité politique pour les nombreux décrets qu'il signe. L'irresponsabilité politique du Président sera étudiée à propos de la responsabilité ministérielle. - B. Les attributions administratives du Président de la République. Les attributions du chef de l'État ne sont pas toutes d'ordre exécutif, il en est qui le font participer au pouvoir législatif et au pouvoir judiciaire (3). Dans l'ordre exécutif, elles ne sont pas toutes d'ordre adminis (1) L'art. 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, fixe le moment où l'élection doit avoir lieu en distinguant deux hypothèses, le cas de terme légal des pouvoirs et le cas de décès ou de démission: 1o« au moins un mois avant le terme légal des pouvoirs du Président de la République, les Chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau président. A défaut de convocation, cette réunion aura lieu de plein droit le quinzième jour avant l'expiration de ses pouvoirs »; 2o« en cas de décès ou de démission du Président de la République, les deux Chambres se réunissent immédiatement et de plein droit ». - «Dans le cas où, par application de l'art. 5 de la loi du 25 févr. 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où la présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient aussitôt convoqués et le Sénat se réunirait de plein droit. (2) Mais la question se pose de savoir s'il s'agit seulement de cas de trahison prévus et punis par les textes de lois, ou bien si la Chambre des députés a le droit d'incriminer elle-même les actes du chef de l'État. V. Esmein, Élém. de droit const., 5e édit., p. 709. (3) a) Dans la législation, le chef de l'État intervient : 1° par le droit d'initiative qu'il a concurremment avec les deux Chambres (L. const. 25 févr. 1875, art. 3, § 1); 2o par le droit de prendre part à la discussion de la loi; le chef de l'État n'intervient pas en personne dans les débats, mais il intervient par l'intermédiaire d'un ministre ou d'un commissaire du Gouvernement nommé à cet effet, ou par un message lu à la tribune (L. const. 16 juill. 1875, art. 6); 3° par le droit de demander une nouvelle délibération en vue de retarder le vote d'une loi et de provoquer les Chambres à la réflexion; la dema de doit être faite dans le délai fixé pour la promulgation, par message motivé (L. const. 16 juill. 1875, art. 8, § 2); 4o par la promulgation des lois; b) Dans l'ordre de la justice, le chef de l'État intervient de deux façons: 1o pour rendre lui-même, avec un pouvoir propre, certaines décisions qui sont semi-contentieuses. On verra, en étudiant le contentieux, cette catégorie de décisions qui rappellent la fiction de la justice retenue, par exemple: décisions sur les prises maritimes, certains tratif, il en est de gouvernementales ou constitutionnelles telles, par exemple, que la nomination des ministres qui, cependant, intéresse déja le droit administratif. Notons que, quelles que soient les attributions du chef de l'État, il ne les exerce jamais qu'avec le concours d'un de ses ministres, puisque sa signature doit toujours être contresignée. Le chef de l'État nomme les ministres (L. 31 août, 3 sept. 1791) et il peut de même les révoquer (1). Théoriquement, il les choisit où il veut. même en dehors du Parlement, mais les traditions du régime parlementaire, le fait que les ministres sont responsables devant la majorité des Chambres et doivent se retirer devant un vote de blâme, le forcent dans la pratique à les prendre dans la majorité parlementaire. En fait, le chef de l'État ne choisit personnellement que le président du conseil, celui-ci choisit les autres ministres, sauf son agrément (2). Au point de vue strictement administratif, voici les principales attributions du chef de l'État : 1° il a la disposition de la force armée et de la force publique pour assurer le maintien de l'ordre et l'exécution des lois (L. 25 févr. 1875, art. 3, § 3); 2° « il nomme à tous les emplois civils ou militaires » (L. 25 févr. 1875, art. 3) (3); 3° il organise en prin décrets d'annulation de décisions des conseils généraux, etc. On peut rattacher à cela des attributions qui sont de juridiction gracieuse, par exemple : le décret accordant des lettres de naturalisation, le décret accordant un changement de nom; 2° pour participer à l'exercice de la justice déléguée. En effet, il nomme les juges, il fait exécuter leurs jugements, il entretient auprès de toutes les juridictions un ministère public. (1) Le gouvernement de la Restauration en a donné un exemple en révoquant M. de Chateaubriand et le maréchal de Mac-Mahon en révoquant Jules Simon. (2) Autres attributions constitutionnelles. — Le Président de la République convoque les Chambres et prononce la clôture de leurs sessions; il peut les ajourner; ton tefois, l'ajournement ne peut excéder le terme d'un mois, ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session (L. const. 16 juill. 1875, art. 2, § 2); il peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat; en ce cas, les collèges électoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans les dix jours qui suivront la clôture des opérations électorales (L. const. 25 févr. 1875 modifiée par la loi const. du 14 août 1884, art. 5, § 2). C'est auprès de lui que sont accrédités les agents diplomatiques étrangers et c'est en son nom que les agents diplomatiques français sont envoyés auprès des puissances étrangères; le chef de l'État n'exerce pas le droit de déclarer la guerre, cela est réservé aux Chambres (L. const. 16 juil!. 1875, art. 9), mais il a la direction de la guerre si elle est déclarée, en vertu de son droit de disposer de la force armée. Il a en principe le droit de conclure les traités, sauf à en donner connaissance aux Chambres. Il est vrai qu'à ce droit de conclure seul les traités il y a des exceptions considérables : les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et aux droits de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi (L. const. 16 juill. 1875, art. 8). On peut citer, parmi les traités qui sont valables sous la seule signature du chef de l'État, les traités d'alliance en tant qu'ils n'engagent pas par eux-mêmes les finances de l'Etat; les traités de protectorat passés avec des chefs de peuplades, etc. (3) Le droit de nomination entraine celui de révocation; cette prérogative n'est cons |