1863 et le juge n'a point reconnu le droit à indemnité (Cons. d'Ét., 30 juin 1859, Bellamy). Ainsi encore, le monopole des imprimeurs établi par le décret du 5 février 1810 a été supprimé par le décret du 14 septembre 1870 pour faire place à la liberté. Le décret de 1870 contenait un art. 4 ainsi conçu : « Il sera ultérieurement statué sur les conséquences du présent décret à l'égard des titulaires actuels du brevet ». En effet, plusieurs pétitions furent envoyées aux assemblées législatives qui en délibérèrent sans se décider à voter une indemnité; finalement, le Sénat renvoya les intéressés devant le ministre de l'Intérieur qui rejeta la demande en indemnité et le Conseil d'État, saisi au contentieux, confirma ce rejet (Cons. d'Ét., 4 avr. 1879, Goupy). Cette espèce est particulièrement importante, tant parce qu'il existe encore d'autres monopoles du même genre dont la suppression pourrait être demandée, que parce que le brevet d'imprimeur était considéré comme constituant une véritable propriété (1). III. Les indemnités pour faute imputable à l'administration (2). PREMIÈRE HYPOTHÈSE. Théorie administrative de la responsabilité de l'alministration pour faute de service. Le principe obligatoire de la faute joue à la charge de l'administration de deux façons différentes, selon qu'il s'agit de la théorie administrative de la responsabilité pour faute de service, ou de la théorie civiliste de la responsabilité du commettant. Nous examinerons les deux hypothèses. Nous commençons par celle qui constitue le droit commun, la théorie administrative de la responsabilité pour faute de service, qui s'applique, (1) On pourrait objecter, en effet, s'il n'y avait que les hypothèses des établissements dangereux ou des usines non fondées en titre, que la mesure de suppression ne motive pas l'indemnité uniquement parce que le dommage ne frappe pas un droit véritable; mais l'hypothèse du brevet des imprimeurs, qui évoque immédiatement celle des offices ministériels, nous avertit que des droits véritables sont parfaitement menacés et que leur suppression ne motivera pas d'indemnité, si celle-ci n'est pas inscrite dans la loi. C'est donc que le refus d'indemnité provient, non pas tant de la nature du droit supprimé, que de la nature de l'opération de suppression qui ne procure aucun enrichissement au patrimoine administratif, étant faite pour la liberté. On trouvera dans Lebon, sous Cons. d'Et., 4 avril 1879, Goupy, p. 284, toute une bibliographie sur la question des brevets d'imprimeurs. Observons que la loi du 18 juillet 1866, sur la suppression des courtiers en marchandises, avait gracieusement prévu une indemnité, d'ailleurs fournie par l'impôt des patentes (art. 10 et s.) et par conséquent par les gros commerçants, et que la loi du 14 mars 1904, art. 14, relative à la suppression des bureaux de placement payants, en rendant cette opération facultative pour les communes, a mis à leur charge une indemnité. (2) Bibliographie. V. celle de la p. 481. sauf exception, à tous les cas de responsabilité encourue par l'administration dans l'exécution des services publics. I. Des caractères fondamentaux de la théorie administrative de la faute de service. Non seulement cette théorie est particulière en ce qu'elle postule la compétence de la juridiction administrative comme étant le seul juge possible des relations entre l'administration et ses agents, comme aussi des besoins des services (Conflits, 1er févr. 1873, Blanco); mais elle l'est encore en ce qu'elle s'est organisée sur des bases très différentes des données civilistes, notamment en ce qu'elle rejette le cumul de la responsabilité du commettant et de celle du préposé, et en ce que la notion de la faute de service est notablement différente de celle de la faute individuelle: A. Comme quoi la responsabilité de l'administration et celle de ses agents ne sont pas cumulables. D'après la théorie classique suivie par la jurisprudence civile, une entreprise collective douée de personnalité juridique les administrations publiques ne sont pas autre chose se décompose, au point de vue de la responsabilité pour faute, en deux éléments: la personne juridique qui joue le rôle de commettant et les agents qui jouent le rôle de préposés. Le fait matériel, résultat d'une faute et cause d'un préjudice, émane bien entendu toujours d'un agent, l'agent est personnellement responsable, mais le commettant, c'est-à-dire la personne morale, est solidairement responsable avec lui, de telle sorte que les deux responsabilités se cumulent. On applique ainsi aux entreprises collectives la solution de l'art. 1384 du Code civil, établie indiscutablement en vue des maîtres ou commettants simples individus (1). Le droit administratif n'a pas admis l'extension de cette théorie individualiste à la responsabilité des collectivités administratives. Au lieu d'analyser ces collectivités en des personnes morales qui joueraient le rôle de commettants et des agents qui seraient les mandataires ou les préposés de ces personnes morales, c'est-à-dire au lieu d'adopter la théorie qui explique l'organisation des personnes morales par la donnée du mandat, il a adopté bien instinctivement, et sans que jamais ni la jurisprudence ni la doctrine se soient expliquées sur ce point, la théorie dite organique, sur laquelle nous avons donné des détails, suprà, p. 115 et s. On se rappelle les traits principaux de cette théorie. Il n'y a pas dans l'organisation des administrations publiques, pas plus d'ailleurs que dans celle de toutes autres personnes morales véritablement incorporées, de relations de mandat. Les agents ne sont ni des mandataires ni des préposés, ils sont des organes. Ils sont tous des organes, aussi bien les agents d'exécution ou ceux de préparation que les agents de décision, (1) V. pour les communes, Tribunal de Châteauroux, 17 mai 1899; Bourges, 1 mai 1900, D. 1900. 2. 425; pour les syndicats professionnels, Trib. de la Seine, 5 décembre 1905, D. 1907. 2. 32. Cf. Michoud, Personnalité morale, t. II, p. 240. aussi bien les agents subalternes, pourvu qu'ils soient commissionnés, c'est-à-dire munis d'un emploi véritable, que les agents haut placés; toutes les distinctions que l'on a voulu faire à ce point de vue sont vaines (1). Étant des organes, les agents ne font qu'un avec la personne morale quand ils agissent dans la ligne de leur fonction; non pas toutes les fois qu'ils sont matériellement en fonction, mais quand ils agissent dans ce qu'on pourrait appeler les limites psychologiques de leur fonction. En effet, leur volonté est la volonté même de la personne morale, mais seulement quand cette volonté se place dans la ligne de la fonction administrative et à l'intérieur des procédures administratives, car la volonté de la personne morale administrative est elle-même déterminée par la fonction administrative et canalisée en des formules et en des procédures (2). Ainsi, ils ne font qu'un avec la personne morale dans la ligne de leur fonction, par conséquent, s'ils causent un préjudice par une faute qui puisse être considérée comme incluse dans les limites de la fonction, il ne saurait y avoir deux responsables, il ne saurait y en avoir qu'un, la personne morale, puisqu'il n'y a qu'une volonté, celle de la personne morale. Au contraire, si les agents, bien que matériellement en fonction, ont commis une faute tellement lourde ou tellement inspirée par la mauvaise intention, qu'elle ne puisse plus être considérée comme incluse dans les limites psychologiques de la fonction, alors ils cessent d'être des organes de la personne morale, ils doivent être personnellement responsables de leur fait personnel, mais la personne morale ne doit pas en être responsable parce qu'elle n'y a été pour rien, elle s'est trouvée à ce moment juridiquement absente; il n'y a encore ici qu'un responsable et c'est l'agent. - Donc, jamais de cumul, ou bien la responsabilité de l'administration seule pour la faute de service, ou bien la responsabilité du fonctionnaire seul pour le fait personnel (3). (1) Elles peuvent avoir de l'intérêt dans la théorie des décisions exécutoires : les statuts peuvent décider que certains agents, appelés organes ou autorités administratives, auront seuls qualité pour engager la personne morale par leurs décisions exécutoires. Mais, dans la théorie des quasi-délits, tous les agents sont des organes et engagent directement la personne dans la limite de leurs fonctions. (2) Nous arrivons par une voie légèrement différente à la doctrine de la volonté légale que M. Michoud a développée dans son Traité de la personnalité morale, t. I, p. 122 ets. M. Michoud ne paraît pas avoir vu le lien entre la doctrine du non-cumul et la théorie de la volonté légale des organes, qui est sienne (op. cit., II, p. 279). (3) Cette construction, que l'on pourrait déduire logiquement de la théorie organiciste combinée avec celle de la volonté légale, notre jurisprudence administrative y est arrivée pratiquement par la combinaison de deux tendances qui, au premier abord, paraissent très étrangères à la théorie des personnes morales d'une part, la préoccupation de couvrir administrativement les fonctionnaires contre les poursuites que les particuliers pourraient intenter contre eux devant les tribunaux civils; d'autre part, la préoccupation d'accorder cependant des satisfactions pécuniaires aux victimes des préjudices. On a couvert les fonctionnaires devant les tribunaux civils en ce qui concerne les simples H. PR. 32 B. De la «faute de service » comme fait obligatoire. La responsabilité de l'Administration est engagée par les fautes légères commises dans l'exécution des services publics, non seulement parce que l'agent qui a commis la faute, n'étant pas sorti de sa fonction, est resté un organe identifié avec la personne morale, mais parce que la personnalité de cet agent disparaît dans l'organe collectif qui constitue « le service», c'est-à-dire toute la branche de l'administration à laquelle il appartient, et que cet organe collectif, qui endosse la faute, est encore plus identifié avec la personne morale. Quand la faute est commise par un agent des contributions indirectes, c'est comme si elle était commise par le service des contributions indirectes, quand elle est commise par un agent de la police, c'est comme si elle était commise par le service de la police. Aussi, ce que la jurisprudence administrative relève, c'est l'existence ou la non-existence de la faute collective du service qui devient, par là, faute de la personne morale (V. Cons. d'Ét., 5 janv. 1906, Cornu; 14 juin 1907, Villeminot; 22 mars 1907, Fournier) (1). L'avantage que le droit administratif a trouvé à s'arrêter à la notion de la faute de service, c'est que cette notion est parfaitement saisissable, fautes de service, du moins la procédure du conflit permet au préfet de les couvrir, on ne les abandonne à leur responsabilité que lorsqu'ils ont commis un fait personnel (V. suprà, vo Poursuite des fonctionnaires, p. 96); d'un autre côté, on a réservé à la juridiction administrative la connaissance des actions en responsabilité intentées contre les administrations publiques pour simple faute de service et, de plus en plus largement, la juridiction administrative a alloué ces indemnités. Et il s'est trouvé admis, par le jeu mème des principes de compétence, que les deux espèces de responsabilités, celle des fonctionnaires et celle des administrations publiques, ne se cumulaient pas, parce que l'une était une responsabilité civile, l'autre une responsabilité administrative. Mais la preuve que le principe du non-cumul des responsabilités répond à d'autres exigences qu'à celles des différences de compétence, c'est que des lois l'ont appliqué dans des hypothèses où la responsabilité de l'Administration relève des tribunaux civils comme en relèverait la responsabilité personnelle de l'agent: telle est, par exemple, la loi du 20 juillet 1899, par laquelle la responsabilité civile de l'État a été substituée à celle des membres de l'enseignement public pour les accidents scolaires, en vertu de laquelle, par conséquent, on va voir l'Etat poursuivi devant le tribunal civil, alors que l'instituteur ne pourra pas l'être et que les deux responsabilités ne se cumuleront pas. C'est donc qu'il y a une question de fond, qui est celle de l'unité de la personne morale et de ses organes, toutes les fois que ceux-ci ne sont pas sortis de la ligne de leur fonetion par un fait personnel. On trouvera des précisions sur la question du non-cumul des responsabilités dans une note de Sirey 1911. 3. 137, sous Cons. d'Ét., 20 janvier 1911, Auguet et 3 février 1911, Delpech. Quelquefois, en fait, il y a à la fois responsabilité de l'administration et du fonctionnaire, mais c'est alors que l'hypothèse est complexe et comporte à la fois faute de service et fait personnel du fonctionnaire. (1) Il peut arriver, d'ailleurs, que toute l'organisation administrative se solidarise expressément avec l'agent qui commet une faute et alors, cette faute fût-elle très lourde et presqu'un fait personnel, devient, par l'effet de cette solidarité, une faute de l'administration. V. dans la note précitée l'affaire Delpech. elle présente pour le juge un élément d'appréciation relativement facile. Un service public organisé représente un corps de traditions, d'habitudes, de disciplines; il y a dans ce service public une certaine diligentia babituelle, qui n'est certainement pas la diligentia maxima, mais qui est cette diligence moyenne dont se contente la bonne administration appréciée in concreto. Les fautes de service seront les négligences, les omissions, les erreurs, les maladresses, que l'agent aurait évitées s'il s'était conformé à la diligence moyenne du service et qui, en même temps, ne dénotent pas de sa part un fait personnel. Notons, d'ailleurs, que la diligence des services publics, et par conséquent la faute de service, ne s'apprécieront pas forcément d'après les habitudes de chaque service, mais qu'il s'établira plutôt un type uniforme de faute de service applicable à tous les services et, même, à l'administration quotidienne des maires ou des préfets, c'est-à-dire des autorités administratives (1). L'élément de faute de service, qui crée l'imputation de la responsabilité à l'Administration, doit être établi par l'intéressé, qui doit tout au moins fournir un commencement de preuve. Quand la faute n'est pas établie, l'accident par lui-méme, c'est-à-dire le préjudice par lui-même, ne suffit pas à faire accorder l'indemnité (Cons. d'Ét., 30 déc. 1910, Veuve Médé; 10 mai 1912, Ambrosini), mais il convient de remarquer que cette charge de la preuve n'est pas aussi lourde qu'elle le serait devant la juridiction civile, parce que le juge administratif fait lui-même l'instruction de l'affaire. Cet ensemble de règles organisant ce qu'on pourrait appeler la responsabilité pour faute de l'entreprise, entraîne les conséquences suivantes, qui, sur bien des points, diffèrent des conséquences de la théorie du risque de l'entreprise adoptée par la loi du 9 avril 1898: 1o la responsabilité de l'administration ne se présume pas; ool'Administration n'est responsable, ni des cas de force majeure résultant d'événements extérieurs à ses services, ni des cas fortuits qui se produisent à l'intérieur de ses services, mais qui ne peuvent pas actuellement être ramenés à des fautes de service déterminées (Cons. d'Ét., 10 mai 1912, Ambrosini, S. 1912. 3. 101 et la note); il est à noter que, d'après la législation de 1898, le patron est au contraire responsable des accidents du travail arrivés par cas fortuit et n'est exonéré que dans les cas de force majeure (sur la distinction de la force majeure et du cas fortuit, V. Exner, La notion de la force majeure, traduct. Seligmann, 1912; Josserand, La force majeure en matière de transports, Grand traité commercial de Thaller, 1910); 3o l'Administration n'est pas responsable des faits personnels de ses agents, c'est-à-dire des fautes qui dépassent en gravité la faute de service (1) Cons. d'Ét., 30 décembre 1910, Veuve Médé : « Considérant que l'accident est survenu au cours d'un exercice accompli avec toutes les précautions d'usage et ne peut être attribué à une faute du service public de nature à engager la responsabilité de l'État ». |