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l'histoire de l'État, n'est donc pas seulement le résultat fatal du mouvement de centralisation qui ne cesse de progresser, il est en même temps la condition du salut social, parce que seul il permet de régler la question de l'accession de la classe travailleuse à la vie civile (1).

(1) Nous reproduisons ici, en note, les principaux passages de la préface de notre sixième édition, qui était consacrée à développer cette idée que le régime administratif engendre des biens :

Le régime administratif a commencé par organiser des services publics nombreux et par gérer régulièrement des intérêts collectifs; ce n'est pourtant pas cette gestion, quelque importante qu'elle soit, qui constituera une somme suffisante d'avantages, car elle De profite pas à tous également, mais seulement aux citoyens qui possèdent d'avance des biens.

Le régime administratif a fait mieux par le domaine collectif considérable qu'il a créé, par le budget formidable qu'il prélève tous les ans sur les fortunes privées, par la masse des fonctions qu'il a centralisées, par la sécurité que sa législation et ses services publics méthodiquement organisés ont établie partout, il a constitué à l'État une substance réelle et nourrissante qui va se distribuant automatiquement aux citoyens sous forme de biens, de telle sorte que chacun en ait un peu. Dans la période de conquête des libertés politiques, l'État avait multiplié et augmenté les citoyen; maintenant il multiplie et augmente les biens. Sans doute, des biens peuvent exister sous les régimes politiques les plus rudimentaires; la possession de la terre et celle de quelques objets mobiliers peuvent être garanties dans des états sociaux inférieurs, mais l'État administratif seul, dans son atmosphère saturée de sécurité et de stabilité, peut favoriser le développement de biens d'une nature moins grossièrement corporelle, les valeurs mobihères, la propriété industrielle et littéraire, les fonctions publiques et les professions commerciales, les brevets de pension pour la vieillesse, les livrets d'épargne et de prévoyance, les secours de l'assistance publique. L'État contemporain crée des biens fiduciaires comme il crée de la monnaie de papier; ils viennent augmenter le stock des biens naturels comme les billets de banque augmentent celui du numéraire, et, ainsi, ils assurent une circulation des biens suffisante pour que chacun puisse en prendre sa part. Quand on dit de nos contemporains qu'ils voudraient être « tous fonctionnaires », on exprime au fond cette idée que tous voudraient retirer de leur profession les mêmes avantages certains que le fonctionnaire public retire de sa fonction et qui font de celle-ci un bien. En un certain sens, en effet, toutes les professions sociales, même celles des travailleurs manuels, sont des fonctions. Or, par des combinaisons d'assurances et d'institutions de prévoyance, par un bon aménagement du travail, l'État peut augmenter la valeur et la certitude de toutes les professions de façon à faire apparaître en elles des biens; il peut, en garantissant ces biens contre les exactions de la concurrence économique et contre le chômage, qui actuellement les empêchent de se constituer, les faire surgir.

Au xi siècle de notre ère, lorsque les habitants des villes s'armaient et s'insurgeaient au cri de communion, communion! >> ce qu'ils demandaient au régime communal c'etait, en les libérant des exactions des seigneurs et en assurant la liberté de leur négoce, de leur permettre l'acquisition des biens de bourgeoisie. De fait, le régime municipal entraina la création de nouvelles espèces de biens, boutiques de marchands, maitrises, charges lucratives, etc. Quand les ouvriers du xx siècle, ou même les employés et sous-agents de l'Administration, font grève en criant « syndicat, syndicat!», ce qu'ils demandent au régime syndical, une fois incorporé à l'État, c'est de leur assurer de nouveaux biens; c'est, en les libérant de la concurrence ou du chômage ou de la tyrannie de l'agent électoral, de leur garantir à l'usine, à l'arsenal ou au bureau, la tranquille possession d'une place dont ils seront titulaires.

Ainsi, à chaque crise du développement de l'État correspond la création de nouveaux

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Il ne faut pas céder à la tentation de croire que l'administration publique, telle que nous la connaissons aujourd'hui, ait toujours éxisté, ou encore il ne faut pas croire que des services ne puissent être rendus aux individus que par le moyen d'une administration publique. En réalité, sous tous les régimes politiques et dans tous les états sociaux, sauf dans ceux qui furent tout à fait rudimentaires, il y a eu des services rendus aux individus, mais ils ne l'étaient pas à la manière actuelle. Il y a eu, par exemple, la manière féodale; elle se caractérisait par ce fait que le service n'était pas rendu au nom d'une communauté, mais au nom d'un seigneur, et par cet autre fait que le service, étant l'occasion de la perception de certaines redevances, se présentait sous une forme impérative et fiscale. Il y a eu aussi, à la fin de l'ancien régime, la manière administrative des communautés d'habitants dans les paroisses rurales; ici, aucun droit de contrainte, mais un organisme commun qui se constitue pour gérer des intérêts communs; quelque chose de purement éco

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biens; le phénomène n'est pas nouveau, il se manifeste seulement aujourd'hui avec plus d'intensité.

Ce point de vue réaliste n'est pas le moins du monde collectiviste. D'une part, tous les biens engendrés dans l'atmosphère du régime administratif sont destinés à la propriété individuelle. D'autre part, le régime administratif engendre des biens et non pas des richesses. Il ne faut pas confondre les richesses sont des valeurs économiques non attribuées et non garanties; les biens sont des valeurs juridiques attribuées, en ce sens que leurs modes d'acquisition sont déterminés, et des valeurs garanties. Tout bien est une richesse, mais toute richesse n'est pas un bien, tant que l'État n'a pas organisé la garantie systématique de sa possession.

Or, les richesses seront toujours produites par l'initiative et le risque individuel, le régime administratif ne vise qu'à tirer des richesses produites un plus grand nombre de biens.

Les inventions industrielles et les œuvres littéraires ont été des richesses sans constituer des biens au profit des inventeurs et des auteurs, tant que la protection minutieuse des brevets d'invention et des droits d'auteurs n'a pas été organisée par l'État. Maintenant qu'elle est organisée d'une façon administrative, ce sont des biens de grande valeur. La production littéraire et l'invention industrielle n'en restent pas moins œuv uvres d'initiative et de risque individuel. La part contributive que les travailleurs manuels retirent dans la répartition des richesses, tant qu'elle ne leur était servie que sous la forme d'un salaire journalier instable, ne représentait pas un bien à leur profit, mais quand l'État leur aura garanti la possession de leur emploi, sauf destitution, quand il aura prélevé sur la richesse produite des sommes suffisantes pour alimenter, de concert avec le patron, des caisses d'assurance et des caisses de retraite, les traitements, les livrets et les brevets individuels qui résulteront de ces institutions, constitueront des biens. La production industrielle n'en restera pas moins œuvre d'initiative et de risque individuel entre les mains du patron, seulement le risque ne sera que pour celui à qui va le profit.

nomique et d'assez semblable à ce que serait aujourd'hui une association syndicale volontaire de propriétaires, créée pour accomplir des travaux d'intérêt collectif; cet organisme fonctionne comme une association privée et relève du droit privé. Il est resté pendant bien longtemps des traces de cet état de choses dans notre administration municipale, même depuis la Révolution; pendant toute la première moitié du xixe siècle, elle n'a été que la gestion d'une sorte de syndicat d'intérêts privés et ce n'est que depuis l'introduction du suffrage universel que, la politique y ayant pénétré peu à peu, y a introduit avec elle les méthodes publiques de l'administration centrale (1).

Ainsi, à ne considérer que l'histoire de la France, nous voyons que l'administration a pu y être féodale, qu'elle a pu y être purement privée, au moins en ce qui concerne les services locaux. Si l'on pouvait parcourir l'histoire des autres pays, on constaterait que l'administration a revêtu les formes les plus diverses, ce qui n'a rien de surprenant étant donné que « le service », quí fait le fond de l'administration, est en soi ce qu'il y a au monde de plus souple.

Mais quand l'État se centralise et que le régime administratif se dessine, l'administration devient publique et le service rendu au public devient un service public. Cela se marque, d'abord, dans l'administration centrale, puis le caractère public gagne les administrations locales, telles que les départements et les communes; puis ce même caractère gagne les établissements publics, c'est-à-dire les rouages spéciaux chargés de services spéciaux. Une décision du tribunal des conflits du 9 décembre 1899, Canal de Gignac (S. 1900. 3. 19, et la note) a décidé, à propos des associations syndicales, que les établissements publics ne pouvaient pas être contraints de payer leurs dettes par les voies d'exécution du droit commun, pas plus que les grandes administrations publiques, ce qui est une immunité ou une prérogative caractéristique de la nature publique. Une série de décisions du tribunal des conflits de l'année 1908 ont décidé que la matière de la responsabilité des départements, des communes, des établissements publics, pour faute de service de leurs agents, devait être traitée administrativement comme celle de la responsabilité de l'État (2). Sans doute, il reste, sous le nom d'établissements d'utilité publique, de fondations ou d'associations, des organisations privées rendant des services au public, et l'on peut affirmer qu'il y a, pour l'initiative privée, liberté du bien public; mais on peut affirmer aussi que, dans un pays centralisé où le régime administratif est développé, la masse des organisations de services publics l'emporte de beaucoup sur celle des organisations de services privés; de plus, elle constitue un centre d'attraction, et les organisations privées sont obligées, plus ou moins,

(1) Sur cet ancien état d'esprit, V. Henrion de Pansey, De l'autorité municipale. (2) C. d'Ét., 29 février 1908, Feutry (S. 1908. 3. 97 et la note); 11 avril 1908, de Fons-Colombe, 23 mai 1908, Joullié (S. 1909. 3. 49 et la note).

d'accepter la tutelle et la protection de l'administration publique. Le caractère public de l'administration se reconnaît aux signes suivants qui sont la marque de tout ce qui est public (1) :

1o Dans le régime public, il y a de la contrainte et de la police associées à l'organisation économique du service, c'est-à-dire que l'administration publique est une organisation politico-économique;

2o Aucun pouvoir de contrainte ou de réquisition ne peut être exercé sur les individus ou sur leurs biens, si ce n'est au nom du gouvernement de l'État, conformément à la loi, et pour des raisons d'utilité commune; par conséquent, toute organisation qui exerce un pouvoir de contrainte ou de réquisition, fait partie de l'administration publique ou est contrôlée par l'administration publique;

D'ailleurs, les pouvoirs de contrainte ou de réquisition sont exercés au nom d'une communauté et les services publics sont alimentés par une caisse commune; car le régime public, pour éviter la patrimonialisation individuelle des pouvoirs et le caractère lucratif des opérations administratives, est à base communautaire;

3o Les organisations communautaires publiques sont à base territoriale et les individus qu'intéressent ces organisations sont pris en qualité d'habitants de circonscriptions territoriales, ce qui est une qualité commune, égale pour tous, et dépouillée autant que possible de toute particularité spéciale; les intérêts généraux ou intérêts publics sont ceux auxquels il peut être pourvu par des organisations territoriales de services (voirie, éclairage, service des postes, police, etc.). Dans le territoire habité, il peut, d'ailleurs, être créé des lieux plus particulièrement publics qui soient affectés à la circulation, au passage des hommes ou bien au logement des services publics; dans ces loca publica tous les passants constituent encore un public et la vie y est publique.

En combinant ces critériums, on constate qu'il y a des degrés dans le caractère public des organisations administratives :

Au premier rang, se placent l'État et les diverses administrations. territoriales contenues dans l'État, départements et communes, avec leurs services publics, parce que, d'une part, le communisme impliqué par ces organisations est rigoureusement territorial, parce que, d'autre part, elles font de la réquisition et de la contrainte, qu'elles sont étroitement rattachées au gouvernement et qu'enfin leur but n'est pas lucratif;

Au second rang, se placent les établissements publics qui sont rattachés à l'administration de l'État, dont les services ne sont point lucratifs mais ne présentent plus le caractère d'être communs à tous les habitants d'une même circonscription territoriale, et qui ne font plus que très exceptionnellement de la réquisition et de la contrainte;

(1) Cf. sur ce point, mes Principes de droit public, p. 317 et s.

Au troisième rang, se placent les établissements d'utilité publique et ceux qui ont été reconnus d'intérêt public, comme les sociétés de secours mutuels, les caisses d'épargne ordinaires, etc.; le lien qui les unit à l'État est plus lâche, ce n'est qu'une collaboration lointaine; d'autrepart, la circonscription n'ayant plus qu'une importance faible, le communisme n'est presque plus territorial et n'y a plus du tout de pouvoir de contrainte, mais le but reste non lucratif.

Au quatrième et dernier rang, se placent des institutions qui n'ont plus de connexion véritable avec l'administration de l'État, qui n'ont plus de pouvoir de contrainte, dont le communisme au lieu d'être territorial est corporatif, mais dont le but n'est pas lucratif. Tels sont les syndicats professionnels et les associations désintéressées.

No 2.

L'administration publique et la fonction administrative.

L'administration publique est un organisme public accomplissant, avec un pouvoir de nature publique, la fonction administrative. Cette définition met en évidence trois éléments que nous étudierons dans l'ordre suivant: la fonction administrative, le pouvoir administratif qui s'appelle aussi la puissance publique, l'organisme administratif.

La présente division sera consacrée à la fonction administrative.

La fonction administrative a pour objet de pourvoir par des actes et par des opérations, à la fois juridiques et techniques, à la satisfaction des besoins publics et à la gestion des services publics.

Cette définition, éminemment pratique, se distingue de beaucoup d'autres qui ont été données et dont il ne sera pas inutile de passer en revue les principales :

a) On a commencé par dire que la fonction administrative était « l'œuvre du pouvoir exécutif » et qu'elle consistait «< dans l'exécution des lois » (1). Mais cette définition n'est ni claire ni même exacte. D'une part, l'administration n'est pas chargée de l'exécution de toutes les lois; elle n'est point chargée de l'exécution des lois du droit privé. D'autre part, en ce qui concerne les lois du droit public ou tout au moins de la police et des services publics, il est vrai qu'elle est chargée de les exécuter en faisant fonctionner les services, mais, alors, son véritable objet n'est-il pas de gérer des services créés par des lois, plutôt que d'exécuter des lois dont résulterait le fonctionnement des services? Il est bien clair que le fonctionnement des services ne peut résulter que d'une activité pratique cette activité pratique est celle de l'administration et non pas celle de la loi qui n'est que pour régler l'activité administrative; c'est l'exécution des services qui, en première ligne, sollicite l'activité de l'administration, et l'exécution de la loi n'en est qu'une conséquence.

(1) Ducrocq, 7° édit., t. I, p. 3 et 28; Berthélémy, 4 édit., p. 1.

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