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cette réserve que l'appréciation de la nature de la faute est réservée au tribunal des conflits, si le préfet élève le conflit (V. p. 98 et s.).

C. Le contentieux de l'interprétation. Ce contentieux comporte plusieurs variétés il y a l'interprétation des décisions administratives; il y a l'interprétation de faits et d'actes de la vie civile avec compétence des tribunaux judiciaires; il y a l'interprétation des décisions contentieuses du Conseil d'État donnée par le Conseil d'État lui-même. Ce contentieux est, lui aussi, partagé entre les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires.

Du contentieux de l'interprétation des décisions administratives avec compétence des tribunaux administratifs (1). Il y a contentieux de l'interprétation dans les cas où l'existence d'un acte d'administration, dont le sens est obscur ou dont la validité est contestée, forme question. préjudicielle. Il faut pour cela deux conditions: 1° Qu'il y ait une décision exécutoire dont le sens soit obscur, ou dont la validité soit attaquée (2); 2o Que la question soit soulevée à l'occasion d'un litige né et actuel (Procès pendant devant un tribunal judiciaire, Cons. d'Ét., 11 déc. 1874, Canal de Crillon; 31 mai 1895, Compagnie générale des eaux; 26 déc. 1903, Ville de Paris; - Procès pendant devant un conseil de préfecture, alors que l'interprétation de l'acte doit être demandée au Conseil d'État, Cons. d'Ét., 8 juin 1894, Mont-de-Marsan; 22 mars 1895, Compagnie française; 17 juill. 1896, Le Stir; Simple désaccord suffisamment marqué dans les faits, Cons. d'Ét., 11 mai 1894, Compagnie genevoise du gaz; 4 juin 1897, Gaz de Foix, 2 espèce; 10 mai 1902, Compagnie française du gaz; 14 avr. 1905, Société toulousaine d'électricité; 9 mars 1906, Ville de Carpentras, désaccord sur les conditions de la substitution de l'électricité au gaz) (3).

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On peut se demander s'il était bien nécessaire de réserver à la juridiction administrative la connaissance des actes d'administration lorsqu'ils ne sont qu'un élément accessoire dans un litige dont le fond appartient certainement à un tribunal judiciaire. Ainsi, en matière de mines, les

(1) Cf. Laferrière, op. cit., t. II, p. 604 et s.

(2) S'il ne s'agit que de constater l'existence matérielle de l'acte et si la validité n'en est pas contestée, le tribunal judiciaire reste compétent; c'est ainsi que, dans la procedure de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le tribunal judiciaire est compétent pour constater l'existence de l'arrêté de cessibilité, mais non pour apprécier sa validité.

(3) L'interprétation d'un acte administratif obscur ne pourrait pas être demandée d'une façon principale en dehors de tout litige actuel. Quant à la validité d'un acte administratif, elle peut bien être attaquée d'une façon principale, mais alors, c'est par le recours pour excès de pouvoir, dans les délais et avec les formes de ce recours, et elle aboutit à l'annulation de l'acte; tandis que par la voie de la question préjudicielle, la validité de l'acte peut être attaquée pendant trente ans, par un recours contentieux ordinaire qui ne bénéficie pas de la dispense d'avocat, et cela n'aboutit qu'à une déclaration d'illégalité qui peut avoir son influence dans le procès, mais qui n'anéantit pas l'acte.

contestations relatives au paiement de la redevance tréfoncière sont de la compétence des tribunaux judiciaires (0. 30 août 1820), mais, s'il y a lieu, comme élément de décision, d'interpréter le décret de concession qui a créé la propriété de la mine, cette interprétation ne peut être donnée que par le Gouvernement (Cass., ch. réunies, 16 mai 1893, Rev. d'adm., août 1893). Ces questions préjudicielles créent certainement des complications, et il serait plus simple d'appliquer la règle accessorium sequitur principale (V. Michoud, Les conseils de préfecture, Revue politique et parlem., XII, p. 267), mais il convient de remarquer: 1° qu'il n'y a là qu'une application logique du principe de la séparation des pouvoirs, car si on n'a pas voulu que les tribunaux judiciaires connaissent des actes de l'Administration, ils ne doivent pas en connaître, même d'une façon accessoire; 2° que le contentieux de l'interprétation a servi plus. d'une fois à couvrir la retraite de la juridiction administrative, qui a renoncé à la compétence sur le fond de certaines affaires, pour ne conserver que l'interprétation des actes de puissance publique qui y seraient intervenus, que par conséquent il a été utile aux progrès du droit administratif(1).

Il y a lieu de distinguer l'interprétation du sens d'un acte obscur et l'appréciation de la validité de l'acte :

I. Interprétation du sens de l'acte. La question est de savoir par qui doit être donnée cette interprétation. Est-ce par l'autorité administrative qui a fait l'acte, par application de la maxime ejus est interpretari cujus est condere, est-ce au contraire par la juridiction administrative? La jurisprudence et la doctrine paraissent sur ce point assez indécises, et il est visible que le Conseil d'État cherche à s'attribuer toute la compétence:

1o Il est reçu que, pour tous les actes dont le conseil de préfecture a le contentieux, l'interprétation appartient au conseil de préfecture avec appel au Conseil d'Etat, par exemple, en matière de travaux publics; 2o pour les actes du chef de l'État et même pour les actes d'administration accomplis par les Chambres, le Conseil d'État s'attribue compétence en premier et en dernier ressort. Avant la loi du 24 mai 1872 l'interprétation était donnée par décret en Conseil d'État, le Conseil estime que c'est un des cas où la justice retenue a été transformée par ladite loi en justice déléguée (Cons. d'Ét., 7 déc. 1900, Fabrique de Wavrin); 3° pour tous les autres actes, soit des maires, soit des préfets, soit des ministres, on applique la règle ejus est interpretari et on s'adresse à l'autorité qui a fait l'acte; lorsque c'est une autorité inférieure, on peut remonter par des recours successifs jusqu'au ministre, et la décision du ministre peut

(1) V. par exemple la jurisprudence relative aux baux des droits de plaçage, abatage, mesurage (Cons. d'Ét., 13 mars 1891, Médioni; 17 avr. 1891, Commune de SaintJustin, S. 93. 3. 49 et la note).

être portée devant le Conseil d'État. Mais celui-ci, estimant que ces recours en interprétation devant les autorités administratives sont des recours hiérarchiques et non point des recours contentieux, leur applique la doctrine de l'arrêt Bansais (V. p. 451), et, dans un but de célérité, autorise le recours au Conseil d'État omisso medio contre la décision de l'autorité inférieure (Cons. d'Ét., 21 nov. 1873, Baudouin; 9 mars 1877, Brescon; 4 avr. 1884, Rivier). On peut même prévoir que, par une nouvelle évolution, le Conseil d'État se considérera comme directement saisi par le jugement qui constate la question préjudicielle; l'autorité qui a fait l'acte ne sera plus du tout consultée, l'interprétation sera devenue complètement l'affaire du juge, ce sera une simplification (Cons. d'Ét., 15 févr. 1895, Camplong; Cf. Laferrière, op. cit., t. II, p. 619).

II. Appréciation de la validité de l'acte. Cette appréciation est l'affaire des tribunaux administratifs, et non point celle des autorités administratives. Dans le cas où le conseil de préfecture ou bien le ministre ne sont pas compétents en vertu de textes, c'est le Conseil d'Etat en sa qualité de juge de droit commun (Arrêt 28 avr. 1882, Ville de Cannes).

Le recours en appréciation de validité des décisions exécutoires, que nous avons mentionné à la p. 435 à propos du recours pour excès de pouvoir, et qui, bien souvent, peut être intenté lorsque les délais sont passés pour se pourvoir en excès de pouvoir, est un cas d'application de ce contentieux.

b) Du contentieux de l'interprétation des faits et des actes de la vie civile avec compétence des tribunaux judiciaires. -Les juridictions administratives doivent, assez souvent, renvoyer les parties à se pourvoir devant les tribunaux civils pour faire trancher des questions réservées à la connaissance de ceux-ci. Par exemple: 1° s'il est soulevé une question de propriété ou d'existence de privilège (Cons. d'Ét., 28 nov. 1890, Tramways de Roubaix, S. 93. 3. 1 et la note) ou d'existence d'enclave (Confl., 26 mai 1894, Redor); 2° s'il est soulevé une question d'état, de capacité, de domicile, de nationalité, par exemple, dans les contentieux électoraux ou encore dans celui des engagements militaires; 3o s'il est soulevé une question de validité du consentement dans un contrat d'engagement militaire (D. 27 juin 1905, art. 14 et Circ. min. Guerre, 10 juin 1910, art. 43).

c) Du contentieux de l'interprétation des décisions contentieuses du juge administratif. Cette question s'est présentée à propos d'un arrêt du Conseil d'État du 12 janvier 1895 relatif à la durée de la garantie d'intérêts, fournie par l'État aux compagnies de chemin de fer. L'administration des travaux publics ne tenait pas compte de la chose jugée par cet arrêt sous le prétexte qu'il n'était pas clair; sur la demande des compagnies intéressées, le Conseil d'État s'est prêté à donner une interprétation de son premier arrêt par un second arrêt (Cons d'Et., 26 juill. 1912, Com

pagnie d'Orléans). - Ce qui justifie cette procédure c'est la difficulté qu'il y a pratiquement à opposer à l'administration l'autorité de la chose jugée. -Si l'on se fût trouvé en matière civile, pour nier la durée de la garantie d'intérêt l'administration eût été obligée de prendre le rôle de demandeur et on lui eût opposé l'exception de chose jugée, mais en matière administrative, en vertu du privilège d'action directe de l'administration, celle-ci n'a pas à prendre le rôle de demandeur, c'est à l'administré à le prendre par le contentieux de l'interprétation.

D. Le contentieux de la répression.·

Renvoi à ce que nous avons dit de la compétence répressive des conseils de préfecture en matière de contraventions de grande voirie (p. 726) (Cf. Laferrière, op. cit., t. II, p. 630 et s.).

Article III. Les conflits d'attribution et le Tribunal des conflits (1).

Le partage d'attributions entre les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires entraine fatalement des conflits de compétence.

Dans le cas qui nous occupe, la lutte de compétence est appelée conflit d'attribution parce que les deux autorités en présence sont de deux ordres différents, l'ordre exécutif et l'ordre judiciaire (2). Mais, d'ailleurs, il faut savoir que l'institution des conflits n'est pas bilatérale, elle est uniquement pour protéger la compétence de l'autorité administrative l'hypothèse pratique dans laquelle elle joue est celle où, un tribunal judiciaire étant saisi d'un litige que l'autorité administrative estime être de sa propre compétence, celle-ci cherche à dessaisir le tribunal judiciaire. L'autorité judiciaire n'a aucun moyen juridique à sa disposition pour faire dessaisir un tribunal administratif (3).

(1) Des Cilleuls, Des évocations dans l'ancien droit et des conflits d'attribution dans le droit intermédiaire (Bulletin des sciences économiques et sociales, 1898). Maurice Félix, L'histoire du conflit d'attribution, 1899. Bavoux, Des conflits,

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1828.

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(2) Dans le cas où la lutte de compétence s'établit entre deux autorités du même ordre, par exemple entre deux tribunaux judiciaires ou entre deux autorités administratives, il y a conflit de juridiction. Nous n'avons pas à nous occuper ici du conflit de juridiction.

(3) L'art. 26 de la loi du 24 mai 1872 donne bien aux ministres le droit d'élever le conflit devant la section du contentieux du Conseil d'Etat, et peut-être ce droit pourrait-il être exercé par le ministre de la Justice pour faire respecter la compétence des tribunaux judiciaires, mais il faut remarquer: 1° que le conflit ne pourrait être élevé que devant la section du contentieux du Conseil d'État et non point devant toutes les juridictions administratives; 2° que cette disposition a beaucoup plutôt pour objet de soustraire certaines décisions gouvernementales à l'appréciation du Conseil d'État (V. p. 77); 3° qu'enfin les parties sont toujours libres d'introduire une action devant les tribunaux judiciaires, alors mème qu'une instance serait pendante devant les tribunaux administratifs, ce qui renversera les rôles et forcera l'administration à élever le conflit en faveur des tribunaux administratifs.

A. Les conflits d'attribution sont réglés d'une facon juridictionnelle et cela donne naissance à un contentieux spécial. - Caractères généraux du contentieux des conflits. a) Caractère de justice déléguée. Pendant longtemps le contentieux des conflits a été aux mains du Gouvernement lui-même (L. 7-14 oct. 1790; L. 21 fruct. an III, art. 27). Lorsque le Conseil d'État fut réorganisé, on lui confia la mission d'examiner les conflits (R. 5 niv. an VIII; Arr. 13 brum. an X), mais la décision était toujours signée du chef de l'État, c'est-à-dire que c'était un cas de justice retenue. La Constitution du 4 novembre 1848, art. 89, fit une tentative pour organiser un tribunal des conflits indépendant; il fut organisé en effet (R. 28 oct. 1849; L. 4 févr. 1850) et il rendit quelques décisions; mais le régime de 1852, presque tout de suite, le supprima et revint au système ancien (D. O., 25 janv. 1852 sur le Conseil d'État, art. 1).

C'est la loi du 24 mai 1872 qui a définitivement organisé un Tribunal des conflits indépendant et qui a fait du contentieux des conflits une justice déléguée. En effet, le Tribunal des conflits a un président qui est le ministre de la Justice et se choisit lui-même un vice-président (art. 25, L. 24 mai 1872); les décisions du tribunal sont signées du président (ou du vice-président) (R. du 28 oct. 1849, art. 9); elles ne sont donc pas signées du chef de l'État, ce ne sont point des décrets en Tribunal des conflits. Cela suffit pour qu'on ne puisse pas dire que la justice est retenue, car il n'y a de justice retenue que celle dont les décisions sont sous la signature du chef de l'Etat (1).

b) Caractère constitutionnel. Le contentieux des conflits a un caractère gouvernemental, ou pour mieux dire constitutionnel, et le Tribunal des conflits est une juridiction constitutionnelle. En effet, il s'agit de régler les rapports de deux pouvoirs publics, ou, tout au moins, de deux autorités suprêmes d'un même pouvoir public, et tout ce qui est relatif aux rapports des pouvoirs publics est constitutionnel (2).

Il faut distinguer cependant entre le conflit positif et le conflit négatif il y a conflit positif, lorsqu'un tribunal judiciaire s'est saisi d'un litige revendiqué par l'autorité administrative; il y a conflit négatif lorsque les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs se refusent

(1) M. Laferrière ne se prononce pas expressément sur le caractère de justice déléguée du contentieux des conflits (V. op. cit., t. I, p. 21, 270, 274).

(2) M. Laferrière ne qualifie pas expressément de constitutionnel le contentieux des conflits, mais il le qualifie de gouvernemental (V. op. cit., t. I, p. 21). Il est très intéressant, à notre avis. de signaler le caractère constitutionnel de ce contentieux parce que ce serait un jalon posé dans la voie des juridictions constitutionnelles. Alors même que l'autorité judiciaire et l'autorité administrative seraient deux branches du pouvoir exécutif, ce qui est mon avis, leurs relations n'en seraient pas moins de nature constitutionnelle. La Chambre des députés et le Sénat sont deux branches du pouvoir législatif et leurs rapports sont d'ordre constitutionnel.

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