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» Le procureur de la République informera immédiatement le garde des Sceaux, ministre de la Justice, de l'accomplissement desdites formalités, et lui transmettra en même temps l'arrêté du préfet, ses propres observations et celles des parties, s'il y a lieu, avec toutes les pièces jointes. La date de l'envoi sera consignée sur un registre à ce destiné » (art. 14). Transmission immédiate par le ministre au secrétaire du Tribunal des conflits. « Les rapporteurs sont désignés par le ministre de la Justice, immédiatement après l'enregistrement des pièces au secrétariat du tribunal » (R. 1849, art. 6).

« Dans les cinq jours de l'arrivée, l'arrêté de conflit et les pièces sont communiqués au ministre dans les attributions duquel se trouve placé le service auquel se rapporte le conflit. La date de la communication est consignée sur un registre à ce destiné. Dans la quinzaine, le ministre doit fournir les observations et les documents qu'il juge convenables sur la question de compétence. Dans tous les cas, les pièces seront rétablies au Tribunal des conflits dans le délai précité » (R. 1849, art. 12). « Les avocats des parties peuvent être autorisés à prendre communication des pièces au secrétariat sans déplacement » (R., art. 13).

Dans les vingt jours qui suivent la rentrée des pièces, le rapporteur fait au secrétariat le dépôt de son rapport et des pièces (R., art. 14).

Le dossier est communiqué au commissaire du Gouvernement.

« Le rapport est lu en séance publique; immédiatement après le rapport, les avocats des parties peuvent présenter des observations orales. Le commissaire du Gouvernement est ensuite entendu dans ses conclusions» (R. 1849, art. 8).

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«Il sera statué sur le conflit dans le délai de deux mois à dater de la réception des pièces au ministère de la Justice. Si un mois après l'expiration de ce délai, le tribunal (primitivement saisi) n'a pas reçu notification de la décision, il pourra procéder au jugement de l'affaire (0.12 mars 1831, art. 7) (1).

§ 2.

Article I.

Séparation de la juridiction administrative

et de l'Administration active.

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Séparation des juges administratifs et des administrateurs. Il est bon que, pour le contentieux soulevé par les actes et les opérations de puissance publique, il y ait une juridiction administrative, nous en avons donné plus haut les raisons; mais il faut aussi que cette juridiction soit séparée de l'Administration active. Cela est nécessaire : 1o Dans l'intérêt de la justice, il ne faut pas qu'un même homme soit

(1) Mais, d'un autre côté, le Tribunal des conflits peut statuer après l'expiration des délais tant que le tribunal civil n'a pas repris l'examen de l'affaire (Conflits, 28 janv. 1899, Compagnie des bateaux à vapeur de la Guadeloupe).

juge et partie; or, un administrateur qui prononcerait comme juge sur les litiges provoqués par une décision administrative, serait forcément juge et partie, car cette décision serait son œuvre, ou celle d'un inférieur hiérarchique qu'il aurait la tentation de couvrir;

2o Dans l'intérêt de la méthode et des progrès du droit si le même homme est à la fois administrateur et juge, les décisions qu'il prendra en ces deux qualités auront une tendance à se confondre, les décisions purement administratives prendront couleur de jugements; or, cela est fâcheux, car les décisions administratives ne sont pas du tout des jugements, ce sont des déclarations de volonté en vue de l'exercice des droits de l'Administration par la procédure de l'action directe.

On peut dire que cette nécessité de la séparation de la juridiction et de l'Administration active est aujourd'hui comprise de tous les partisans d'une juridiction administrative (V. Laferrière, op. cit., t. I, p. 12), mais c'est le résultat d'une lente évolution historique qui s'est produite depuis la Révolution. L'idée des hommes de la Révolution était que la juridiction devait appartenir aux administrateurs eux-mêmes (Laferrière, op. cit., t. I, p. 13).

A. Application du principe de la séparation au Conseil d'État et aux conseils de préfecture. En tant que la juridiction administrative est confiée au Conseil d'État ou aux conseils de préfecture, on voit tout de suite que la séparation est réalisée; en effet, ces tribunaux ne sont point des autorités administratives prenant des décisions.

Ils participent, il est vrai, dans une certaine mesure, à l'Administration active, puisque ce sont, en même temps que des tribunaux, des conseils administratifs dont les autorités administratives prennent les avis. Le Conseil d'État peut avoir préparé à titre consultatif le projet d'un décret, et être appelé ensuite à titre contentieux à statuer sur les litiges soulevés par ce décret. Le conseil de préfecture peut aussi avoir donné des avis au préfet dans des matières qui deviennent par la suite contentieuses. Il y a là un léger inconvénient.

Mais, d'une part, dans ces assemblées, du moins au Conseil d'État, des précautions sont prises pour que les mêmes conseillers n'aient pas à statuer, au contentieux, sur les conséquences d'un acte sur lequel ils auraient émis un avis à titre administratif. D'autre part, autre chose est avoir donné son avis sur une décision à prendre, autre chose est avoir pris la décision soi-même; le conseiller qui ne signe pas ne peut jamais avoir le même amour-propre d'auteur que l'administrateur qui signe et prend la responsabilité de l'acte. Enfin, du moment que la juridiction est administrative, il faut bien que le personnel des juges appartienne d'une façon quelconque à l'Administration. Or, on ne saurait imaginer de lien plus souple que celui de l'administration consultative qui mêle à toute l'Administration sans jamais compromettre, qui procure la compétence professionnelle sans entraîner le parti pris; le léger inconvénient

que présente la confusion des attributions de juge et de conseiller administratif est donc compensé par un très réel avantage. Du moment qu'il y a des tribunaux administratifs, il est naturel qu'ils soient composés d'hommes compétents; or, qui pourrait être plus compétent que ces conseillers ordinaires des administrateurs qui, en vue des avis à donner, sont obligés d'étudier toutes les affaires?

A la condition que ces corps soient sérieusement constitués, que le personnel y ait des garanties d'indépendance, ce qui est déjà réalisé pourle Conseil d'État, ce qui se réalisera pour les conseils de préfecture, ce ne sont pas les fonctions de conseiller administratif qui nuiront aux fonctions de juge, ce sont au contraire les fonctions de juge qui fortifieront celles de conseiller et qui donneront aux avis plus de poids.

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B. Application du principe de la séparation aux autorités administratives. Question du ministre-juge. La conséquence rigoureuse du principe de la séparation de l'Administration active et de la juridiction est que les autorités administratives proprement dites ne sont pas des juges. Donc, ni les ministres, ni les préfets, ni les maires, ni aucune des assemblées délibérantes, conseils généraux, conseils municipaux, ne sauraient être des juges (1). Une exception doit être faite seulement pour le chef de l'État dans les cas de justice retenue (V. p. 956) (2).

Cette doctrine n'a jamais présenté de difficulté qu'en ce qui concerne les ministres; pendant longtemps, dans la plupart des décisions qu'ils rendaient, ils furent considérés comme étant des juges, non point des administrateurs. La juridiction ministérielle a été une institution régnante pendant presque tout le XIXe siècle et aujourd'hui, bien que condamnée par une jurisprudence du Conseil d'État qui date d'une vingtaine d'années (on peut citer, parmi les dernières décisions qui acceptaient l'idée du ministre-juge, un arrêt Vivarès, Cons. d'Ét., 28 mars 1885), bien que répudiée par la grande majorité de la doctrine, elle compte encore quelques partisans fidèles (M. Ducrocq, 7° édit.; M. Artur, articles dans la Revue de droit public, 1900, 1901, 1902 sur la séparation des pouvoirs et la séparation des fonctions). La donnée de la juridiction ministérielle consistait en ce que, dans tous les cas où la déci sion du ministre était susceptible d'un recours contentieux au Conseil d'État, on affirmait que cette décision était elle-même un premier jugement, et que le recours au Conseil d'État n'était qu'un recours en appel (3). C'est surtout dans les deux cas suivants qu'on voulait voir des jugements dans les décisions ministérielles :

(1) En ce qui concerne le préfet, V. Cons. d'Ét., 24 mars 1899, Commune de Mussysur-Seine; en ce qui concerne la commission départementale, V. Cons. d'Ét., 28 février 1902, Moureaud.

(2) Le Chef de l'État représente ici le pouvoir exécutif dans ce qu'il a de plus élevé en tant qu'il est la source historique du pouvoir juridictionnel.

(3) V. Cabantous, Répétit. de dr. adm., 4o éd., 1867.

1o Dans le cas de décisions relatives à une opération administrative : décision ministérielle liquidant une dette de l'État, arrêté de débet mettant un détenteur de deniers publics en demeure de restituer, etc.

Dans ces hypothèses, la décision ministérielle, qui est exécutoire comme tout acte d'administration. devient définitive si l'on n'a pas formé recours dans le délai, de même qu'un jugement devient définitif par l'expiration des délais d'appel. On tirait de là un argument, mais on oubliait que c'est la condition de tous les actes d'administration, les recours contre ces actes sont enfermés dans des délais très courts, parce que sans cela la marche de l'Administration serait entravée.

Dans le cas de l'arrêté de débet, cet arrêté est suivi d'une contrainte délivrée par le ministre des Finances, qui entraîne hypothèque judiciaire comme un jugement; on s'est encore beaucoup appuyé sur cet argument, il est bien mauvais cependant, d'abord parce que ce n'est pas l'arrêté de débet lui-même, où se trouve pourtant la véritable décision, qui entraîne l'hypothèque, mais la contrainte qui n'est qu'une voie d'exécution; ensuite, parce qu'il est naturel que le pouvoir exécutif ait le droit d'employer des voies d'exécution énergiques, n'est-ce point lui qui donne aux jugements eux-mêmes leur force exécutoire?

2o Dans le cas de décisions sur recours hiérarchique. Dans cette hypothèse, disait-on, le ministre statue bien à la façon d'un juge, puisqu'il statue sur un recours. Nous verrons plus bas ce que l'on peut répondre au sujet de cette hypothèse (p. suivante, en note) (1).

Quoi qu'il en soit, la donnée de la juridiction ministérielle fut pendant longtemps admise par le Conseil d'État dans toutes ses conséquences logiques. On distinguait des décisions ministérielles contradictoires et des décisions par défaut; contre les décisions par défaut, l'appel au Conseil d'État n'était pas possible, tant que la voie de l'opposition n'avait pas été employée devant le ministre lui-même (Cons. d'Ét., 26 mars 1824, Rey; 26 févr. 1823, Mouton; 22 août 1839, Giblain). On alla même jusqu'à admettre des recours en règlement de juges portés au Conseil d'État, lorsqu'aucun ministre ne voulait se saisir d'une affaire en première instance (Cons. d'Ét., 10 sept. 1817, Hasslawer; 25 févr. 1818, Héreau; 26 juill. 1837, Allard).

L'écueil contre lequel la juridiction ministérielle est venue se briser semble avoir été l'impossibilité où l'on s'est trouvé d'interpréter comme des jugements, absolument toutes les décisions ministérielles; les unes parce qu'on les déclara actes de pure administration discrétionnaire; les autres parce qu'elles étaient rendues dans des hypothèses où l'appel aurait dû être porté devant un conseil de préfecture ou même devant un tribunal civil et que les convenances administratives ou la séparation

(1) Cf. Laferrière, Traité de la juridiction administrative, t. I, p. 456, dont la réponse n'est pas bien topique.

des pouvoirs s'y opposaient. Il s'accumula tellement d'exceptions dans lesquelles on déclara que le ministre avait statué comme simple administrateur, que la règle, un beau jour, fut retournée. Une fois retournée, la jurisprudence consacra les conséquences suivantes de la donnée purement administrative:

a) Une décision ministérielle rendue par défaut n'est pas susceptible d'opposition et est immédiatement susceptible de recours (Cons. d'Ét., 24 janv. 1872, Heit; 20 juill. 1877, Mathos; 20 févr. 1880, Carrière); même si elle est rendue en matière disciplinaire, car les décisions disciplinaires elles-mêmes ne sont pas dés jugements, même si elles sont rendues par le ministre après avis d'un conseil disciplinaire (Cons. d'Ét., 19 avr. 1907, Hylias); ß) Une décision ministérielle peut être rapportée tant qu'elle n'a pas créé de droit acquis au profit d'un tiers, sans qu'on puisse opposer l'autorité de la chose jugée (Cons. d'Ét., 19 août 1867, Calvo; 12 août 1879, Esquino); y) Les décisions ministérielles, n'étant pas des jugements, ne sont pas soumises de plein droit à la règle d'après laquelle toute sentence doit être motivée (Cons. d'Ét., 30 avr. 1880, Harouel; 2 juill. 1880, Maillard; 21 juin 1895, Cames) (1).

(1) M. Laferrière est un de ceux qui ont le plus contribué à ruiner la juridiction ministérielle. Dans la première édition de son Traité de la juridiction administrative, il admettait encore que les ministres étaient juges dans trois cas de contentieux électoral celui des élections des membres des chambres de commerce (Arr. 3 niv. an XI): celui des élections au conseil supérieur de l'instruction publique et au conseil académique (D. 16 mars 1880); celui des élections au conseil supérieur des colonies (Cons. d'Ét., 24 avr. 1891, Raoulx); mais dans sa deuxième édition, t. I, p. 465, il retire cette concession et il nie que, même dans ces trois cas, les décisions ministérielles soient vraiment contentieuses; ce sont des décisions administratives que le ministre rend comme supérieur hiérarchique des bureaux électoraux, après lesquelles le débat est porté au Conseil d'État. La séparation entre l'Administration et la juridiction devient ainsi complète et c'est plus logique.

En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Il y a lieu de distinguer les hypothèses où le ministre prend une décision spontanée ou précédée tout au plus d'une sollicitation et celles où il prend une décision précédée d'une réclamation ou d'un recours. Dans le premier cas, sa décision n'a rien de commun avec un jugement, elle n'est que la manifestation de volonté d'une autorité ou d'une partie. Dans le second cas, elle présente certains éléments d'un jugement puisqu'elle intervient sur une réclamation et que la réclamation est le symptôme d'une contestation.

Ceci se produit 1° dans les hypothèses d'élections au conseil supérieur de l'instruction publique et au conseil académique ou d'élection au conseil supérieur des colonies, ou d'élections au conseil supérieur du travail (D. 14 mars 1903, art. 12 « les protestations sont instruites par le préfet et jugées par le ministre du Commerce ») (pour les élections aux chambres du commerce, la loi du 19 févr. 1908 a supprimé l'examen du ministre et attribué compétence au conseil de préfecture); 2o à propos des contestations relatives au domicile de secours et à l'admission des enfants assistés dont l'art. 40 de la loi du 27 juin 1904 dit qu'elles sont « jugées» par le ministre de l'Intérieur sauf recours au Conseil d'État; 3° dans les hypothèses où le recours hiérarchique est formé, car il n'est pas vrai de dire que l'action hiérarchique soit de même nature quand elle se produit spontanément et quand elle intervient sur recours dans le premier cas, il n'y a pas contestation et dans le second il y a contestation; 4° dans les hypothèses où une

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