la mort; par ces hommes chargés de crimes et poursuivis par les remords, auxquels on avoit pardonné, mais qui se sentoient si coupables, qu'ils ne pouvoient croire à la clémence nationale; et tout en écartant la mesure du décret d'accusation, parce que c'étoit ébranler les colonnes de l'état, il laissa entendre qu'elle pouvoit être prise, lorsqu'il étoit évident qu'elle seule pouvoit sauver la chose publique. Assurément il n'y avoit rien de problématique dans les intentions des triumvirs. On savoit qu'ils vouloient régénérer les conseils avec des listes de proscription : les papiers publics même annonçoient que des de guerre, avides de sang et de pillage, qui s'étoient réunis dans les faubourgs de Paris, faisoient l'appel nominal des représentans qui, dans le cas de résistance, devoient être égorgés. La conjuration étoit aussi évidente que celle de Catilina, et personne ne se sentit assez d'énergie pour sauver la chose publique. gens A cette guerre de dénonciations, de rapports et de messages, qui aigrissoit les esprits sans remédier au vice radical du gouvernement, succédèrent des alarmes d'un autre genre. On apprit que l'armée triomphante de l'Italie s'étoit prononcée à la fête de l'anniversaire du 14 juillet en faveur des chefs apparens du gouvernement francais; qu'on lui avoit dit: « La patrie que vous dé : »fendez ne peut courir des dangers réels les » mêmes hommes qui l'ont fait triompher de » l'Europe coalisée sont là : des montagnes nous » séparent de la France; vous les franchirez avec » la rapidité de l'aigle... Les royalistes, dès » l'instant qu'ils se montreront, auront vécu... » Jurons sur nos drapeaux une guerre impla» cable aux ennemis de la constitution de l'an 3 » et de la république ». C'est dans cet esprit que furent rédigées les adresses des diverses divisions de l'armée, que leurs commandans firent passer au pouvoir exé cutif: on distingua, à cause de sa virulence, celle du corps qui étoit sous les ordres du général Augereau, qui devoit lui-même, peu de tems après, venir à la tête de la garnison de Paris en consacrer les principes par la force des baïonnettes. Ces adresses eurent alors sur les événemens une si grande influence que nous avons cru devoir les placer dans les pièces justificatives. Nous présenterons néanmoins ici un extrait de celle qui vient d'être indiquée. «Des hommes couverts de crimes s'agitent et » complotent au milieu de Paris, quand nous » avons triomphé aux portes de Vienne... Trop » long-temps nous avons contenu notre indigna» tion. Nous comptions sur les lois, et les lois se » taisent... Le respect qu'on leur doit nous » fermoit la bouche, leur danger nous la fait ou» vrir... » » Les conspirateurs de Clichy tentent d'ôter à » la fois au gouvernement la considération dont » nos victoires l'ont investi, et tous les moyens » de nous faire subsister! Les insensés ! comme » si l'on pouvoit réduire à la famine cent mille. » hommes armés de baïonnettes!... En atten»dant, ils applanissent par la corruption et les » poignards la route du trône à son ridicule pré» tendant... Mais qu'ils tremblent; de l'Adige. » au Rhin et à la Seine, il n'y a qu'un pas : qu'ils » tremblent! leurs iniquités sont comptées, et le » prix en est au bout de nos baïonnettes ». De pareilles adresses n'étoient rien moins que constitutionnelles : il est contre l'essence de tout pacte social de changer en assemblée délibérante des corps qui ne savent que manier l'épée : mais l faut être juste; l'armée d'Italie étoit remplie d'agens du directoire, occupés sans cesse à calomnier le corps législatif. Le corps législatif venoit de statuer, à l'occasion de l'anniversaire de la journée du 10 août, que les citoyens armés qui avoient vaincu la royauté avoient bien mérité de la patrie; quand il apprit que d'autres citoyens armés, qui avoient vaincu les rois de l'Italie, l'accusoient du seul délit qui, dans ces temps malheureux, eût quelque poids, de celui de vouloir rétablir en France la royauté des Bourbons, il se plaignit au directoire, qui répondit à sa manière, c'est-àdire, en tergiversant. Il dit que le mot de délibérer n'avoit pas, dans la grammaire politique, un sens assez déterminé pour l'appliquer, dans un sens criminel, à l'épanchement des défenseurs de la patrie dans le sein des chefs du gouvernement; il promit cependant, puisque les adresses de l'armée d'Italie déplaisoient aux conseils, d'en arrêter la circulation publique. Quant à la circulation clandestine, elle n'en devint que plus active, et l'on devoit s'y attendre. Les triumvirs prirent ensuite occasion de ces adresses, pour ramener leurs plaintes éternelles sur le désordre des finances, sur les émigrés et sur les prêtres réfractaires; car ils ne voyoient les maux de la patrie que là: ils paroissoient loin de soupçonner que les vices de leur administration, leur civisme révolutionnaire, leur ambition petite et cruelle, y entroient pour quelque chose. «La cause de la démarche de nos frères d'armes, disoient-ils, est dans l'inquiétude générale... Elle est dans le défaut de revenus publics, qui laisse toutes les parties de l'administration dans la situation la plus déplorable... Elle est dans la persécution et les assassinats exercés sur les acquéreurs de domaines nationaux, sur les défenseurs de la patrie, et pour mieux dire, sur tous ceux qui ont osé se montrer amis de la république... Elle est dans l'insolence des émigrés et des prêtres réfractaires. qui, rappelés et favorisés ouvertement, débordent de toutes parts, soufflent le feu de la discorde, et inspirent le mépris des lois... Elle est dans cette foule de journaux dont l'armée est inondée comme l'intérieur; dans ces feuilles qui ne prêchent que le meurtre des soutiens de la liberté; qui avilissent toutes les institutions républicaines, qui rappellent sans pudeur la royauté, et toutes les institutions oppressives qui tourmentoient et humilioient également tous les hommes qui n'étoient pas titrés... Elle est enfin dans le désespoir où sont tous les vrais citoyens, de voir s'éloigner, au moment même de la conclusion, et après l'avoir achetée par tant de sang, une paix définitive, l'objet de toutes les espérances. >> Le directoire terminoit cette espèce de philippique, sans raison comme sans mesure, contre le corps législatif, en disant qu'il espéroit bien sauver la France de la dissolution où on l'entraînoit, éteindre les torches de la guerre civile, et sauver les personnes et les propriétés des dangers d'un nouveau bouleversement: on verra, dans le livre suivant comment il tint sa parole; comment, avec l'horrible loi de la mobilisation de la dette publique, il protégea les propriétés des citoyens ; et comment il sauva leurs personnes, en envoyant expirer de misère et de douleur l'élite des conseils |