Αν U retour de mon second voyage de l'Amérique, je me rendis à Montbard, où Buffon avoit désiré de me voir. J'y passai près de six mois; et ce temps, écoulé trop rapidement, est assurément l'époque de ma vie qui m'a laissé les souvenirs les plus précieux. C'est à mon séjour dans cette retraite, temple des sciences et du goût, que je dois le peu que je vaux. C'étoit l'hiver, et l'âpreté de la saison en écartoit les importuns. Mes jours s'y succédoient délicieusement, dans le travail et dans la société du grand homme; -société pleine de charmes, que n'altéra jamais la plus légère inégalité, et que depuis je n'ai retrouvée nulle part. Buffon n'étoit pas du nombre de ces gens de lettres qu'Erasme comparoit plaisamment aux tapisseries de Flandres à grands personnages, qui ont besoin, pour produire leur effet, de n'être apperçus que de loin. Sa conversation étoit aussi agréable qu'intéressante, et il y mêloit une gaîté franche, un ton de bonhomie qui mettoient tout le monde à l'aise. A ces qualités sociales, il joignoit les belles formes du corps; il étoit, comme Platon, de la stature la plus brillante et la plus robuste : de larges épaules annonçoient sa force; son front étoit élevé et majestueux, et il se faisoit remarquer par la noblesse de son maintien, et par la dignité de ses mouvemens (1). Mais il avoit de plus que la plupart des anciens, ce soin de soi-même, cette propreté élégante dans les vêtemens, qui marquent l'attention et la déférence pour les autres. Le gouvernement avoit nommé M. Tott inspecteur des échelles du Levant et de Barbarie, et avoit ordonné l'armement d'une frégate du port de Toulon pour l'y conduire. Je reçus l'ordre de m'embarquer sur ce bâtiment de guerre, et d'en suivre la destina (1) Erat et speciosissimo et robustissimo corporis habitu. Unde et à latis humeris, amplâ fronte et egregio totius corporis habitu, orationis vi et ubertate, Plato nuncupatus est, Platonis vita, aut. Marsilio Ficino. tion. tion. Mais la mienne fut changée depuis, et je quittai l'expédition à Alexandrie, pour voyager en Egypte. Je partis de Montbard, après avoir reçu de Buffon des voeux et des embrassemens que je regardai comme la bénédiction du génie. La poste me transporta rapidement à Marseille, où je ne restai que quelques instans. Un particulier avoit imaginé de creuser une colline des environs de la Ciotat, jusqu'à la mer dont les eaux s'avancent sous les terres par de grandes cavités, en quelques endroits de la côte. Il prétendoit que ces cavités souterraines renfermoient une immense quantité de coraux, dont l'exploitation facile devoit ajouter considérablement à cette branche de commerce, et enrichir son auteur. Des mémoires avoient été adressés à Versailles, afin d'obtenir des encouragemens et des secours. Le ministre avoit consulté Buffon, qui me remit les mémoires pour que je prisse les éclaircissemens sur les lieux mêmes. A mon arrivée à la Ciotat, il n'étoit déjà plus question de cette entreprise; les travaux commencés étoient abandonnés et l'on n'y songeoit plus. Tome I. B L'on me raconta à la Ciotat une singulière cérémonie qui s'y pratique, chaque année; dans les premiers jours de nivôse. Une troupe nombreuse d'hommes, armés de sabres et de pistolets, se met à la recherche d'un très-petit oiseau que les anciens appeloient troglodyte, dénomination que Guenau de Montbeillard lui a conservée dans l'histoire naturelle des oiseaux (1). Lorsqu'on l'a trouvé, ce qui n'est pas difficile, parce qu'on a soin d'en avoir un tout prêt on le suspend au milieu d'une perche que deux hommes portent sur leurs épaules, comme un pesant fardeau. Ce plaisant cortége parcourt ainsi la ville; l'on pese l'oiseau sur une forte balance, et l'on va ensuite se mettre à table et se divertir. Le nom du troglodyte n'y est pas moins bizarre que l'espèce de fête à laquelle il donne lieu. On l'y appelle putois, ou père de la bécasse à cause de la ressemblance de son plumage avec celui de la bécasse, que l'on y suppose être engendrée par le putois, grand destructeur d'oiseaux, mais qui n'en produit aucun. En revenant à Marseille, je m'arrêtai à Cassis, où il y a deux manufactures dans (1) Motacilla troglodytes. L. Syst. nat. Edit. 13. lesquelles on polit et on travaille le corail, dont la plus grande partie passoit sur les côtes d'Afrique, pour y être échangée contre des hommes. Les vignes qui entourent cette petite ville, fournissent du vin blanc qui a de la réputation. L'on savoit à Marseille que la frégate que l'on disposoit à Toulon, ne pouvoit être armée complétement que dans quelque temps. Je me proposai de faire une excursion dans le Languedoc, et, accompagné du secrétaire de M. Tott, je me rendis par terre à Cette dont Vernet a peint une superbe vue. Dans quelques promenades aux environs, je receuillis des matières volcaniques, et le long des côtes, quelques coquillages, et des productions marines. Je fus étonné de trouver sur le bord même de la mer, et dans des algues humides, une espèce singulière de scarabée, rare vers le nord de la France, et que l'on a décoré du nom de phalangiste (1), parce qu'on a prétendu que les longues pointes de son corselet, avoient de la ressemblance avec les piques dont étoient armés les soldats de la phalange macédonienne. (1) Geoffroi, Hist. abrégée des Insectes des environs de Paris, tom. I, pag. 72, et pl. 5, fig. 3. |