peignit comme une grande parleuse elle ne tarissoit pas en me racontant de petites anecdotes qui l'avoient déterminée à prier l'Anglois de chercher un autre logement, et elle me débita, à ce sujet, un chapitre pour le moins aussi long que celui du voyageur. Les églises de Palerme, comme presque toutes celles de l'Italie, sont décorées avec magnificence. Quelques-unes, celle des jésuites, par exemple, sont tellement surchargées d'ornemens et de richesses, que le bon goût en souffre. Mais, outre les belles peintures dont l'intérieur de la plupart de ces édifices est orné, l'on admire particulièrement le superbe autel de l'église de SainteCatherine, construit du marbre le plus beau, et qui, par un accident singulier, forme, autour de l'autel, une large bordure en festons; dans la cathédrale, les quatre-vingts colonnes de granit oriental qui la soutiennent, des tombeaux de porphire et un immense tabernacle de lapis-lazuli. Un prêtre, après avoir tiré successivement et avec beaucoup de mystère, quatre à cinq rideaux, me montra un grand crucifix en bois qu'il m'assuroit sérieusement avoir été commencé par S. Nicodême, lequel, s'étant endormi au milieu de sa besogne, fut très-surpris de la trouver finie à son réveil. Ce n'étoit, en vérité, pas la peine d'opérer un miracle, pour achever un aussi mauvais ouvrage. Si les églises sont à Palerme d'une grande beauté, le temple qu'on y a préparé à la nature et aux sciences, est dans un état de délabrement complet, ce qui prouve que l'on y a plus de dévotion que de curiosité, plus de piété que de goût pour l'instruction. Le muséum est un assemblage confus d'objets assez peu intéressans. La collection d'animaux est des plus misérables, et elle ne consiste qu'en quelques monstres conservés dans l'esprit-de-vin, et en des peaux rongées par les mites, et tombant en lambeaux. L'abbé qui étoit le démonstrateur de ce cabinet, me dit que les jésuites en avoient enJevé ou vendu les morceaux les plus précieux au moment de leur expulsion des états du roi de Naples. Il y reste cependant quelques pétrifications curieuses, et de beaux morceaux d'antiquité, dont le savant Hamilton, ambassadeur d'Angleterre à Naples, apristles dessins et les descriptions, suivant ce que m'en a raconté le démons 19 trateur. L'on y voit aussi des injections anatomiques d'un homme et d'une femme, parfaitement bien exécutées par un médecin sicilien qui vivoit encore. Fazello qui a écrit une histoire de la Sicile (1), et d'autres auteurs, ont parlé des géans qui ont dû habiter cette île, et de leurs squelettes que l'on découvre dans les fouilles qu'on y pratique en certains endroits. Il n'y a rien dans le muséum de Palerme qui ait rapport à des hommes d'une stature extraordinaire ; je désirois d'entrer à ce sujet en conversation avec le démonstrateur; mais il fut impossible de nous entendre, à cause de l'extrême différence de notre manière de prononcer la langue latine , que j'étois obligé d'employer, faute de connoître assez bien l'italienne. Dans le nombre de gens instruits que j'ai eu occasion de consulter, je n'ai trouvé personne qui eût la plus légère idée d'avoir jamais vu des restes de géans, ou qui eût entendu dire qu'il en existât dans la Sicile entière. Les campagnes des environs sont agréables. La Bagaria, en particulier, canton à trois (1) Thomæ Fazelli Decades, de rebus siculis. Catania, 1749. lieues de la ville, est remarquable par la beauté de ses plaines, la variété de sa culture, la fertilité de son terroir, et par les nombreuses maisons de plaisance dont elle est ornée. Le chemin qui y conduit est bordé d'aloès et de raquettes. C'est-là que l'on voit un monument honteux qu'un prince Palagoni a élevé au mauvais goût; il est si révoltant qu'il ne mérite pas même le nom de folie. Que l'on s'imagine l'extérieur et les avenues d'un château surchargé d'un nombre prodigieux de statues en pierre, grossièrement taillées, entassées sans ordre, et représentant des monstres d'une composition si rebutanté qu'ils cessent d'être ridicules. L'intérieur est du même genre: les murs des appartemens sout plaqués de verres peints en faux marbre; des morceaux de glace qui réfléchissent les images en mille sens divers, forment les plafonds. L'on y trouve des grands crucifix, des pyramides faites avec des tasses, des soucoupes, des cafetières, et avec une autre espèce de vase qui sembloit ne devoir jamais être employée en architecture (1). Toutes ces choses sont arrangées de manière, qu'elles forment l'assemblage (1) Des pots-de-chambre. le le plus choquant. Dans la chapelle, par exemple, il y a une troupe de jolis anges, absolument nus, et de la plus belle carnation; au milieu d'eux est une grande figure en bois, d'un homme mort et à moitié rongé par les vers. Elle est malheureusement assez bien faite pour, qu'au premier coup-d'œil, on la juge naturelle. L'on m'a raconté qué de plusieurs femmes qui avoient eu la curio sité de parcourir ce séjour de la plus gro tesque bizarrerie, les unes s'étoient évanouies, et quelques autres qui étoient enceintes avoient éprouvé les accidens les plus fâcheux, en portant les yeux sur cette figure vraiment horrible, après les avoir d'abord fixés avec complaisance sur les belles formes et le brillant coloris des anges.' Le propriétaire de ce château a été interdit, parce qu'il se ruinoit par l'exécution de ses 'idées d'une absurdité inconcevable; car son palais de la ville est, dit-on, meublé de la même manière que sa campagne. Le château du prince de Valguarnera est à côté de celui du prince Palagoni, mais ne lui ressemble pas. Sa construction est d'un bon goût, comme son ameublement ; sa situation et la vue sont charmantes; un Tome I. D |