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Est sapientis judicis, meminisse se hominem, cogitare, tantùm sibi à populo romano esse permissum, quantùm commissum et creditum sit, et non solùm sibi potestatem datam, verùm etiam fidem habitam esse meminisse; posse, quem oderit absolvere, quem non oderit condemnare; et semper non quid ipse velit, sed quid lex et religio cogat, cogitare: animadvertere, quâ lege reus citetur, de quo reo cognoscat, quæ res in questione versetur.

CICERO, orat. pro Cluentio.

DANS l'origine, nos pères, pasteurs ou soldats, plutôt que laboureurs et citoyens, avaient peu d'intérêts à régler. «Tout le monde, dit le président de Montesquieu, était bon pour être magistrat, chez un peuple qui suivait la simplicité de la nature, et à qui son ignorance et sa grossièreté fournissaient des moyens aussi faciles qu'injustes de terminer les différends, comme le sont le sort, les épreuves par l'eau, par le feu, les combats singuliers, etc. »>

Le sol gaulois ne présentait pas alors le riant aspect de villages ou hameaux dont les habitants forment une communauté locale, ayant son administration particulière. Ses campagnes, couvertes de bruyères et de forêts impénétrables, n'étaient guère peuplées que d'esclaves et de quelques colons employés à défricher une partie de ces immenses possessions, appartenant au fisc et à de riches propriétaires. Les villes, où résidaient la noblesse et la bourgeoisie, étaient le siége d'une magistrature élective, et jouissaient seules des avantages du régime municipal. Établie par les Romains, cette institution rendit les cités florissantes; mais elle fut dénaturée et pres

que entièrement anéantie par le despotisme impérial.

Devenus maîtres des Gaules, les rois francs succédèrent aux Romains; ils en prirent la police. Et, sous la première et la seconde race, les libertés municipales reprirent leur ancienne vigueur. Plusieurs monuments attestent même que les magistrats des cités, qualifiés de rachinbourgs, échevins ou prud'hommes, et nommés par leurs concitoyens, remplissaient tout à la fois des fonctions administratives et judiciaires (1).

Investis, par la conquête, des grandes propriétés qui appartenaient au fisc dans les campagnes, les rois francs distribuèrent à leurs capitaines une partie de ces dépouilles, et, à l'exemple des empereurs, formèrent ainsi ces bénéfices militaires qui, de personnels et amovibles qu'ils étaient, furent, quelques siècles après, érigés en fiefs héréditaires. La justice territoriale fut confiée à ces bénéficiers, sous l'autorité des ducs et des comtes placés à la tête des provinces, fonctionnaires prééminents que le prince faisait aussi surveiller par des commissaires ou missi dominici.

Telle fut l'origine des justices seigneuriales qui, dans le principe, étaient moins un droit qu'une charge

(1) « Que nul n'ait la témérité de prononcer sur les causes, si ce n'est celui » qui, d'après l'accord du peuple, a été établi juge par le duc, afin de rendre » des jugements. » Tels sont les termes d'un capitulaire donné par Dagobert en l'année 630.-Charlemagne, dans un capitulaire de 809, ordonne aussi, art. 22, que « des juges, etc., échevins, bons, véridiques et doux, soient choisis par » le comte et le peuple. »-« Partout, dit encore Louis-le-Débonnaire, dans un >> capitulaire de 829, où nos envoyés trouveront de mauvais échevins, qu'ils >> les chassent, et qu'avec le consentement du peuple, ils en mettent de bons » à la place. » — En 873 Charles-le-Chauve publie encore une ordonnance semblable. Enfin un autre capitulaire défend de distraire les habitants de la cité, de leurs juges naturels, par le motif que chacun doit être jugé par ceux qu'il a choisis. Peregrina judicia generali sanctione prohibemus,quia indignum est ut ab externis judicetur, qui provinciales ET A SE ELECTOS debet habere judices.

personnelle. Quelques seigneurs montraient de la répugnance à remplir le devoir qui leur était imposé; il fallut employer des mesures coërcitives pour les y contraindre le souverain enjoignait aux comtes et à ses missi dominici de priver le récalcitrant des fruits de son bénéfice, ou d'aller tenir garnison dans le manoir du vassal, et d'y vivre à ses frais, tant qu'il n'aurait pas rendu la justice (1).

Indépendamment de ces juges militaires et des magistrats municipaux, les ducs et les comtes avaient aussi sous leur autorité des centeniers, juges subalternes, qui, selon Ducange, statuaient, comme nos juges de paix, sur de petits différends.

Ce mode d'administration de la justice se maintint, avec assez de régularité, jusqu'à l'époque où les ducs et les comtes, étant parvenus à transformer leurs dignités en fiefs héréditaires, et les bénéficiers subalternes ayant suivi le même exemple, l'anarchie féodale bouleversa tout le germe des libertés municipales fut étouffé par l'arbitraire, dans la plupart des villes,

Mais l'affranchissement des serfs, et le rétablissement des communes, que provoqua Louis-le-Gros, au douzième siècle, et qui fut continué par ses successeurs, rendit au pouvoir royal l'autorité qu'avait usurpée la puissance féodale, et changea totalement l'existence des peuples. Au gouvernement militaire succéda le régime civil. L'encouragement de la culture, du commerce et de l'industrie, en augmentant la richesse des particuliers et l'importance des affaires, nécessita l'accroissement successif de la législation; le droit ca

(1) Capitul. de l'an 793, art. 10, et de l'an 879, art. 14.

nonique civilisa le droit écrit, adouçit la rigueur de plusieurs de ses dispositions ; des coutumes s'établirent dans les différentes provinces;... et bientôt la magistrature ne fut plus que le partage des gens éclairés.

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Alors fut établi un grand corps de judicature, sous le nom de parlement. « Supérieurs à toutes les classes » de la société par la dignité de leurs fonctions, par le >> rang qu'ils occupaient, et par le respect dont ils » étaient environnés, les personnages qui composaient >> cette illustre compagnie formaient une espèce de mi» lieu entre le prince et la nation. Auprès du prince, » ils étaient les organes du peuple; et, faisant planer » son autorité sur les grands et sur les petits, ils com>> primaient l'arrogance des uns, la jalousie des autres, >> et les contenaient tous dans les bornes de la subordi» nation et du devoir..... Enfin cette cour était l'ancre » qui fixait le vaisseau de l'état, et l'empêchait de se >> briser contre les deux grands écueils des gouverne» ments, l'arbitraire et l'anarchie. » Tel est le langage d'un jurisconsulte dont s'honora le barreau, et que ses talents élevèrent au faîte de la magistrature (1).

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Les officiers des bailliages et des prevôtés tenaient le second rang dans la hiérarchie judiciaire, et formaient, avec les parlements et le grand conseil, la juridiction royale. Mais indépendamment des justices seigneuriales et municipales, également soumises à l'autorité des parlements, et dont la plupart ne connaissaient que des délits de police, il existait une foule de juridictions extraordinaires. La multiplicité des évocations au conseil prêtait aussi à de monstrueux abus.—Tel était l'état

(1) Henrion de Pansey, De l'autorité judiciaire en France, pag. 69.

de la justice, lorsque la convocation des états-généraux fit éclater la révolution de 1789.

:

Le défaut d'unité dans l'administration exigeait une réforme; l'ancienne organisation judiciaire ne pouvait subsister. Mais après avoir renversé, il faut mettre quelque chose à la place des ruines et l'assemblée nationale, qui présentait la réunion de tant d'hommes remarquables, cette assemblée qui se disait constituante, détruisit,... sans rien édifier sur des fondements solides! Quelle idée plus étroite, quelle résolution plus mesquine, que celle d'établir juges d'appel, les uns des autres, des tribunaux formés dans chaque chef-lieu de district, de substituer une magistrature aussi subalterne à ces illustres compagnies, où l'on avait vu briller les de Thou, les Molé, les Harlai, les Séguier, les Lamoignon, les Talon, les Joly de Fleury, etc., et d'Aguesseau, ce célèbre chancelier à qui la France est redevable de tant de monuments qui sont encore la base de notre législation ! Pour nous guérir de l'illusion de ces utopies novatrices, il a fallu le génie d'un homme extraordinaire, dont l'ambition nous a été fatale,... mais à qui l'on ne saurait refuser, parmi d'autres titres de gloire, celui d'avoir rétabli la hiérarchie judiciaire, et rendu à la magistrature le caractère de stabilité et de dignité dont elle doit être revêtue.

Cependant, du milieu des ruines que l'esprit d'innovation de l'assemblée constituante avait su amonceler, s'élevèrent deux institutions précieuses, qui seules devaient survivre aux vicissitudes des révolutions, l'établissement d'une magistrature suprême, destinée à faire respecter la loi, à régler la jurisprudence; et celui d'une

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