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server? Et n'est-ce pas une chose bien à propos que de proscrire, dans le civil comme dans le criminel, l'art de bien discerner et de bien juger les faits, pour continuer à errer dans le labyrinthe obscur et inextricable que nous présentent les questions de droit?

M. Chabroud a admis également les jurés dans les deux branches de judicature; et l'assemblée a remis à la séance suivante le jugement de cette grande question.

Séance du jeudi matin 29 avril.

Nous ne nous arrêterons point à décrire la scène orageuse qui a marqué si douloureusement pour les patriotes, les commencemens de cette séance. Ces explosions d'un amour-propre irrité de ne pouvoir donner la loi à l'assemblée nationale; cette recherche industrieuse de petits incidens, pour se dédommager, dans une séance, du dessous qu'on croit avoir eu dans une autre; ces tentatives, si multipliées, pour faire consumer sur des riens un temps que l'assemblée doit aux plus grands intérêts de l'empire, sont des objets qu'il n'entre pas dans notre plan de traiter. Nous n'avons pas entrepris le journal

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minutieux de chaque séance; mais l'histoire de l'assemblée, et l'examen critique de ses opérations et de ses travaux.

Nous ne laisserons pourtant pas échapper l'occasion de rendre à l'impartialité de M. de Bonnay, qui tenoit le timon de l'assemblée pendant cet orage, la justice qui lui est due. Jamais peut-être un président ne fit briller dans une circonstance aussi difficile, plus de sagesse, de calme et de dignité.

La présidence, que M. de Virieu avoit cru devoir résigner, a été déférée, par une très-grande majorité de suffrages, à un respectable ecclésiastique du second ordre. Cet hommage rendu au caractère personnel de M. l'abbé Gouttes, à la pureté dé ses mœurs et de ses principes, à ses vertus publiques, qui ne se sont jamais démenties; ce digne apôtre d'une religion qui place l'humilité au premier rang entre les vertus, l'a fait réfléchir sur la religion même. « Ce n'est pas >> mon mérite », a-t-il dit avec une émotion que tous ceux qui l'écoutoient ont partagée ; » ce >> n'est pas mon mérite qui m'a valu vos suffra>> ges. C'est le curé que vous avez élevé à la >> présidence. Fidèles à vos principes, vous avez >>* voulu honorer en lui la religion de vos pères». Appelé, par l'ordre du jour, à reprendre l'in

téressante discussion de l'organisation judiciaire, l'assemblée a vu encore quelque temps son impatience trompée par l'obstination du marquis de Foucault et de quelques autres membres, qui, contre tout principe, contre toute règle, et contre les ordres réitérés de l'assemblée, disputoient la parole à M. de Fermont, qui étoit le premier à parler sur cette question. Enfin le calme a succédé au trouble, et la discussion a été reprise sur ce qui concerne l'établissement des jurés.

M. de Fermont, en se déclarant contre cette institution en matière civile, a, selon la coutume, plus affirmé que prouvé. - C'est en vain, disoit-il, qu'on prétend induire de la possibilité d'établir des jurés au criminel, la possibilité de les établir au civil; cette institution est impraticable, inutile; elle n'est d'aucune influence sur la liberté. En multipliant l'inquiétude des plaideurs, elle fera durer les procès et multipliera les frais. Il n'est pas de partie de l'Europe où la procédure soit plus longue et plus dispendieuse qu'en Angleterre. Des juges civils, élus par le peuple et pour un temps limité, ne sont autre chose que des jurés. - Quand nos pères avoient des jurés en toute matière, leurs mœurs étoient simples; la marine, le commerce et les rapports avec les étrangers n'existoient pas. Nous sommes loin de cet ancien état, et nous ne de-.. sirons pas d'y retourner.

M. Garat le jeune a succédé, dans la tribune, à M. de Fermont. Il venoit parler en faveur de cette même institution que M. de Fermont avoit attaquée. Des assertions aussi tranchées exigeoient des réponses claires, distinctes et précises. C'est ainsi qu'on débat les questions partout où la délibération est plutôt consacrée à éclaircir les matières qu'à faire briller l'éloquence des orateurs. C'est ainsi qu'une assemblée s'instruit, et que la vérité se fait jour. Mais M. Garat avoit un discours écrit, une dissertation savante, philosophique, préparée à loisir dans son cabinet, et où malheureusement les objections de M. de Fermont ne se sont pas présentées : des tournures agréables, un choix heureux d'expressions et d'exemples, un industrieux balancement d'avantages et d'inconvéniens auxquels personne n'avoit encore pensé, quelques traits saillans... voilà tout ce qui nous a frappés dans ce discours, qui nous eût paru mieux placé dans une académie qu'à l'assemblée nationale. Si M. Garat avoit eu le courage de sacrifier les applaudissemens que lui a valus ce discours, à l'instruction de l'assemblée et à l'éclaircissement d'une question importante, personne n'eût été mieux

que lui en état de répondre avec solidité à des objections qui n'en avoient aucune.

Favorable en plusieurs points à l'établissement des jurés au civil, M. Garat a préféré de renvoyer cette institution à un temps où les loix, disoit-il, fussent plus claires; comme s'il étoit nécessaire que les loix soient claires pour juger d'un fait matériel, à l'égard duquel deux parties different dans leurs assertions! Des propos injurieux ont-ils été tenus? Un soufflet a-t-il été donné ? Un mur at-il été bâti sur le terrain d'autrui? Un testateur a-t-il été contraint à faire un testament? A quoi peuvent monter les dommages que fait souffrir à l'une des parties le refus de l'autre de remplir ses engagemens ? Voilà des questions de fait. Quelqu'obscures que soient les loix, il n'y a besoin que de bon sens, de droiture pour les décider. Mais aussi voyez combien, si vous les laissez entre les mains des juges, vous donnez de prise à l'arbitraire et aux préventions.

En attendant un nouveau code civil, M. Garat proposoit une forme de jugemens semblable à celle des Romains. Il soumettoit la question de fait à des jurés tirés momentanément d'entre les gens de loi, et la question de droit à trois juges établis dans chaque chef-lieu, qui présideroient tour-à-tour les tribunaux permanens. C'étoit ad

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