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(Samedi 15 novembre 1817.)

(No. 341.)

Sur les disputes de l'église de Genève.

La discorde est au camp d'Agramant, et la métropole du calvinisme est en proie à des divisions qui portent sur le fond même de la doctrine, et sur ce qu'il y a de plus important dans la religion. Ce n'est pas seulement M. Empaytaz qui accuse les ministres de prévarication sur la divinité du Sauveur. Ses Considérations (1) ont été suivies d'autres écrits, dirigés dans le même sens, Les reproches pleuvent sur la Vénérable compagnie. Des pasteurs et des laïcs la harcèlent à l'envi, et se plaignent qu'elle s'est écartée de la route que lui a tracée Calvin, et qu'elle a totalement abandonné l'enseignement de ce réformateur. Elle a mis de côté, dit-on, la rédemption, l'incarnation, le péché originel, et elle prêche une morale contraire à l'Evangile. Nous avons déjà fait mention de ces accusations, et nous engageons les lecteurs à revoir nos nos, 284 et 295, et surtout le n°. 328, où nous avons raconté les commencemens de cette dispute. La Vénérable compagnie a cru arrêter le mal par son acte du 3 mai, par lequel on s'engage à ne pas la troubler dans les opinions qu'elle professe. Trois pasteurs ont refusé de souscrire cette promesse. M. Mallan, qui avoit déjà eu, l'hiver précédent, le tort de rappeler, dans un de ses sermons, doctrine chrétienne sur le péché originel, a été interdit de la chaire. Des lettres de M. A. T. D., de Nîmes, et de M. Majanel, de Montauban, ont réclamé contre cette conduite, et déplorent la défection de l'église de Genève.

la

(1) Considérations sur la Divinité de Jésus-Christ, adressées aux étudians en théologie de l'église de Genève; par M. Empaytaz. Seconde édition. Brochure in-8°.; prix, 1 fr. 50 c. et t fr. 80 c. franc de port. Au bureau du Journal.

Tome XIV. L'Ami de la Religion et du Rói. B

Des Anglois, qui ont passé l'été dans le canton de Genève, se sont joints à ces calvinistes zélés. Parmi eux on a remarqué surtout M. Drummond, qui a même adressé à la compagnie les reproches les plus vifs. Il paroît que c'est lui qui a fait imprimer et vendre, à bon compte, des ouvrages, la plupart traduits de l'anglois, en faveur de la divinité de Jésus-Christ, comme Emmanuel, ou Vues scripturaires sur Jésus-Christ; Courte Défense de la doctrine de l'Ecriture; Essai sur la justification, etc. D'autres écrits représentent les pasteurs comme favorisant ou même adoptant assez ouvertement le socinianisme; et les esprits se sont partagés sur ces querelles, qui n'intéressent pas seulement une église particulière, mais toutes les communions chrétiennes.

A

Un de ceux qui a particulièrement tenu la plume dans cette controverse, est M. Grenus, avocat. On a de lui des Fragmens de l'Histoire ecclésiastique de Genève au dixneuvième siècle, une Suite aux Fragmens, et des Ordonnances ecclésiastiques. La première de ces brochures, qui sont de cette année, se compose de trois lettres. L'auteur, áprès y avoir reproduit quelques-uns des moyens employés par M. Empaytaz, attaque la promesse du 3 mai, et se plaint que par-là l'église de Genève fait schisme avec le reste de la réforme. Ce qui met le comble à l'absurdité de cette promesse, dit-il, c'est que l'on ne veut pas que le prédicateur moderne combatte, dans des discours publics, l'opinion de l'un des pasteurs sur ces matières, et voilà que les membres de l'église qui ont attaqué l'infaillibilité du Pape, veulent que l'on croie à celle de leurs opinions; en sorte que si deux pasteurs professent des systémés contraires, que l'un parle de Jésus-Christ dans le sens d'Arius et du Catéchisme moderne, et que l'autre s'explique suivant les confessions de foi admises, il faudra que les aspirans au ministère respectent également ces deux doctrines diametralement opposées, et gardent la neutralité sur une matière și importante. Cette promesse est d'ailleurs inexécutable; car comment

connoftre les discours de tous les pasteurs? M. Grenus ajoute qu'une telle promesse détournera les aspirans au ministère protestant de venir étudier à Genève, qu'elle mécontentera les églises réformées qui se fournissaient de pasteurs à l'académie de Genève, qu'elle élevera un mur de séparation entre Genève et le reste de la réforme. Il croit même que les gouvernemens ont droit d'intervenir dans cette affaire, et qu'ils ne verront pas de sang-froid que l'on sape par le fondement, dans des actes publics, le dogme de la Trinité, qui a été proclamé dans la déclaration dite de la sainte alliance. L'auteur sollicite surtout le gouvernement génevois d'arrêter un scandale trop éclatant, et de forcer les ministres à révoquer un acte intolérable.

A cet écrit de M. Grenus, on en opposa un autre, et il parut une première Lettre à un ami sur l'état actuel de l'église de Genève, et sur quelques-unes des accusations intentées contre ses pasteurs. L'auteur de cette Lettre, qui ne s'est pas nommé, affectoit du mépris pour ces disputes, qu'il regardoit comme l'effet de l'enthousiasme, et se moquoit de M. Grenus comme d'un homme ardent et exagéré. Il lui reprochoit des mensonges, qui ne nous ont pas paru très-bien constatés. Par exemple, M. Grenus se plaignoit que, dans l'Abrégé du Catéchisme, on se bornât à dire que nous devons étre pénétrés pour Jésus-Christ de respect; et l'auteur de la Lettre, en rapportant les restes de la réponse, ne prouve nullement la fausseté de l'accusation; car cette réponse ne renferme rien que les Ariens n'avouassent, et on se garde bien d'y énoncer directement le dogme de la divinité de JésusChrist. On trouve mauvais également que M. Grenus n'ait pas rapporté le préambule du réglement du 3 mai; or, je ne vois pas trop en quoi ce préambule justifie la compagnie. Le voici: La compagnie des pasteurs de l'église de Genève, pénétrée d'un esprit d'humilité, de paix et de charité chrétienne, et convaincue que les eirconstances où se trouve l'église confiée à ses soins

exigent de sa part des mesures de sagesse et de prudence, arrete, sans prétendre porter aucan jugement sur le fond des questions suivantes, et sans gêner, en aucune manière, la liberté des opinions, de faire prendre, soit aux proposans qui demanderont d'etre consacrés au saint ministere, soit aux ministres qui aspireront à exercer dans l'église de Genève les fonctions pastorales, l'engagement dont la teneur suit..... Ainsi la compagnie ne prétend porter aucun jugement sur des questions qu'elle défend pourtant de traiter! Elle ne veut point gêner la liberté des opinions, et elle interdit de combattre celles de ses membres! Par-là même qu'elle défend de traiter la question de la divinité de Jésus Christ ou du péché originel, elle porte un jugement; elle décide que ces questions ne sont pas de la première importance; elle les tient, en quelque sorte, en suspens; elle les regarde comme des disputes oiseuses. Elle ne pourroit, si elle les jugeoit nécessaires au salut, les laisser dans le doute; et dès qu'elle fait promettre de n'en pas parler, elle prononce qu'on peut se passer de ces vérités. L'auteur de la Lettre s'efforce de montrer que le réglement ne gêne point la liberté, et il se vante que, depuis plus d'un siècle, les ministres de Genève n'ont souscrit aucun formulaire. Mais le réglement lui-même n'est-il pas un formulaire où on fait promettre de ne point combattre publiquement, je ne dis pas l'enseignement d'une église particu-` lière, mais l'opinion d'un seul de ses pasteurs? M. Grenus avoit invoqué la doctrine de Calvin et les confessions de foi des églises protestantes. Belle réponse pour des réformés! s'écrie l'auteur de la Lettre. Invoquer des autorités humaines, c'est rétrograder vers le catholicisme. Pourquoi donc les premiers réformés ont-ils rédigé tant de confessions de foi? Ils connoissoient donc moins que les modernes l'esprit de la réforme.

Nous ne ferons que mentionner les écrits qui suivirent. M. Grenus publia les Ordonnances ecclésiastiques conservées par la Constitution. L'auteur de la Lettre à un

ami en donne une seconde. M. Grenus répondit par la Suite aux Fragmens de l'histoire ecclésiastique de Genève du dix-neuvième siècle. On avoit annoncé que le corps des pasteurs étoit déterminé à ne se point défendre. Cepen dant ils firent paroître, sous le voile de l'anonyme, une apologie, qui fut intitulée : Lettre d'un ami de la religion sur les discussions théologiques du moment. Dans cette apologie, ils s'en tenoient à des généralités, et n'entroient point dans le fond de la question. Ils évitoient, avec soin, de parler de la divinité de Jésus-Christ. On crut seulement qu'ils y faisoient allusion dans ce passage: Nos pasteurs ne nous entretiendront pas de sujets trop relevés pour être bien saisis par la multitude; ils nous tairont peut-être certaines opinions débattues dès l'origine de l'église, ou des questions qui tiennent à la nature même des choses de Dieu, et dont Dieu cache la solution dans les secrets de son éternité; mais ils nous parleront des choses qui nous intéresseront directement nous et nos enfans. Dans un autre endroit, les ministres sembloient craindre que ces disputes ne donnassent quelqu'avantage aux catholiques, et ne portassent quelques protestans à abandonner une communion où on ne sait que croire sur des points capitaux. Mais ni ces eraintes ni les plaintes qui retentissoient contr'eux dans leur parti, ne purent arracher d'eux une déclaration précise en faveur de la divinité de Jésus-Christ. Interpelés, attaqués dans leur foi, ils n'osèrent en faire une profession ouverte. Ils aimèrent mieux s'exposer au schisme que de le prévenir en renonçant à l'erreur, et ces ministres d'une église chrétienne rougirent de reconnoître un dogme sans lequel on n'est pas chrétien. La divinité de Jésus-Christ, disoit l'assem→ blée du clergé de France en 1780, à l'occasion d'une thèse soutenue à Genève, en 1777, sous la présidence du pasteur Vernet, la divinité de Jésus-Christ est la borne immuable qui sépare toujours le simple déisme du christianisme; et, en effet, il n'y a plus alors dans la religion rien qui répugue au déiste. Les mystères sont effacés; le

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