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prévenir le retour des malheurs qui coûtaient tant à réparer, qui arrêtaient tout développement commercial et industriel, ce n'était pas seulement épargner du sang français, c'était aussi servir les intérêts financiers.

M. de Sade félicitait également le gouvernement d'avoir su résister aux vœux qui appelaient de rigoureuses mesures de répression, mais il repoussait l'augmentation de l'armée comme inutile.

<< En me résumant, disait-il, je repousse l'accroissement demandé de l'effectif de notre armée et du déficit de nos finances, parce que je ne crois pas que nous en soyons réduits à cette triste nécessité; parce que les derniers événemens nous ont démontré combien est peu à redouter, soit par le nombre, soit par la qualité des personnes qui la composent, la faction criminelle qui voudrait renverser le gouvernement par la voie coupable des complots et de l'agression armée. Si, avant, cette vérité m'était déjà prouvée, elle me l'est bien plus fortement depuis que j'ai vu avec quelle facilité ont été vaincus, je ne dirai pas ce parti, je ne dirai pas ces républicains, car ces noms bien entendus s'appliquent à des choses ou à des personnes honorables, mais ces brouillons les plus incorrigibles rangés au nombre des plus insensés qui aient jamais harcelé une nation ou troublé son repos. Ce qui suffisait avant suffit après. Je vote contre tous les crédits supplémentaires. »

C'était, comme M. Cunin-Gridaine, par la nécessité politique, que M. Vatout défendait le projet de loi. Devant des troupes plus considérables, les collisions, suivant l'orateur, n'eussent pas éclaté. Si, en des temps ordinaires et paisibles, il eût réclamé au nom de la liberté la diminution de l'armée, c'était en son nom, et pour la protéger contre des tentatives impies qu'il appuyait aujourd'hui l'augmentation des forces militaires. Le général Leydet accordait le crédit pour 1834, mais celui qu'on sollicitait pour 1835 lui semblait d'une inopportunité patente, et l'allocation qui en serait faite constituerait une imprudence, un danger réel contre le pouvoir aussi bien que contre la liberté. Trouvant la situation intérieure améliorée, la considération et l'influence de la France augmentées au dehors, et rapportant ces heureux résultats à une force militaire imposante, M. Chastellier ne voulait pas que l'armée fût réduite.

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Si l'augmentation de l'armée eût été demandée contre les empiétemens de l'étranger, M. Salverte l'aurait accordée; mais, demandée contre la population, il la repoussait. Il ne croyait pas que les baïonnettes et les coups de fusil fussent les seuls moyens de traiter avec des Français; il ne croyait pas que le gouvernement né de la volonté du peuple, n'eût d'autre langage à lui faire entendre que le bruit du canon. Etait-il politique de déclarer à l'Europe que la France était tellement divisée, qu'il ne fallait pas moins de 360,000 hommes pour y maintenir l'ordre? N'y avait-il pas enfin un grave inconvénient à revenir, en adoptant le projet, sur une réduction consentie par le ministre, prouvée nécessaire par la commission du budget, et ordonnée par la Chambre ?

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Après que le général Bugeaud eut combattu avec acrimonie et violence les adversaires des projets, après que M. Pataille eut attribué l'état fâcheux des choses à l'affaiblissement du pouvoir civil, et qu'il en eut tiré cette conséquence, qu'il fallait venir en aide au pouvoir civil plutôt qu'au pouvoir militaire, M. Garnier-Pagès occupa la tribune. On a vu, dans le cours de la discussion du budget de l'intérieur, le ministre de ce département et des membres de l'opposition se porter, sur les causes qui avaient amené les troubles d'avril, une sorte de défi sans objet bien déterminé; M. GarnierPagès annonça, en prenant la parole, qu'il venait relever le gant qui lui avait été jeté.

L'orateur s'efforçait d'établir qu'on devait chercher dans l'inexécution des promesses d'amélioration politique et matérielle faites après la révolution de 1830, dans la conviction acquise qu'elles ne seraient point accomplies, la cause des derniers événemens. Il en justifiait l'opposition, et il pensait d'ailleurs que, si quelques paroles échappées à la tribune avaient pu avoir un retentissement fâcheux, c'était là une condition du gouvernement représentatif. Cherchant ensuite à restreindre la portée des événemens, à diminuer le nombre des insurgés, M. Garnier-Pagès déclarait que le gouvernement s'était autorisé de ces événemens comme d'un prétexte pour effrayer le pays; que la gravité des circonstances n'était Ann. hist. pour 1834.

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qu'une occasion de mettre à exécution une volonté arrêtée d'avance. « Avec votre loi d'association qui disperse, disaitil, votre loi des barricades qui désarme tous les citoyens, votre loi contre les crieurs publics qui fait que cette armée ne peut se recruter, vous avez besoin de 360,000 hommes! L'ordre, ajoutait-il en terminant, est la conséquence du bien-être moral et matériel, et vous n'aurez d'ordre réel bien établi, à l'abri de toute atteinte, que lorsque les populations seront heureuses. Croyez-le, il n'y a pas de plus mauvaise manière de maintenir l'ordre que de vouloir une augmentation de l'armée dans le but de contenir la population.>>>

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Ce discours appelait nécessairement une réplique du ministre de l'intérieur. «Vous avez voulu, s'écria-t-il en commençant, cette triste discussion; vous l'aurez tout entière. Je ne la cherchais pas: je réponds à ce que je regarde comme une provocation adressée au gouvernement. » Traçant alors un rapide exposé des faits, le ministre soutenait qu'ils n'étaient pas le résultat du malaise de la classe ouvrière, mais les effets d'un vaste complot d'anarchistes. Au mois de février, le gouvernement se voyant placé en face d'ouvriers abusés par la presse, s'était abstenu d'intervenir entre eux et les fabricans; il avait laissé au temps à ramener les ouvriers de leur erreur. En avril, tout était changé: l'autorité se trouvait en présence, non plus d'ouvriers abusés, mais d'anarchistes, et contre leurs attaques, car le ministre niait vive'ment qu'il y eût eu provocation de la part du pouvoir, la répression avait dû être énergique. L'armée, l'autorité civile, l'administration, tout le monde avait fait son devoir. S'il avait fallu arriver à des extrémités déplorables, la responsabilité en appartenait, non à ceux qui avaient été attaqués, qui se défendaient, mais à ceux qui avaient provoqué la violence; et s'il y avait eu des scènes abominables, ce n'était pas du côté des défenseurs de l'ordre public, mais du côté des anarchistes: la guerre de Paris avait été une guerre d'assassinats. Après avoir ainsi résumé les faits qu'il attribuait à une petite minorité, leministre ajoutait: «Sans accuser personne, je dis que dans cette explosion de passions révolutionnaires, ceux-là ne sont pas coupables, qui n'ont tenu qu'un langage de modération, qui ont fait tous leurs efforts pour calmer les passions, et que s'il y avait des coupables, ceux-là le seraient plutôt qui ont tenu un langage capable de les exciter. >> Prétendrait-on qu'en faisant une plus large part de liberté à ces passions, on les eût amorties? Le ministre pensait, au contraire, que la faiblesse eût amené la république. M. Odilon-Barrots'étantalors écrié que la violence pouvait aussi l'amener, le ministre répliqua « qu'il ne comprenait pas qu'un homme de bonne foi pût articuler une accusation de violence contre le gouvernement le plus doux, le plus honnête dont l'histoire eût jamais fait mention. » Il y avait injustice et erreur à soutenir que les moyens de répression demandés étaient destinés à opprimer la population. «Notre but, ajoutait le ministre, est surtout de prévenir les collisions, en ôtant aux insensés l'espérance de la réussite. C'est pourquoi nous vous demandons de maintenir l'armée sur un pied qui puisse imposer à tous les malveillans, et leur faire, par crainte, si ce n'est par devoir, respecter l'ordre public, sans lequel il n'y a ni bonheur ni prospérité pour la France. »

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Ce discours, qu'avaient souvent interrompu de bruyantes marques d'approbation de la part des centres, ne termina pas la discussion. Tandis que M. Fulchiron, après avoir donné quelques détails sur la situation de Lyon, jugeait la crise toute politique, M. Couturier, au contraire, attribuait toutes les commotions à l'énormité des charges, aux embarras financiers, et s'opposait à tout ce qui pouvait accroître le déficit.

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Recherchant aussi les causes du malaise permanent et des désastres dont la France était victime, M. de Lamartine les trouvait dans la lutte et la résistance du gouvernement contre les besoins sociaux de l'époque, dans l'absence de toute pensée organisatrice nouvelle, de tout système réfor

mateur.

« Cependant, messieurs, disait-il en terminant, les fautes des gouvernemens et des partis, depuis quatre ans, placent le législateur consciencieux dans un redoutabie dilemme. L'armée, grâce à ces fautes, est devenue aujourd'hui la dernière raison de la liberté même. Elle a garanti courageusement l'ordre social; elle aura à le préserver encore. On nous demande de la fortifier pour le péril du moment; si la société venait à être vaincue, on en ferait porter sur nous la responsabilité. Eh bien! fortifions-la encore, comme un rempart provisoire contre un état d'agression que notre sagesse doit faire cesser. Que ce soit notre dernière concession à la nécessité, dont le pays rougit et s'afflige! que ce soit notre dernier sacrifice à la force brutale, et que d'ici à 1835, le gouvernement fasse un appel à la seule force qui dure, à la seule force qui honore, à la seule force qui ne coûte rien, à la force d'impulsion, d'habileté et d'organisation! Quand notre société sera mieux faite, nous n'aurons pas si souvent à la défendre. >>>

Après avoir montré, dans un discours longuement développé, que bien des réformes avaient été faites; après avoir prouvé les difficultés, les impossibilités de la plupart de de celles qu'on appelait encore; après avoir insisté sur ce point, que ceux-là mêmes qui les réclamaient ne proposaient aucun moyen raisonnable de les opérer, le ministre du commerce exposait le système du gouvernement qu'il résumait par la formule, déjà si connue, de paix à l'extérieur et d'ordre à l'intérieur, et, détaillant tous les heureux résultats obtenus grâce à ce système, il demandait que la pensée gouvernementale fût appréciée et jugée sur les actes et sur les œuvres.

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Ayant ainsi pris un caractère politique, et touchant aux questions les plus irritantes, les débats allaient s'envenimant d'orateur en orateur. M. Pagès (de l'Ariége) venait d'incriminer le gouvernement avec amertume, le général Jacqueminot venait de récriminer avec vivacité contre l'opposition, et les murmures, les interruptions, les interpellations éclataient de toutes parts, lorsque M. Mauguin demanda la clôture. Le ministre de l'intérieur appuya cette demande, mais comme M. Mauguin avait accusé le gouvernement de n'avoir pas assez fait pour prévenir les derniers événemens, et conséquemment d'avoir eu trop à réprimer,

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