Images de page
PDF
ePub

Mais ces considérations manquèrent bientôt de leur principal fondement, grâce à la maladresse des gardiens de don Carlos. Ce prince, dont les agens de l'Angleterre en Portugal s'étaient emparés, et qu'ils avaient couvert de leur égide, sans lui imposer aucune condition, avait débarqué à Portsmouth le 18 juin; il alla ensuite à Londres, où pendant quelques jours il fut travaillé par les chefsdu parti aristocratique, et déterminé, après avoir reçu la promesse de puissans secours en argent, à se rendre de sa personne au milieu des insurgés. Il partit donc furtivement de Londres, traversa la Manche, arriva le 4 juillet à Paris, le 6 à Bordeaux, le 8 à Bayonne, et le 10 il se trouvait de l'autre côté des Pyrénées, parmi ses partisans, lorsque personne encore en France ni en Angleterre, si ce n'est ses confidens, ne se doutait de son voyage. Ainsi fut perdu, quant à l'Espagne, tout le fruit de l'expédition du général Rodil.

Bien que la guerre de Biscaye fût, avant tout, une guerre d'intérêt, et que la crainte de perdre leurs antiques franchises commerciales et fiscales eussent armé les insurgés autant, sinon plus, que la volonté d'assurer la couronne à don Carlos, sa présence inattendue au milieu d'eux devait naturellement ranimer l'ardeur d'un parti qui avait pris son nom pour cri de ralliement, et imprimer à la lutte une nouvelle vigueur. On eût dit dès l'abord qu'il ne s'agissait plus pour les carlistes que de se mettre en mouvement et de marcher sans retard sur Madrid; telle était même, dit-on, l'intention affichée par don Carlos en arrivant à Elisondo. Pendant les premiers jours il fit acte de roi, en nommant des ministres, des ambassadeurs, des généraux; il désigna, comme on devait s'y attendre, Zumalacarreguy pour son généralissime; il fit adresser aux gouverneurs et commandans des places des sommations de reconnaître son autorité; il déclara en état de blocus tous les lieux occupés par les ennemis de sa cause; il publia proclamations sur proclamations pour exciter le zèle de ses partisans et pour provoquer des défections dans l'armée de la reine. Bientôt, ce moyen n'ayant pas paru suffisant pour grossir son armée, il ordonna une levée en masse de tous les hommes de 17 à 45 ans. Enfin, tout annonçait un redoublement de joie, d'enthousiasme et d'activité dans les provinces insurgées, dont on aurait pu conclure que quelque coup décisif ne tarderait pas à être frappé par le prétendant.

Elisondo, où don Carlos s'était arrêté en arrivant en Espagne, est un bourg muni d'un castillo ou d'une caserne fortifiée, dans la vallée de Bastan, aux sources de la Bidassoa, et à cinq ou six lieues du premier village de France. De ce point, le prétendant et Zumalacarreguy descendirent vers Pampelune, qu'ils contournèrent de très-près, après quoi ils se portèrent dans la Borunda, longue vallée qui règne de cette ville à Salvatierra. Ils étaientle 18 juillet à Santa-Cruz de Campero et à Salinas de Oro, à une distance detrente lieues au moins d'Elisondo, en comprenant les détours des gorges et des montagnes. Le désir de se montrer à la Castille et l'espoir d'entrer à Vittoria déterminèrent don Carlos à se présenter le 20 devant Salvatierra, où il fut reçu à coups de canon. Ayant dès lors échoué complétement dans son projet de séduire les troupes de la reine et de se faire ouvrir les places, il se replia dans la vallée de Bastan pour se mettre à l'abri des dangers personnels qui auraient pu le menacer au-delà des montagnes. Il revint à Elisondo, et se rapprocha encore de la frontière de France, tandis que son armée était, dès le 23, acculée dans la Borunda, vers Huarte-Araquil, et presque entourée par les colonnes de Rodil, qui n'avaient cessé de marcher sur elle par plusieurs directions concentriques.

Le 24, les troupes de Rodilet de Zumalacarreguy furent à portée l'une de l'autre, et le lendemain un premier engagement eut lieu. Après cette affaire, Zumalacarréguy se dirigea au midi de la Borunda, dans les vallées de las Amescuas, près d'Estella, comme pour détourner Rodil de ses opéra tions vers le nord, et intercepter les convois qui lui arrivaient de Puente-la-Reina et de l'Ebre. Rodil le suivit, et le 1er août il y eut un nouvel engagement à Iturgoyen, du côté de Puente-la-Reina. Cette action n'eut pas plus que la précédente de résultat important pour aucun des deux partis; seulement le champ de bataille resta aux troupes de la reine, et Zumalacarreguy, voulant éviter un combat plus sérieux, reprit le chemin de la Borunda.

Rodil résolut alors de faire observer Zumalacarreguy, et de se porter sur le Bastan pour en chasser la junte insurrectionnelle de Navarre, disperser les recrues qui s'y formaient, et y détruire les dépôts d'armes et de munitions. Le 8 août la terreur se répandit dans le Bastan, et les carlistes affluaient à la frontière de France. L'arrivée de l'avant-garde de Rodil au col de Belate, qui est la clef de cette vallée du côté de la Navarre, avait causé toute cette alarme. Cependant Zumalacarreguy, abandonnant les montagnes de la Borunda, où il s'était réfugié, suivait les traces de Rodil, tout prêt à s'embusquer dans les cols dès que celui-ci serait descendu au fond de la vallée, pour lui en disputer la sortie dans des positions formidables, ou pour le forcer à un long détour. Rodil fut donc obligé de suspendre la marche de son avant-garde, et de se retourner, en se plaçant sur les crêtes de Belate et de Lecumberry, pendant que Zumalacarreguy était à leur pied, dans la vallée d'Ulzuma, entre les troupes de la reine et Pampelune. Ils avaient exécuté chacun un changement de front complet. C'était maintenant Rodil qui faisait face au midi, en s'adossant à la frontière de France; Zumalacarreguy regardait le nord, ayant derrière lui Estella et les autres points d'où son adversaire était parti pour marcher vers Elisondo. Rodil recommença à pousser devant lui le général carliste, qui continua, de son côté, à éviter un combat général, et alla se cantonner de nouveau dans la Borunda, restant maître de la vallée de Bastan, où la junte insurrectionnelle put se réinstaller.

Ainsi cette guerre n'avait point changé de caractère, malgré les espérances conçues d'un côté à l'apparition de don Carlos, et de l'autre à l'arrivée de cette armée de Rodil qui, disciplinée par le succès, rompue aux fatigues, et entourée d'un certain prestige conquis en Portugal, devait donner une puissante impulsion aux opérations militaires. C'était encore une série interminable de marches et de contremarches entre les chaînons entrecroisés des montagnes où Zumalacarreguy et les autres chefs des insurgés, dès qu'ils se voyaient serrés de près, échappaient chaque fois à la poursuite des troupes de la reine, pour aller reparaître sur quelque point éloigné. Les carlistes n'ayant point de ligne, point de base d'opérations, point de places à couvrir, ne pouvaient jamais être forcés au combat sur un terrain donné et prévu, ainsi que cela se fait dans une campagne régulière, où chacune des deux armées est soumise aux nécessités d'une stratégie méthodique. Ils n'avaient d'autre plan que de parcourir la Biscaye, l'Alava, le Guipuscoa et la Navarre, pour y entretenir l'esprit d'insurrection. Peu leur importait d'être tournés ou coupés, de franchir telle chaîne de montagnes ou telle autre. La privation d'une place d'armes leur était à peine sensible. Conduisant à leur suite, par les plus âpres sentiers, une longue file de mulets, ils portaient tout avec eux. Ils n'avaient besoin ni d'hôpitaux ni d'ambulances : leurs blessés étaient fidèlement soignés par les paysans. Les insurgés, tous enfans deces provinces, étaient partout chez eux, partout bien reçus, tandis que les troupes de la reine ne trouvaient à chaque pas que la solitude, ou des ennemis silencieux qui égorgeaient des soldats isolés. Et ce n'était pas seulement la guerre qui décimait les deux partis; c'étaient cette fureur d'atroces représailles dont ils se montraient également animés et la sévérité draconnienne des mesures que les deux chefs avaient prises pour se couper réciproquement tous moyens d'approvisionnement et pour interdire à la population toute communication avec leur adversaire.

Dans cet état de choses, il n'était pas impossible que cette Ann, hist. pour 1834.

32

Vendée espagnole se prolongeât des années entières, sans faire avancer d'un pas la cause de don Carlos, sans autre résultat que d'ensanglanter, de ruiner entièrement les quatre provinces où cette insurrection demeurait parquée, et sous ce rapport elle appelait l'attention des puissances qui, en concluant le traité du 22 avril, avaient eu en vue la pacification de la péninsule. Aussitôt que la fuite de don Carlos avait été confirmée, les ambassadeurs d'Espagne à Paris et à Londres avaient demandé aux gouvernemens de France et d'Angleterre une déclaration sur la valeur de ce traité. Tous deux avaient répondu que son objet n'étant pas accompli, il restait en vigueur et devait avoir son plein et entier effet; que les articles rédigés pour la question relative à l'état où se trouvait le Portugal, seraient étendus et appliqués aux circonstances actuelles de l'Espagne, dans la forme qui serait stipulée par les quatre plénipotentiaires, et dont ils allaient s'occuper immédiatement. De cette nouvelle négociation sortit un traité additionnel à celui de la quadruple alliance, qui fut signé à Londres le 18 août, et par lequel la France s'engageait à prendre sur ses frontières d'Espagne les mesures les mieux calculées pour empêcher qu'aucune espèce de secours fût envoyée aux insurgés; l'Angleterre, à fournir à la reine d'Espagne tous les secours d'armes et de munitions de guerre qu'elle pourrait réclamer, et, en outre, à l'assister avec des forces navales, si cela devenait nécessaire; le Portugal, à prêter assistance, également en cas de néces sité, à l'Espagne, par tous les moyens en son pouvoir, d'après la forme et la manière qui seraient ensuite convenues entre les parties contractantes. (Voyez l'Appendice.)

Nous pouvons maintenant reporter sur Madrid une attentión que nous devions spécialement à l'insurrection carliste, au moment où, par suite de l'arrivée du prétendant en Navarre, tout le monde était dans l'attente de quelque événement décisif sur ce point.

L'inquisition, déjà détruite de fait, le fut encore de droit

« PrécédentContinuer »