Les sieurs Debriges et Sainte-Colombe se sont pourvus en cassation pour fausse application de l'art. 539 de la coutume de Normandie, et violation de l'art. 2135 du Code civil (1). Ils ont reproduit devant la Cour de cassation les moyens qu'ils avaient présentés devant les premiers juges. Ils insistaient particulierement sur cet argument: que dès que l'article 2135 s'appliquait aux femmes mariées avant sa publication, quant à l'hypothèque legale qu'elle leur conférait, il devait également les concerner quant aux bornes qu'il apportait à cette même hypothèque. Les sieurs Sainte-Colombe et Debriges finissaient par invoquer un arrêt de la Cour d'Angers, du 29 août 1814, maintenu par un arrêt de la section des requêtes de la Cour de cassation, du 7 mai 1816, qui tous deux ont jugé qu'une femme, mariée sous l'empire d'une coutume qui lui attribuait une hypothèque, à compter du jour de son mariage pour le remploi de ses propres, ne pouvait pourtant réclamer cette hypothèque que du jour des aliénations, si les biens étaient vendus après la publication du Code civil. Les reponses de la dame Bretel sont suffisamment analysées dans l'arrêt suivant, ARRÊT. LA COUR,sur les conclusions de M. Joubert, avocat-général, et après un délibéré en la chambre du Conseil, aux audiences du 5 et de cejourd'hui; - CONSIDÉRANT que la dame Bretel s'est mariée sous l'empire de la coutume de Normandie; qu'aux termes de l'article 539 de cette coutume, elle avait, pour le remploi de ses propres aliénés, une hypothèque sur les biens de son mari, à dater de 1792, époque de la célébration de son mariage; que ce droit, acquis par le plus irrévocable des contrats, ne lui a été enlevé ni par la loi du 11 brumaire an 7 ni par le Code civil; qu'en effet, la loi de brumaire an 7 maintient positivement toutes les hypothèques préexistantes à sa publication, et les maintient sous la date à laquelle elles ont été constituées; qu'il est vrai que cette loi, en établissant le système de la publicité des hypothèques, en a ordonné l'inscription, et que, faute d'avoir rempli cette formalité, la dame Bretel aurait pu perdre son rang et même son droit hypothécaire, si, sous l'empire de cette loi, d'autres créanciers de son mari eussent fait inscrire leurs créances; mais qu'il est certain que pendant ce temps il n'y a eu aucune inscription de prises de la part de ces créanciers; qu'il est évident, dès lors, que la loi de brumaire an 7 n'a porté aucune atteinte aux droits de la dame Bretel, et que ceux qui lui étoient acquis par son contrat de mariage, ou la loi qui en tenait lieu, sont restés intacts jusqu'à la publication du Code civil; que ce Code, qui bien certainement ne renferme aucun effet rétroactif, n'a pu détruire ou modifier des droits qui jusqu'alors n'avaient subi aucune altération; qu'ainsi, jusqu'au moment où il a été publié, la dame Bretel n'avait perdu ni son hypothèque ni la date de son hypothèque, puisque l'une et l'autre lui étaient garanties par le statut qui régit ses conventions matrimoniales, et qu'on ne peut supposer que le Code civil ait enlevé à la dame Bretel le bénéfice de ce statut; lors donc que ce Code dispose, article 2135, que l'hypothèque des femmes sur les biens de leurs maris, pour le remploi de leurs propres aliénés, datent non du jour du mariage, mais du jour des aliénations, il est évident que cette disposition ne statue que pour l'avenir et uniquement à l'égard des femmes mariées depuis la publication du Code; et qu'à l'égard de celles mariées antérieurement, tout ce qui tient à la constitution et au rang de leurs hypothèques est réglé par les lois anciennes, sauf toutefois les droits que les tiers auraient pu acquérir à leur préjudice en vertu de la loi de brumaire an 7 ;-CONSIDÉRANT qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 2135 du Code civil est inapplicable à l'espèce, (1) Voyez ce Recueil, vol. de 1815, p. 105 du suppl., et vol. de 1816, p. 348, et que la Coutume de Normandie est, comme l'arrêt attaqué le décide, la seule loi des parties; RÉJETTE. Du 10 février 1817.- Section civile.-M. Desèze, pair de France, premier président.-M. le conseiller baron Zangiacomi, rapporteur. MM. Duclos et Loiseau, avocats. -- , SUCCESSION.-RENONCIATION.-LEGS.-RAPPORT.-PARTAGE. Le successible institué légataire, sans dispense de rapport, conserve-t-il jusqu'au partage consommé le droit de renoncer à sa qualité d'héritier pour s'en tenir à son legs, lorsqu'avant ce partage, il a fait des actes emportant adition d'hérédité? Rés. nég. Le 5 janvier 1811, testament authentique, par lequel Jean Gast lègue à Jeanne Lefort, son épouse, l'usufruit de tous les biens qu'il laissera à son décès dans les communes d'Hermanville et de Courseulles. Il en lègue en même temps la nue propriété, mais sans dire que ce soit par préciput et hors part, à Jean-Baptiste-Abraham Gast, son frère. Après la mort de Jean Gast et de son épouse, les héritiers du testateur font procéder à l'inventaire. Jean-Baptiste-Abraham Gast n'y prend part que comme habile à succéder; mais ensuite il fait divers actes d'héritier; il reçoit notamment, le 23 décembre 1811, sa part d'une somme de 2537 fr. due à la succession. Postérieurement à tous ces actes, et par exploit du 14 janvier 1812, il fait siguifier le testament à ses cohéritiers, et il leur déclare qu'il renonce à la succession pour s'en tenir à son legs. pur Ceux-ci le font citer devant le juge de paix, sous la qualité d'héritier et simple, afin de se concilier sur l'action qu'ils sont dans l'intention d'intenter contre lui, pour le faire condamner, 1.o à procéder au partage de la succession de Jean Gast, restée indivise; 2.° à rendre compte des sommes qu'il a reçues et de la gestion qu'il a eue des biens de cette succession. Jean-Baptiste-Abraham Gast offre son compte, et soutient qu'aucun des actes qu'il a faits ne s'oppose à l'option qu'il a notifiée à ses cohéritiers. L'affaire s'engage devant le tribunal de première instance de Bayeux; et, le 28 juin 1813, jugement qui déclare caduque et non avenue la disposition faite en faveur de Jean-Baptiste-Abraham Gast, et ordonne en conséquence qu'il sera procédé au partage de la succession entre tous les héritiers du défunt. Les principaux motifs de ce jugement sont, 1.o qu'on ne peut cumuler les deux qualités d'héritier et de légataire, qu'autant que le legs a été fait par préciput et hors part; que, hors ce cas, le légataire doit renoncer à la succession, s'il veut réclamer le bénéfice du legs; qu'il suit de là que le légataire qui a pris la qualité d'héritier ou qui est entré en partage avec ses cohéritiers, est réputé avoir répudié la disposition testamentaire faite en sa faveur, laquelle devient caduque; 2.o que le legs dont No. III.-Année 1817. 18 il s'agit n'a point été fait par préciput et hors part; 3.0 qu'il demeure constant, par les actes produits, que non seulement Jean-Baptiste-Abraham Gast a pris la qualité d'héritier de Jean Gast, mais encore qu'il a fait acte d'héritier, et qu'il est même entré en partage d'une partie de la succession avec ses cohéritiers; 4.° enfin que la renonciation qu'il a faite à la succession pour réclamer son legs est postérieure à tous les actes qui l'ont, par le fait, constitué héritier; que, la qualité d'héritier une fois prise, toute renonciation postérieure ne peut l'effacer, suivant la maxime semel hæres semper hæres; que prétendre que cette maxime ne peut être invoquée que par des tiers intéressés et non par les cohéritiers les uns à l'égard des autres, c'est contrarier tout à la fois les principes du droit commun, la saine raison et le texte des articles 783 et 843 du Code civil. la Le 10 novembre 1814, arrêt de la Cour royale de Caen, qui infirme ce jugement, et ordonne la délivrance du legs fait à Jean-Baptiste-Abraham Gast. Cette Cour a considéré « que les dispositions qui régissent la matière du procès sont placées au chapitre du partage et des rapports; que loi, au lieu de supposer que les successibles qui ont reçu des avantages du défunt, ou sont en droit d'en prétendre dans la succession, soient tenus d'y renoncer avant de savoir s'ils pourront les conserver ou les réclamer, suppose, au contraire, qu'ils s'y présentent d'abord comme héritiers, puisque, sans cette qualité, il est évident qu'il ne pourrait s'agir, entre eux et leurs cosuccessibles, de partage ni de rapports, ni même d'examiner dans quels cas ils pourraient faire concourir le bénéfice des avantages qui leur auraient été faits ou promis avec l'exercice de leur qualité d'héritiers; qu'il résulte donc de la loi même que cette qualité prise par ceux des successibles qui ont un droit d'option, ne peut les empêcher de l'exercer, lors même qu'ils ont fait des actes d'héritier; que s'il en était autrement, un successible qui prétendrait faire concourir la qualité d'héritier avec les avantages que lui a faits le défunt, en succombant dans cette contestation, perdrait aussi son droit d'opter, par cela seul qu'il se serait présenté comme héritier, co qui serait souverainement injuste; que c'est en ce sens que l'on doit entendre l'article 845 du Code civil, quand il dit que « l'héritier qui renonce à la >> succession peut cependant retenir le don entre-vifs ou réclamer le legs à » lui fait jusqu'à concurrence de la portion disponible»; que cela siguifie que tout héritier qui n'exige pas la part que la loi lui défère en cette qualité, ou qui s'abstient de prendre cette part, peut néanmoins demander le legs qui lui a été fait; que la loi ne détermine aucun délai pour faire l'option, et ne prononce à cet égard aucune déchéance; qu'il résulte évidemment de l'ensemble de ses dispositions, et notamment de l'article 844, que celle option peut être exercée jusqu'au parlage; qu'on ne peut raisonnablement soutenir qu'une succession qui, comme celle de Jean Gast, se composait de dettes actives, de meubles de diverses espèces et de biens immeubles, ait été partagée, parce que ses héritiers qui l'avaient provisoirement administrée en commun, auraient reçu ce qui pouvait leur revenir dans une créance mobilière dépendante de cette succession; qu'il est constant qu'il n'y a pas eu de partage, puisque le juge dont est appel a renvoyé devant un Notaire pour y être procédé dans les formes prescrites; que personne n'est facilement présumé donner ni renoncer à un droit de propriété; que, quand il s'agit de rechercher si quelqu'un a abandonné un droit d'option qui lui appartenait, la loi ne se contente point d'équivalent; qu'elle ne reconnait cet abandon que dans un partage général et définitif, qui ne permet plus de douter que la volonté du successible qui avait deux qualités dans la succession, ait été de préférer celle d'héritier à celle de légataire, en consentant que son legs fût confondu dans les biens à partager et compris dans ce partage; qu'entre cohéritiers, on ne doit point user de surprise, et tout doit se passer de bonne foi; que, dans l'espèce de la cause, le but du législateur, qui est d'empêcher que le successible avantagé ne fasse concourir en sa personne deux causes lucratives à la fois, a été rempli, puisque Jean-Baptiste-Abraham Gast a déclaré renoncer à la succession de Jean Gast, pour s'en tenir au legs que celui-ci lui a fait. »> Le sieur Jacques Louis, tant pour lui que pour ses cohéritiers en la succession de Jean Gast, s'est pourvu en cassation contre cet arrêt, pour violation des articles 778, 783 et 843 du Code civil. Il a reproduit et développé, pour moyens de cassation, les motifs même qui servent de base au jugement de première instance; comme les premiers juges, il soutenait que la qualité d'héritier une fois prise par le successible auquel un legs avait été fait, était un engagement de la part de ce successible, aussi bien envers ses cohéritiers qu'envers les créanciers de la succession. Réfutant ensuite les motifs de l'arrêt dénoncé, il prétendait qu'il ne fallait pas s'arrêter seulement au chapitre des rapports, dans le Code civil; qu'il fallait consulter aussi celui de l'acceptation et de la répudiation des successions, puisqu'il s'agissait de savoir si le successible, institué légataire, a pu, après avoir pris la qualité d'héritier, abdiquer ensuite cette qualité pour s'en tenir à son legs; que les articles 843 et 845, au chapitre des rapports, sont corrélatifs aux articles 778 et 783 au chapitre de l'acceptation et de la repudiation; que de l'ensemble de ces quatre articles, il résulte que, par ces mots de l'article 845, l'héritier qui renonce, il faut entendre l'héritier qui renonce QUAND IL EST ENCORE A TEMPS DE LE FAIRE; qu'à la vérité, l'article 843 entend bien que le légataire est d'abord héritier successible, et que, comme tel, il a droit de venir à la succession, mais qu'on peut être habile à venir à une succession sans y venir en effet; que si, au lieu de se présenter seulement comme habile à succéder et de se borner à faire des actes de vérification des forces de la succession ou de simples actes conservatoires, on vient réellement à la succession, suivant les termes de l'article 843, on est par là même exclu du legs qui n'est point fait sans dispense de rapport; qu'enfin l'héritier qui succombe, sur la question de savoir si le legs lui a été fait par préciput, n'est pas, pour cette raison seule, déchu de la faculté d'opter ensuite pour son legs, parce que la nature de la contestation annonçait suffisamment qu'il n'avait pas l'intention de prendre la qualité d'héritier exclusivement à celle de légataire. si Les héritiers de Jean-Baptiste-Abraham Gast ont adopté à leur tour le système de la Cour d'appel de Caen. Comme elle, ils ont prétendu que l'article 845 ne dit pas jusques à quand la renonciation est possible, il ré sulte de l'esprit de la loi et de l'ensemble de ses dispositions que l'héritier peut user de la faculté de réclamer le legs qui lui est fait, tant quele partage n'est pas consommé; que cet article, placé dans la partie du Code civil qui traite du droit des cohéritiers entre eux, ne doit point être interprété par les dispositions des chapitres antérieurs, qui ne concernent que les héritiers mis en opposition avec les tiers ou les créanciers de la succession; que ce n'est qu'au moment du partage que l'option de l'héritier doit naturellement avoir lieu, puisque c'est alors. seulement que se font les rapports ordonnés par les articles 843 et 844, et qu'il peut bien connaître les forces de la succession; que l'article 845, qui est précédé par ces deux articles et qui en est la suite naturelle, suppose donc nécessairement que l'héritier légataire se détermine, pendant le partage, sur le parti qu'il doit prendre; que de ces mots de l'article 843, tout héritier VENANT A UNE SUCCESSION doit rapporter, etc., il résulte qu'on peut être héritier sans devoir le rapport, et qu'il n'est dû qu'autant que l'héritier vient à la succession; qu'il fautdonc en conclure que si l'héritier qui a fait adition d'hérédité ne peut plus renoncer, c'est uniquement dans l'intérêt des créanciers; qu'à leur égard, l'immixtion doit valoir, en effet, une acceptation expresse, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de les garantir de la fraude d'un héritier de mauvaise foi, mais qu'il n'en est pas ainsi à l'égard des cohéritiers ; que, pour eux, les actes d'immixtion de la part d'un héritier ne peuvent avoir aucune suite fàcheuse, puisque, lors du partage, ils se rendent réciproquement des comples; que ce qui prouve encore que les dispositions du chapitre intitulé de l'acceptation et de la répudiation ne sont pas applicables aux heritiers entre eux, c'est qu'on n'oserait pas soutenir que la renonciation à laquelle est soumis l'héritier légataire par l'article 845, doit être faite nécessairement au greffe, ainsi que le prescrit l'art. 724; qu'on objecte mal à propos que la qualité d'héritier est indivisible, puisqu'il arrive souvent qu'on est réputé héritier à l'égard de telle personne, tandis qu'on est censé renoncer à l'égard d'une autre; qu'enfin l'immixtion d'un successible ne peut jamais nuire aux autres héritiers, et peut au contraire leur profiter, puisqu'elle l'oblige à payer sa part dans les dettes, tandis qu'en le supposant legataire à titre particulier, il en eût été affranchi. ARRÊT. -- LA COUR, sur les conclusions de M. Joubert, avocat-général, Vu les articles 778 783 et 843 du Code civil, ainsi conçus : ATTENDU qu'il résulte de ces articles que le successible qui est en même temps légataire du défunt, mais non à titre de préciput, ne peut cumuler la qualité d'héritier et de légataire; qu'il a donc, dans la succession ouverte, le choix, ou d'accepter la succession en renonçant au legs, ou de réclamer le legs en renonçant à la succession; mais qu'une fois qu'il a fait par lui-même ou par son fondé de pouvoirs des actes emportant adition d'hérédité, il est devenu héritier, tant à l'égard des créanciers de la succession qu'à l'égard de ses cohéritiers, d'après le principe que la qualité d'héritier est indivisible par sa nature; et, en vertu de l'ancienne maxime semel hæres, semper hæres, maxime consacrée par le Code civil, et établie dans l'intérêt des autres héritiers comme dans celui des créanciers de la succession, il ne peut cesser d'ètre héritier, à moins qu'il n'ait pas eu la capacité d'accepter, ou que son acceptation ait été la suite du dol ou de la violence; ATTENDU que l'arrêt attaqué a jugé, en principe de droit, que le successible légataire, saus dispense de rapport, est recevable à s'en tenir à son legs et à renoncer à la |