broyées; cela eft peint bien groffiérement: vous peignez bien plus délicatement, & vos couleurs font mieux broyées; le vifage & le teint de votre copie, eft uni. Je l'aime bien mieux: il n'y a point d'homme dont la peau foit fi inégale & fi groffiére; c'eft dommage, les couleurs font belles; le fentiment du Particulier me paroît naïf & vrai. Le Particulier n'étant point Artisté, ignore que c'est par l'art que les cou eu s paroiffent plus fraîches; c'eft pourquoi il regarde la fraîcheur des teintes, comme un choix, un emploi des plus belles couleurs. Il ignore auffi ce que c'eft qu'une touche; la nature n'a pás de touche, Les touches font de grands coups de pinceau laiffés; chaque touche claire tranche avec le fond moins clair fur lėquel elle eft appliquée, & chaque touche brune tranche avec le fond moins brun fur lequel elle eft appliquée par conféquent les touches claires ou brunes ne reffemblent point à la nature, qui n'a aucun clair qui ne foit fondu plus ou moins avec fon voifin moins clair; & route ombre forte eft très-fondue avec fa voifine l'ombre moins forte. Il n'eft pas étonnant que le Particulier fans art ignore ce que c'eft que les touches, & les prenne pour des couleurs groffieres; il ne lui paroît pas naturel de peindre groffierement avec des couleurs bien broyées: il est aifé de comprendre que le fentiment du Particulier, quoiqu'il ne foit pas exprimé felon les termes de l'Art, n'eft pas moins vrai & jufte. Un Particulier fe fait portraire: lorfque le portrait eft très-avancé le Particulier fe hafarde à dire au Peintre, je ne prends point de tabac, mon portrait a du tabac fous le nez; il paroît à plufieurs endroits que le vifage eft fale, fur le front & au bout du nez: il femble qu'il y ait une marque de brulure. Si le Peintre ofe lui répondre librement, il lui dira avec indignation: ne voyezvous pas que c'eft l'ombre fous le nez que vous prenez pour du tabac : ce font fes demi-teintes que vous prenez pour faletés, & pour marque de brulure les touches claires qui expriment le luifant du front & du bout du nez. Le Peintre a tort, & le Particulier a raison. Il n'y a ien de fi difficile en peinture que de faire des ombres qui paroiffent vraies. L'ombre dans la nature eft une privation de la lumiere, & le tableau n'a point d'ombre réelle étant éclairé. Ce n'eft donc que par le mêlange de plufieurs couleurs plus ou moins brunes qu'on parvient à imiter l'ombre. Si on la peint un peu plus brune ou un peu plus claire, elle fait tache; un peu plus jaunâtre, un peu plus rougeâtre ou un peu plus grifâtre, elle fait encore tache. Que l'on juge donc à quel point il eft difficile de peindre les ombres juftes ! Je prétends qu'il n'y a point de tableau fans tache; par conféquent le Particulier eft fouvent très-fondé quand il trouve un portrait taché de tabac. Il y a des modes qui s'introduifent dans les Arts; depuis Rubens c'est la mode en Peinture de faire les paffages du clair à l'ombre, que l'on appelle demi-teintes, de les faire, dis-je, trop bleuâtres ou grifâtres. La plupart des Peintres tombent dans ce défaut. Il eft même arrivé très-fouvent que des Dames trouvoient que leurs portraits leur donnoient de la barbe. Or les demi-teintes tant foit peu trop bleuâtres ou grifàtres deviennent faletés en beaucoup d'endroits, & barbe autour de la bouche & du menton. Le Particulier donc a raison de trouver des faletés fur fon portrait. Le Peintre pour exprimer le plus clair du front, a donné un coup de pinceau qui étant donné un peu trop clair & coupé, paroît une marque de brulure. Il en est de même du bout du nez; car, comme j'ai dit ci-devant, il eft impoffible qu'une touche foit parfaitement juste: elle paroîtra donc toujours dans des clairs ou une coupure ou une brulure. Le Particulier a encore raifon à cet égard, & le Peintre a tort; l'art le préoccupe & l'empêche de reconnoître le peu de vérité de fes touches, de fes demi-teintes & de fes ombres. Les touches font la maniere la plus laide d'exprimer la nature: elle doit fon crédit à l'épargne du tems; c'eft donc l'impatience & l'incapacité de finir qui ont fi fort accrédité les touches. Tous les Peintres qui aiment la touche conviennent qu'un tableau bien touché eft groffier de près: mais, difent-ils, mis à une distance convenable, les touches fe perdent, donnent du fini, de la force, de la vigueur, du relief & de la vie. Tâchons de détruire ces faux préjugés. Un tableau touché eft groffier de près; il l'eft encore de loin: le tableau ne change pas de nature; & quoiqu'à une certaine distance on ne voye pas les touches, elles n'y font pas moins. Mettez un tableau très-fini & un tableau touché à une distance affez grande pour qu'on ne voye pas les touches; malgré la distance on apperçoit le fini du tableau fini & le groffier du tableau touché. Qu'on examine un tableau du Correge & de Raphaël; auprès d'eux un Rubens, un Rimbrand & un Espagnolet on di tinguera très-nettement, quelque distance qu'on les mette, que Rubens, Rimbrand & l'Espagnolet font peints groffierement, ce qui produit des tableaux toujours laids. C'est ne rien gagner que d'être moins laids à mefure qu'on eft moins vus. Les tableaux touchés ne gagnent donc pas du fini par l'éloignement. Toutes les parties délicates, fines & légéres de la nature, les touches ne peuvent pas les exprimer; la propreté, la précifion des formes ne peut s'exprimer par des touches; une belle peau, le poli des corps, & mille détails qui bien rendus expriment les graces de la nature, ne peuvent s'exprimer par des touches. La touche eft donc toujours, comme je l'ai dit, une maniere de peindre laide & groffiere, vantée par la pareffe & l'intérêt, à caufe qu'avec l'aide des touches on peint plus vite. Les touches donnent de la force, cela eft faux; ce qui donne de la force, c'eft la différence bien marquée entre |