La France se réconcilia un peu avec l'Europe par la paix donnée à l'Allemagne, à l'occasion du traité de Campo-Formio: mais il ne faut point en faire honneur au directoire ; ce pouvoir exécutif, avili dans l'opinion publique par son triomphe sanglant sur le corps législatif, écrivoit vers cette époque aux deux conseils: «Le 18 fructidor a imposé silence aux orateurs de Londres qui siégeoient à Paris... mais l'Autriche se laisse encore diriger par le cabinet de Saint-James qui marchande sans cesse les troubles du continent et le déchirement de l'Europe. que La paix avec l'Empire ne fut conclue que parce le directoire ne la négocioit pas : c'est Bonaparte qui, cinq mois après les préliminaires de Léoben, acquitta presque seul l'engagement qu'il avoit pris, à la suite de ses mémorables victoires, de pacifier les états dont il avoit fait la conquête. Cette intervention du héros dans la diplomatie rappeloit la paix conclue entre le prince Eugène et Villars. Le vainqueur de Lodi et d'Arcole, pour ne point être exposé à voir renouveler les scènes indécentes des deux négociations de Malmesbury, prit le parti de ne consulter que sa grandeur d'ame, et surtout d'envelopper d'un voile impénétrable le secret de sa négociation on croyoit dans Paris à la guerre continentale, quand tout-à-coup le général Berthier vint annoncer au gouvernement le traité définitif conclu le 17 oc tobre 1797, entre Bonaparte et les plénipotentiaires de sa majesté impériale. L'empereur, par la convention de Léoben avoit cédé à la France ses droits sur la Belgique; il consentit encore, par le traité définitif, à lui laisser les îles vénitiennes du Levant en toute souveraineté : la république, de son côté, sembla investir ce prince de l'Istrie, de la Dalmatie, de Venise et des îles que cette dernière puissance possédoit dans la mer Adriatique : la maison d'Autriche, par le même acte, reconnoissoit la république cisalpine, et il étoit stipulé qu'on ouvriroit incessamment un congrès à Rastadt, où les plénipotentiaires de la France et ceux du Corps germanique travailleroient en dernier ressort à la pacification de l'Allemagne.. L'article XVI du traité de Campo-Formio respiroit une douce tolérance. Il y est dit : « qu'aucun habitant de tous les pays occupés par les armées autrichienne et française, ne pourra être poursuivi ni recherché, soit dans ses propriétés, soit dans sa personne, à cause de ses opinions politiques, pendant la guerre qui a eu lieu entre les deux puissances. » La signature de ce traité de paix entraîna la délivrance de trois célèbres prisonniers, Lafayette, Latour-Maubourg et Bureau de Puzy, détenus depuis plusieurs années dans la forteresse d'Ol mutz, et que Bonaparte réclama au nom de son gouvernement. Peu de temps après, le héros qui avoit conquis l'Italie, et qui l'avoit pacifiée, vint à Paris, jouir un moment de sa gloire; le directoire le reçut, dans une audience publique, avec une froide solennité, ainsi que Tacite nous représente Domitien accueillant Agricola le vainqueur de la Grande-Bretagne, et le laissant ensuite se perdre dans la foule des courtisans. Déjà les souverains du Luxembourg étoient jaloux d'une gloire qui n'éclairoit que leur nullité; et quand, dans la suite, ils lui permirent la conquête de l'Égypte, ils songèrent plus à l'envoyer dans un exil honorable qu'à lui donner de nouveaux droits à la reconnoissance des Français. CHAPITRE VIII. Supplice de deux émigrés, le comte de Gélin et M. de Cussy. L'institut national prend la place des anciennes académies. Monumens des arts apportés d'Italie. Nous approchons du terme de la période mêlée de triomphes et de crimes, qui fait l'objet de ce quatrième livre; il ne nous reste plus qu'un petit nombre d'évènemens à parcourir, et nous les choisirons, soit dans l'une, soit dans l'autre classe, pour que le mélange serve de point de repos à la sensibilité. repous Parmi les tableaux sinistres qui repoussent nos crayons, il faut mettre le supplice de quelques émigrés, dont le plus grand délit étoit de croire encore à l'existence d'une patrie qui les soit de son sein; ce mode de punir des vaincus étoit souverainement impolitique, parce qu'en rendant les vainqueurs à jamais odieux, il corrompoit les élémens de la nouvelle république, qu'on vouloit substituer à celle des Danton et des Robespierre. Un de ces émigrés, dont le malheur parut exciter le plus d'intérêt, surtout dans la capitale, est le comte de Gélin, colonel à la suite de la cavalerie, et chevalier des ordres de Saint-Louis et de Saint-Lazare il paroît qu'il avoit été envoyé par Louis XVIII dans les départemens insurgés, pour prélever huit cent mille livres en assignats, destinées à la délivrance de quelques prisonniers faits par les généraux de la république un entretien indiscret qu'il eut avec des voyageurs en allant de Brest à Paris, le fit arrêter par les espions de la police générale, aux ordres de Merlin de Douay on trouva sur lui un cachet ayant trois fleurs de lis, ses deux croix renfermées dans une bombonnière, et un passeport signé à Louis XVIII, daté de la première année de son règne. Ce comte de Gélin avoit épousé une fille naturelle de Louis XV. Interrogé par le tribunal s'il étoit marié : Oui, répondit-il, j'ai épousé la fille de mon maître et du vôtre. Il se présenta au supplice avec une sérénité plus grande que les juges qui le condamnèrent. Avant de recevoir le coup mortel, je meurs, s'écria-t-il, pour mon Dieu et pour mon roi. II fut exécuté en place de Grève, le 29 décembre 1795. On trouva parmi les pièces saisies sur cet infortuné, un mémoire relatif à la Vendée, qui étoit adressé au comte d'Artois : on y apprend quelques faits de nature à être analysés ici, parce qu'ils servent de développement au grand cha |