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Du 13 au 17 juin 1789.

L'appel des bailliages commencé le 12, fut continué le 13. La démarche des trois curés du Poitou, qui se réunirent les premiers dans la salle commune, excita un enthousiasme universel; leurs noms méritent d'être retenus, ce sont MM. Ballard, Lecelve, et Jallot.

L'appel terminé, les communes s'occupèrent de la vérification des pouvoirs.

Les séances des 15, 16 et 17 juin, sont d'autant plus remarquables, qu'elles ont été consacrées au développement des bases sur lesquelles il étoit important de se constituer. Nous regrettons que les bornes de notre plan ne nous permettent pas de rapporter les discours intéressans qui furent prononcés dans ces séances, ainsi que les diverses motions qui furent proposées, et sur-tout celle de M. l'abbé Sieyes, qui avoit pour objet de se constituer en assemblée nationale (1), et qui réunit la majo

(1) M. l'abbé Sieyes avoit d'abord proposé la dénomination d'assemblée des représentans connus et vérifiés de la nation Française, il y substitua ensuite celle d'assemblée nationale, dont M. Legrand avoit donné l'idée.

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rité des suffrages dans la séance du 17. Voici les fragmens et l'analyse du discours que Mirabeau prononça à cette occasion; nous y joindrons sa motion, telle qu'il l'a insérée dans sa onzième lettre à ses commettans. « Je n'ai jamais été moins capable qu'aujourd'hui de discuter une question importante, et de parler devant vous. Agité, depuis plusieurs jours, d'une fièvre opiniâtre, elle me tourmente dans ce moment même ; je sollicite donc une grande indulgence pour ce que je vais dire: si mon ame parle à votre ame, vos forces suppléeront à mes forces; mais j'ose vous demander en méme-tems une grande attention pour la série des résolutions que j'aurai l'honneur de vous offrir. Long-tems méditées, rédigées dans un moment plus favorable, je les soumets à votre sagesse avec plus de confiance que le peu de mots que je vais balbutier.

>> Nous sommes prêts à sortir du cercle où votre sagesse s'est long-tems circonscrite. Si vous avez persévéré avec une fermeté rare dans un systéme d'inaction politique, infiniment décrié par ceux qui avoient un grand intérêt à vous faire adopter de fausses

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mesures, c'étoit pour donner le tems aux esprits de se calmer aux amis du bien public, de seconder le vœu de la justice et de la raison ; c'étoit pour vous assurer mieux que, même dans la poursuite du bien, vous n'excéderiez aucunes bornes; c'étoit, en un mot, pour manifester une modération qui convient sur-tout au courage, ou plutôt sans laquelle il n'est pas de courage vraiment durable et invincible.

>> Cependant le tems s'est écoulé, les prétentions, les usurpations des deux ordres se sont accrues, votre sage lenteur a été prise pour foiblesse; on a conçu l'espoir que l'ennui, l'inquiétude, les malheurs publics, incessamment aggravés par des circonstances presque inquies, vous arracheroient quelque démarche pusillanime ou inconsidérée. Voici le moment de rassurer vos ames, et d'inspirer la retenue, la crainte, j'ai presque dit la terreur du respect, à vos adversaires, en montrant, dès vos premières opératións, la prévoyance de l'habileté jointe à la fermeté douce de la raison.

>> Chacun de vous sent, MESSIEURS, com

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bien il seroit facile aujourd'hui d'essayer, par un discours véhément, de vous porter à des résolutions extrémes; vos droits sont si évidens, vos réclamations si simples, et les procédès des deux ordrés si manifestement irréguliers, leurs principes tellement insoutenables, que le parallèle en seroit au dessus de l'attente publique.

>> Que dans les circonstances où le roi luimême a senti qu'il falloit donner à la France une manière fixe d'étre gouvernée, c'est-àdire, une constitution, on oppose à ses volon tés, et aux vœux de son peuple, les vieux préjugés, les gothiques oppressions des siècles barbares; qu'à la fin du dix-huitième siècle, une foule de citoyens dévoile et suive le projet de nous y replonger, réclame le droit d'arrêter tout, quand tout doit marcher, c'est-à-dire, de gouverner tout à sà guise, et qualifie cette prétention vraiment délirante de propriétés; que quelques personnes, quelques gens des trois états, parce que dans l'idiome moderne on les a appelés des ordres, opposent sans pudeur la magie de ce mot vide de sens à l'intérêt général, sans daigner dissimuler que leurs intérêts privés sont en contradiction ouverte avec cet intérêt général; qu'ils veuillent ramener le peuple de France à ces formes qui classoient la nation en deux espèces d'hommes, des oppresseurs et des opprimés; qu'ils s'efforcent de perpétuer une prétendue constitution, où un seul mot prononcé par cent cinquante mille individus pourroit arrêter le roi et vingt-quatre millions d'hommes ; une constitution où deux ordres qui ne sont ni le peuple ni le prince, se serviront du second pour pressurer le premier, du premier pour effrayer le second, et des circonstances pour réduire tout ce qui n'est pas eux à la nullité; qu'enfin, tandis que vous n'attestez que les principes et l'intérêt de tous, plutôt que de ne pas river sur nous les fers de l'aristocratie, ils invoquent hautement le despotisme ministériel, sûrs qu'ils se croient de le faire toujours dégénérer, par leurs cabales, en une anarchie ministérielle; c'est le comble sans doute de la déraison or gueilleuse, et je n'ai pas besoin de colorer cette foible esquisse, pour démontrer que la division des ordres, que le veto des ordres, que l'opinion et les délibérations par ordre seroient une invitation vrai

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