Images de page
PDF
ePub

mais, après cette condamnation, on doit en conscience la payer, si l'on est en état de le faire. Le juge peut condamner à rendre plus qu'on ne doit; il le peut pour le bien public, afin d'arrêter le cours de l'injustice; il le peut même par rapport à la personne de celui qui a volé ou causé le dommage, parce qu'il tient la place de Dieu qui veut qu'on punisse les crimes.

[ocr errors]

On doit mettre une grande différence entre ceux qui sont obligés de réparer le dommage dont ils sont les auteurs, ayant pris un bien à un tiers qui l'avoit entre les mains et le possédoit effectivement, actu, comme disent les théologiens, et ceux qui sont obligés de restituer le dommage qu'ils ont causé à une personne, en l'empêchant d'avoir un bien qu'elle espéroit d'avoir potentiâ tantùm.

A l'égard des premiers, la justice commutative demande qu'ils rendent, ou la chose qu'ils ont prise, ou sa juste valeur ; autrement on rendroit moins qu'on n'auroit volé. Mais la restitution des choses qu'on a empêché d'avoir, à ceux qui espéroient de les posséder, suit des règles toutes différentes; car ce qu'on a entre les mains et qu'on possède actuellement, est plus appré ciable que ce qu'on espère de posséder; en outre, il arrive souvent que, si l'on restituoit la valeur de la chose, eu égard au temps qu'elle devoit être possédée, on rendroit plus qu'on n'auroit fait tort; parce que, par exemple, elle vaudra plus alors qu'au temps qu'on a empêché qu'on ne l'eût. Si on vend son blé en herbe, ou tous les raisins d'une vigne avant la vendange,' on les vendra moins que le blé qui est dans la grange, et que le vin qui est en cave,

[ocr errors]

Pour savoir comment il faut régler la restitution des choses qu'on a empêché une personne de posséder et d'avoir, lorsqu'elle y avoit un droit légitime, il faut faire attention, 1.o au temps dans lequel cette personne espéroit de les posséder ; car il peut être plus proche ou plus éloigné. 2.o Il faut avoir égard à l'espérance qu'elle avoit de les posséder: cette espérance peut être mieux fondée dans des cas que dans d'autres, 3. Il faut examiner quel risque il falloit courir pour en acquérir la possession: il est quelquefois plus ou moins grand. 4. On doit considérer les dépenses qu'il étoit nécessaire de faire avant que de les avoir: elles peuvent être quelquefois considérables, quelquefois il n'en faut faire que de très-modiques. Toutes ces circon

stances augmentent ou diminuent le prix des choses qu'on espéroit d'avoir. Ainsi quand, dans tous les cas où l'on a empêché une personne de parvenir à la possession d'un bien sur lequel elle avoit un droit acquis, on a pesé toutes ces circonstances, il est aisé de connoître jusqu'où peut aller le prix des choses qu'on est alors obligé de restituer.

Un homme sage et prudent peut le régler. Par exemple, des chasseurs ont marché dans un champ qu'on venoit de semer, et ont empêché les semences de germer et de porter du fruit: ils sont obligés de dédommager ceux qui, après l'avoir labouré avec peine et avoir fait la dépense d'y jeter du grain, espéroient de recueillir au temps de la moisson; mais, si l'on pèse. toutes les circonstances dont nous venons de parler, ils ne sont pas obligés à une restitution aussi considérable que ceux qui auroient ravagé ce champ à la veille de la moisson: parce que l'espérance du gain, à la veille de la moisson, est plus prochaine ; elle est plus certaine, il y a moins de risque pour les grains, et il y a moins de dépense à faire pour la simple récolte. On en doit dire de même du dégât dans les vignes, etc.

Ces décisions regardent également les personnes qui auroient volé des chevaux, des mulets, etc., à ceux qui font profession de les louer; elles seroient obligées de rendre, jour par jour, le prix que ceux-ci en auroient tiré en les louant; mais c'est toujours après avoir fait attention aux circonstances que nous venons d'expliquer.

Nous avons déjà dit qu'on ne peut différer de restituer lorsqu'on en a le pouvoir. Si l'on doit à cause d'une injustice, on est obligé de restituer au plus tôt, moralement parlant, c'est-àdire, lorsqu'on le peut. Si l'on doit en vertu d'un contrat, ou il faut rendre au temps qui est marqué par le contrat, ou déterminé par les lois: si le temps du paiement n'a pas été fixé, il faut faire la restitution lorsque le créancier auquel elle est due l'exige, ou lorsque le débiteur peut la faire. Ces décisions doivent s'entendre moralement parlant, c'est-à-dire, aussitôt qu'on peut le faire et qu'on on en a le moyen; à moins, comme nous l'avons déjà dit, qu'on n'ait une raison importante et juste de différer la restitution.

[graphic]

Pour résoudre cette question, il faut savoir d'où naît l'obligation de restituer: car il faut juger différemment de celui qui a été possesseur de bonne foi du bien d'autrui, ou de celui qui en a été possesseur de mauvaise foi, ou de celui qui doit rendre le bien d'autrui qu'il possédoit en vertu d'un contrat passé sans aucune injustice.

par

Il suffit que le possesseur qui a eu de bonne foi une chose appartenant à autrui, pour l'avoir achetée ou reçue de bonne foi, ignorant qu'elle avoit été volée, la restitue dans l'endroit même où il la possède: ainsi si, pour la remettre au propriétaire qui demeure ailleurs, il est obligé de faire des frais, c'est le propriétaire qui doit les payer; ; c'est assez que ce possesseur lui en donne avis: il ne lui a rien pris, il ne lui a fait lui-même aucun tort; il ne seroit donc pas juste qu'il lui en coûtât aucune dépense pour lui rendre cette chose. Bien plus, si ce possesseur de bonne foi étoit obligé de faire des dépenses pour garder et conserver ce bien, ce devroit être sur le compte du maître; parce que ce seroit pour lui faire plaisir, et pour lui en conserver la propriété. S'il ne pouvoit avertir le propriétaire, sans faire quelques frais, il seroit en droit de se les faire payer. Il faut en dire de même de celui qui renvoie à son maître une chose égarée qu'il a trouvée.

Mais cette décision n'auroit pas lieu si ce possesseur de bonne foi avoit retardé, sans une raison légitime, de rendre la chose qu'il avoit entre ses mains, après avoir su qu'elle appartenoit à un tiers; parce que ce retardement le rendroit coupable, et l'obligeroit de réparer le tort fait au propriétaire par ce délai. C'est alors à celui qui a différé de restituer, de s'imputer les frais et les dépenses qu'il doit faire pour rendre cette chose: le propriétaire n'est pas tenu de les supporter, puisque ce délai lui a fait tort.

Si ce possesseur de bonne foi avoit imprudemment fait transporter cette chose ailleurs, après avoir connu qu'elle n'étoit pas à lui, il devroit alors supporter les frais que le propriétaire n'au

roit pas faits pour la rapporter de là: il ne devroit pas les sup porter s'il l'avoit fait transporter ailleurs, parce qu'il ne pouvoit la conserver dans le lieu où il a commencé de la posséder.

[ocr errors]

Si le propriétaire est dans un pays trop éloigné pour qu'on puisse lui donner avis de ce qu'on a à lui entre les mains; ou si la chose qu'on doit lui rendre vaut trop peu pour mériter de faire certaines dépenses pour la lui rendre, il faut alors la remettre en dépôt dans un endroit sûr où elle soit conservée, pour la lui rendre à son retour; entre les mains des administrateurs d'un hôpital, par exemple, à un monastère, aux parents de celui à qui elle est due, en leur déclarant expressément qu'on ne leur remet cette chose qu'à cette condition.

Lorsque c'est l'injustice qui oblige de restituer une chose appartenant à autrui, il faut la remettre à ses frais dans le lieu où le propriétaire l'auroit possédée, s'il n'en avoit pas été privé; parce qu'il n'est pas juste qu'il souffre du tort qu'on lui a fait en la lui ôtant: ainsi ce n'est pas à lui à faire les frais nécessaires pour la recouvrer.

Si celui qu'une injustice oblige à restituer est alors tenu de faire des dépenses pour le transport de ce qu'il doit rendre, il doit s'imputer à lui-même, si, par sa faute, il est chargé de tous ces frais: damnum quod quis suâ culpâ sentit, sibi debet, non aliis imputare..

Il rend, à la vérité, plus qu'il n'a pris; mais il doit rendre ce qu'il a pris; il ne peut le rendre qu'en faisant ces dépenses: c'est le seul moyen qu'il a; c'est donc un moyen absolument

nécessaire.

Cependant, s'il étoit certain que le propriétaire eût fait des frais, pour transporter jusqu'au lieu où il demeure la chose qu'on doit lui restituer, on pourroit alors les déduire; parce que celui qui a fait tort à un autre, n'est pas obligé de le faire gagner en lui restituant ce qu'il a à lui; il n'est pas obligé de rendre plus que ce qu'il a volé, ou plus que ne monte le dommage qu'il lui a causé : il n'est tenu qu'à le dédommager, et cela suffit.

Il y a cependant un cas où il ne pourroit pas prélever les frais qu'auroit été obligé de faire le maître de cette chose pour la transporter ailleurs ce seroit celui où la personne qui a commis l'injustice, auroit été cause, par le tort qu'elle auroit fait, que celui qui en auroit souffert auroit changé de domicile. Par exemple, si, par le vol d'une somme considérable, on avoit

contraint celui auquel elle auroit été prise, de quitter le lieu où il vivoit alors, ne pouvant plus y subsister, pour aller habiter un plus petit endroit, afin d'y vivre à meilleur marché ; alors le voleur ou celui qui auroit fait le dommage, seroit obligé non-seulement de faire tenir à ses frais, l'argent qu'il lui devroit ou la somme qu'il auroit à lui, mais encore de l'indemniser des dépenses de son voyage et de son changement de domicile; parce que ç'auroit été une suite du préjudice qu'on lui auroit causé.

S'il y avoit apparence que celui à qui l'on a fait du tort dût bientôt revenir dans son premier domicile, on pourroit attendre son retour, pour éviter les dépenses que l'on doit faire pour lui restituer, pourvu qu'il ne souffrît pas de ce délai: on pourroit encore différer quelque temps cette restitution, si l'on pouvoit espérer de la faire dans peu à moins de frais.

Lorsque la restitution est fondée sur quelque dommage, si ce dommage causé à un tiers regarde sa personne; si, par exemple, on a empêché un ouvrier de gagner sa vie, par une blessure qu'on lui a faite, en lui occasionant, en outre, des frais pour se faire guérir, alors on doit l'indemniser dans le cu de sa résidence: on ne peut s'en dispenser, quoique son domicile soit éloigné; et l'on est obligé de lui renvoyer, à ses frais et dépens, les dommages et intérêts qu'on lui doit; parce qu'ayant fait tort à sa personne, il est juste qu'on lui fasse remettre tout ce qu'il lui en a coûté, partout où il se trouvera : c'est une juste punition de la faute commise en le blessant.

Si c'est dans ses biens qu'on a fait tort au prochain, il suffit de les restituer dans le lieu où il devoit en recevoir les revenus et en recueillir les fruits: on lui rend alors au juste tout ce qu'on lui doit; et on ne lui cause aucune dépense, quand, pour le dédommager du dégât fait sur ses terres, on le paie dans le même lieu, en cas qu'il en soit éloigné : car, en soit éloigné : car, s'il est obligé à quelques dépenses, pour en tirer les sommes qu'on y remet alors à son profit afin de l'indemniser, il a coutume de les faire tous les anst pour y recevoir ses revenus.

A l'égard de l'argent, c'est un bien qui n'a point d'assiette, non habet situm, comme les fonds de terre : dans cette espèce, si l'on a fait faire par mauvaise foi des dépenses en argent à quelqu'un, en lui suscitant, par exemple, un procès injuste, c'est au lieu de son domicile qu'on doit lui faire restituer ce qu'il lui en a coûté pour le soutenir,

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »