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citoyen de mettre en mouvement l'action publique pour faire prononcer leur déchéance, en revanche leurs droits, dont l'exercice appartient autant à la mère qu'au père, ne sont plus guère que nominatifs. Toute punition corporelle est interdite et les tribunaux sont maîtres absolus de fixer la résidence de l'enfant, le mode d'éducation à lui donner, de prendre en toute occasion telle mesure qui leur paraît utile; ils peuvent enfin prononcer la déchéance du père pour des condamnations même civiles ou pour abus d'autorité. Craignant d'ailleurs de laisser à ce dernier le moindre moyen de répression contre les désordres de son fils, le juriconsulte belge propose de réduire la part dont le code civil lui laisse la libre disposition dans des biens.

Encore sont-ce là les idées de jurisconsultes ne comprenant sans doute pas le péril social résultant des attaques qu'ils dirigent contre l'autorité paternelle, mais soucieux du moins de sauvegarder par l'intervention obligatoire des tribunaux la liberté individuelle contre les empiètements exagérés de l'Etat. Ils sont bien dépassés à l'heure actuelle. De la liberté nul n'a cure, surtout si elle profite à l'Eglise témoins ces deux nouveaux sénateurs qui ont pris pour se faire élire l'engagement d'honneur de déposer à chaque session et jusqu'à complet succès un projet de loi, inconstitutionnel d'ailleurs, interdisant d'enseigner à tout membre d'une congrégation non autorisée. De l'ingérence de l'Etat dans les rapports de père à fils nul n'a peur et c'est à lui que le congrès international de 1885 a entendu s'en remettre pour la protection de l'enfance. Si l'on veut bien se rendre compte de la nouvelle orientation des esprits, il faut lire les travaux préparatoires de la loi du 24 juillet 1889 au Sénat et examiner soigneusement le texte primitivement volé par cette assemblée; c'est le triomphe du communisme : l'Etat père de famille universel.

D'après lui en effet, tombent de plein droit et par le seul fait d'une autorisation gracieuse du juge de paix sous la tutelle de l'autorité publique : 1° tous les enfants nés ou à naître de parents déchus de la puissance paternelle et les cas de déchéance prévus sont fort nombreux; 2o tous les mineurs maltraités ou délaissés recueillis d'office par les

établissements de bienfaisance publique ou privée; 3o tous ceux qui ont été confiés par leurs parents à l'un de ces établissements; 4o ceux enfin que leur père s'est déclaré incapable d'élever. Dès lors que l'on désirait une expropriation simple et rapide de la puissance paternelle on ne pouvait pas mieux trouver la dépossession était expéditive, brutale même. Un père de famille confiait-il son enfant mineur à une institution charitable, immédiatement ses droits de surveillance et de direction passaient, contrairement à sa volonté, aux mains de l'Etat; pour se les faire restituer il devait agir en justice; l'enfant devenait le pupille du préfet ayant le pouvoir discrétionnaire de le maintenir dans l'établissement choisi par le père ou de l'en retirer sans même avoir besoin de motiver sa détermination; l'établissement n'avait aucun mode de recours contre cet acte arbitraire, seuls les parents et les ascendants avaient le droit non de s'y opposer directement mais de saisir après coup les tribunaux de la question. Les mêmes attributions étaient reconnues au préfet quand un père faisait constater par le juge de paix son impuissance à élever son fils mineur, ce fonctionnaire devenait appréciateur souverain des conditions de placement, de garde et d'éducation de l'enfant. Bref, sauf le contrôle dérisoire du conseil départemental et le droit de recours ex post facto encore reconnu aux parents, le préfet était tout puissant, les délégations qu'il faisait de son droit étant toujours révocables; et, pour mieux assurer encore la prise de possession de l'enfant par l'Etat, le Sénat avait eu le soin d'écarter l'initiative de la charité privée en imposant aux particuliers désireux de recueillir la jeunesse malheureuse et abandonnée des obligations et des formalités multiples, sanctionnées par de sévères amendes.

Tel est ce projet qui, au dire d'un sénateur dans la séance du 27 mai 1883, n'allait pas encore assez loin; il constitue à notre sens au contraire un monument d'oppression et d'iniquité. Des trois puissances qui ont mission de s'occuper de l'enfance le père, l'Eglise et l'Etat, les deux premières disparaissent, l'Etat reste seul maitre des destinées de ses pupilles. Le père de famille est déchu de toute autorité dès lors qu'il manque à ses devoirs et laisse vagabonder son fils;

se trouvant dans l'impossibilité de le surveiller effectivement, veut-il le confier à des mains charitables, il perd encore tous ses droits sur lui et l'Etat les acquiert. Quant à l'action de l'Eglise sur ces jeunes âmes, le pouvoir discrétionnaire du préfet y mettra bon ordre, il saura choisir ailleurs ceux auxquels il déléguera, à titre précaire toujours, l'exercice de son autorité. C'est de la tyrannie toute pure et il est triste de penser que chez nos législateurs la haine antireligieuse va jusqu'à leur faire perdre la notion. de la liberté individuelle à défendre. Il en est ainsi pourtant et si en somme le projet voté par le Sénat n'est pas devenu loi, ce n'est pas par suite de la révolte du bon sens contre un tel despotisme gouvernemental, mais seulement en raison des dépenses énormes qu'il eût entraînées pour le budget national. Ce projet en effet, suivant le mot du ministre de l'intérieur d'alors, ouvrait « une sorte de tour per<< manent dans lequel les familles qui ne voudraient pas << travailler pour faire vivre leurs enfants... viendraient « déposer ceux qu'ils considéreraient comme une charge, << imposant ainsi à l'Etat de se substituer à leurs devoirs et << non pas seulement à leurs droits »; le vagabondage et la mendicité habituelle devenaient un titre à la protection légale et, grâce à une simple déclaration devant le juge de paix, tout père de famille pouvait se décharger sur l'Etat du soin de pourvoir à l'entretien de ses enfants. C'était offrir aux parents le moyen de pratiquer sous une forme nouvelle le système de débarras si justement critiqué dans la législation anglaise (1), d'abandonner à l'Etat, avec des droits auxquels ils tiennent peu, des charges qui leur semblent trop lourdes. Il n'était pas chimérique de croire que certains en voudraient profiter, car on a vu déjà des pères de familles nécessiteux mettre leurs enfants en correction paternelle ou les exposer volontairement à l'application de l'article 66 du Code pénal pour s'épargner la peine de les nourrir. (2) On proclamait le droit de l'indigent à la cha

(1) Ch. Lucas Rev. crit., 1879, p. 156. (2) Rapport à l'Empereur en 1854

Cir. min. 11 mars 1876.

rité légale, on invitait les parents à faire élever leurs fils aux frais de l'Etat, quel budget aurait pu résister à l'accroissement de dépenses, conséquence forcée d'une telle législation, alors surtout qu'entravées dans leur œuvre ou réduites au rôle de simples délégués dépendant du bon plaisir du préfet, les institutions privées s'occupant des enfants abandonnés (1), disparaîtraient ou demanderaient à l'Etat de leur payer pension pour ses pupilles? Cet argument, fort sérieux d'ailleurs, il faut le reconnaître, a déterminé le législateur à réduire au moins pour un temps ses innovations au texte définitif de la loi du 24 juillet 1889; mais l'Etat n'a pas pour cela renoncé à ses prétentions envahissantes : leur réalisation, dit-on, sera l'œuvre de l'avenir.

Cet avenir est peut-être prochain si l'on en juge par la loi en préparation sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels de toutes sortes qui est destinée à remplacer la loi du 19 juillet 1874. Si l'on consent à ajourner la réglementation du travail pour les hommes faits, les prescriptions sont au contraire minutieuses pour les enfants mis en apprentissage ou employés non seulement dans l'industrie proprement dite mais aussi dans les magasins et les boutiques. Interdiction de tout travail avant 13 ans et même avant 16 ans pour ceux qui ne sont pas munis d'un certificat d'aptitude physique, fixation de la journée à dix heures jusqu'à l'âge de 18 ans pour les garçons et à tout âge pour les femmes, voilà pour la liberté et, pour éviter tout abus de la puissance paternelle, la règle s'applique même dans les ateliers n'employant que les membres de la famille sous la direction du père, dès que le travail s'y fait à l'aide de chaudière à vapeur ou de moteur mécanique. Voici maintenant la part de l'irreligion : les patrons ne sont plus tenus de laisser à leurs employés la liberté d'accomplir leurs devoirs religieux et si la loi exige pour eux un jour de repos par semaine, elle se refuse « afin de respecter la liberté de conscience» (2) à choisir pour cela

(1) Elles en élèvent aujourd'hui plus de 60.000.

(2) Rapport Waddington. ann. 1890. Journ. offic. Ch. députés, n° 649, p. 41.

le dimanche. Enfin l'état se réserve exclusivement la direction du service; le rapport se plaint de l'inertie apportée par les tribunaux et les conseils généraux dans l'application de la loi de 1874, (1) il faut remettre l'inspection aux mains de fonctionnaires relevant directement du pouvoir central et ayant à première réquisition le droit d'entrer dans tout établissement, atelier ou magasin.

Pour notre part, nous ne saurions trop protester contre une telle tendance, si générale soit-elle en Europe, au nom de la liberté et de la justice, dans l'intérêt même de la nation. Si la puissance paternelle n'est pas uniquement instituée dans l'intérêt du père, elle n'existe pas moins en sa personne à l'état de droit préexistant à la loi positive et elle doit être fortifiée par le législateur à peine de porter atteinte à la constitution de la famille et d'ébranler ainsi un des plus solides fondements de l'ordre social. Faire de la puissance paternelle une fonction publique perpétuellement contrôlée par les tribunaux ou l'Etat à titre non répressif mais préventif, c'est la supprimer en fait sous prétexte d'amélioration, c'est détruire ce lien sacré fait d'amour et de respect, c'est ruiner la famille. En substituant l'Etat au père, on viole la Loi divine et l'on porte un coup fatal à l'humanité, on remplace une autorité parfois despotique, mais tempérée le plus souvent par l'affection, par un pouvoir tyrannique, tracassier, auquel rien ne fait contrepoids, pas même l'influence bienfaisante de l'Eglise qu'il poursuit au contraire de sa haine.

CONCLUSION

Cependant, étant donnés l'affaiblissement des caractères et la dégénérescence des mœurs, nous avons nous-mêmes reconnu l'insuffisance de la théorie du code civil sur la puissance paternelle et la légitimité d'une intervention du législateur et de l'Etat. Qu'y avait-il donc à faire à notre

(1) Même rapport, p. 9 et 52.

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