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c'est qu'alors un principe de droit s'oppose à ce que cette réparation complète soit obtenue soit obtenue de l'État; mais lorsqu'une réparation quelconque ayant le caractère d'une réparation principale peut être accordée, la condamnation accessoire aux dépens doit accompagner cette réparation principale à moins qu'il n'en soit décidé autrement de la manière la plus expresse, et que le législateur ait voulu qu'à ce point de vue encore la satisfaction accordée à l'intéressé fût insuffisante, ce qui ne peut être présumé.

En 1864, le décret du 2 novembre de cette même année vint consacrer le système suivi par le Conseil d'État, tout en l'atténuant dans une certaine mesure.

D'après l'article 2 de ce décret, dans les affaires portées devant le Conseil d'État et concernant soit le domaine de l'État, soit les marchés de fournitures passés par l'État, soit les travaux publics entrepris par lui, les principes des articles 130 et 131 du Code de procédure civile devaient être appliqués, et l'État pouvait de ce chef être condamné aux dépens; implicitement, ce décret décidait que dans les autres affaires une pareille condamnation n'était pas possible. Le texte en question ne visait d'allleurs que les instances devant le Conseil d'État, et la jurisprudence administrative devait éprouver quelques hésitations à étendre aux instances devant les Conseils de préfecture et relatives aux matières indiquées dans le décret, le principe de la condamnation aux dépens. La loi du 22 juillet 1889 a mis fin à ces hésitations en édictant, par son article 63, pour les instances engagées devant les Conseils de préfecture, une disposition analogue à celle du décret du 2 novembre 1864, et admettant la possibilité de condamner l'État aux dépens dans les cas prévus par ce décret et même d'une manière plus générale dans tous les cas où le Conseil de préfecture est compétent pour prononcer sur une question de dommage intéressant l'État, ce que n'admet pas le décret de 1864.

Ces différents textes, décret de 1864 et loi de 1889, sont donc bien loin de consacrer d'une manière générale ce principe que toute partie qui succombe dans l'instance est condamnée aux dépens lorsqu'une des parties en cause est l'État; ils consacrent plutôt le principe opposé, et le Conseil d'État les a toujours entendus et appliqués d'une manière restrictive; en dehors des cas expressément prévus par eux, questions intéressant le domaine de l'État, les marchés de fournitures, les travaux publics,

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et pour les Conseils de préfecture, certains dommages causés par les agents de l'Etat, ce dernier ne peut être condamné aux dépens, les intérêts en jeu dans le litige fussent-ils des intérêts d'ordre exclusivement pécuniaire comme cela arrive dans les contestations relatives aux traitements des fonctionnaires 2, aux demandes d'indemnité pour révocation opérée irrégulièrement 3 ou pour faute des agents de l'État, aux réclamations pécuniaires de l'État contre des comptables ou autres individus prétendus débiteurs de l'État. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les mêmes affaires, de prononcer une condamnation aux dépens au profit de l'État, non pas par réciprocité, mais parce que les ministres pouvant défendre aux actions dirigées contre l'État sans exposer de frais, il n'y a pas lieu, déclare le Conseil d'Etat, de leur allouer des dépens pour frais faits par eux volontairement.

Etant données les dispositions formelles du décret de 1864 et de la loi de 1889, les décisions du Conseil d'Etat échappent à toute critique; seulement on ne peut s'empêcher de regretter que le législateur ait adopté le système consacré par ces textes, système que la jurisprudence suivie par le Conseil d'Etat de 1834 à 1864 a contribué sans doute à lui faire accepter. L'exemption de frais admise au profit de l'État dans un grand nombre d'hypothèses, et notamment dans des cas où les intérêts en jeu sont des intérêts purement pécuniaires, constitue une exception à la règle d'après laquelle les dépens sont à la charge de la partie qui succombe, et une exception difficile à justifier; parfois on n'aperçoit nullement pour quelle raison la condamnation aux dépens qui peut être prononcée contre l'État dans une hypothèse déterminée, en matière de travaux publics par exemple, ne peut pas être prononcée contre lui dans une hypothèse voisine, en cas de dommages causés par ses agents par exemple, exception faite pour les dispositions de la loi du 22 juillet 1839 pour cer

1. C. E. 8 mars 1856; 4 août 1866; 13 août 1867; 15 mai 1869; 27 juillet 1870 1 février 1871; 22 nov. 1872; 10 mai 1873; 10 juillet 1874; 20 nov. 1876; 1er juin 1883; 20 février 1885; 8 août 1883; 25 janvier 1889; 14 nov. 1890; 1or déc. 1899 18 avril 1902.

2. C. E. 26 janv. 1877; 13 janv. 1882; 5 déc. 1884; 8 août 1885; 19 nov. 1886 21 janv. 1887; 8 août 1899.

3. C. E. 27 janvier 1893.

4. C. E. 4 déc. 1879; 9 mars 1883; 21 avril 1884.

5. C. E. 15 juillet 1887; 8 juillet 1892; 10 nov. 1899. 6. C. E. 28 juillet 1876; 17 févr. 1882.

7. C. E. 8 mai 1874,

taines instances portées devant les conseils de préfecture. Une pareille exception a du reste toujours pour effet d'empêcher la juridiction saisie de donner au droit auquel une atteinte a été portée toute la satisfaction qui lui est due, et elle peut avoir pour résultat, comme nous l'avons indiqué, d'empêcher un justiciable de s'adresser à la juridiction administrative et de faire valoir son droit devant elle; elle constitue donc un obstacle indirect à la mise en mouvement de cette juridiction et à ce titre on peut dire qu'il est regrettable de la voir admise par notre législation positive.

§ 3.

L'INEFFICACITÉ DE L'INSTANCE.

La troisième cause que nous avons signalée comme pouvant constituer un obstacle indirect à la mise en mouvement de la juridiction administrative est ce que nous avons appelé l'inefficacité de l'instance. Nous entendons par instance inefficace une instance qui ne permet pas à celui qui l'engage ou qui y défend, mais surtout à celui qui l'engage, d'obtenir complètement le résultat qu'il désirerait atteindre en ayant recours à une juridiction, résultat qu'il pourrait atteindre à la rigueur si l'instance était autrement organisée par le législateur et aboutissait à des conséquences autres que celles qu'elle produit. La perspective de n'atteindre qu'incomplètement le but qu'il se propose en engageant l'action peut détourner un justiciable de la pensée d'adresser à une juridiction un appel qui ne produira pas l'effet désiré.

En ce qui concerne la juridiction administrative, cette inefficacité de l'instance peut se manifester à trois points de vue différents.

I.

En premier lieu on peut dire que l'instance administrative est inefficace en ce sens qu'elle n'a pas, en principe, pour effet de suspendre l'exécution des mesures édictées par l'administration; les décisions de celle-ci ont force exécutoire et elles peuvent être exécutées nonobstant tout recours dirigé contre elles, sauf la responsabilité encourue si la décision est illégale, responsabilité qui du reste n'existe pas dans tous les cas.

Nous pouvons invoquer, pour établir l'exactitude de l'affirmation qui vient d'être avancée, l'art. 3 du décret du 22 juillet 1806 qui déclare expressément que les pourvois devant le Conseil d'Etat n'ont pas d'effet suspensif. Cette disposition est générale et s'applique aux pourvois dirigés contre des décisions purement administratives comme aux pourvois formés contre des décisions juridictionnelles; il eût été d'ailleurs nécessaire que la loi proclamât expressément le principe contraire pour qu'un effet suspensif fût attribué à un recours juridictionnel; aussi il n'y a pas le moindre doute en ce qui concerne les recours devant les Conseils de préfecture bien que la loi du 22 juillet 1889 soit muette à cet égard. Cet effet non suspensif de l'instance peut avoir évidemment pour résultat d'empêcher un justiciable d'intenter un recours juridictionnel qui ne produira pas immédiatement l'effet cherché, à savoir, la suspension de l'exécution de la décision administrative; mais cet inconvénient peut être considéré comme très faible et comme propre surtout à empêcher certains individus d'engager hors de propos des actions que rien ne justifie; au fond, le principe de l'effet non suspensif de l'instance administrative se justifie fort bien. Il n'est pas admissible que l'administration chargée de veiller à l'intérêt public, chargée de donner satisfaction à certains besoins généraux, soit entravée dans son action par un recours formé contre ses décisions; il est nécessaire qu'elle puisse passer outre si elle le juge à propos, autrement l'intérêt général pourrait se trouver compromis de la façon la plus grave; la mise en jeu de la responsabilité personnelle de ceux qui l'auraient arrêtée à tort dans sa marche serait illusoire auprès du préjudice qui aurait pu être causé à la collectivité. Aussi n'est-ce que par exception et pour certaines mesures individuelles que la loi attribue un effet suspensif à l'instance administrative. On trouve un exemple de cet effet dans la loi du 6 décembre 1897, art. 12,laquelle décide que le contribuable peut se refuser à payer les douzièmes des contributions directes qui viennent à échoir, mais non ceux qui sont échus, lorsque le recours formé par lui contre le rôle de ces contributions n'a pas été jugé dans le délai de trois mois par le Conseil de préfecture: dans la circonstance c'est la prolongation de l'instance et non son introduction qui produit un effet suspensif, puisque la mise à exécution du rôle est suspendue contre le contribuable pour les douzièmes qui viennent à échoir à partir du délai de trois mois fixé par la loi; mais c'est là une solution exceptionnelle. Il faut dire toutefois que le principe d'après lequel l'instance

administrative ne suspend pas l'exécution des décisions administratives subit une exception qui atténue ce que ce principe pourrait avoir de trop rigoureux; lorsqu'une décision administrative est attaquée devant le Conseil d'État celui-ci, d'après l'art. 3 du décret du 22 juillet 1806, peut ordonner que le pourvoi aura un effet suspensif; le texte étant général s'applique aux recours dirigés contre les décisions administratives comme aux recours dirigés contre les décisions juridictionnelles.

Pour ces dernières décisions elles-mêmes, il est permis de dire aussi que l'instance est, en général, inefficace dans le sens que nous avons donné à ce mot. En effet, à la différence de ce qui a lieu pour les décisions des tribunaux judiciaires, certains recours qui peuvent être dirigés contre les décisions juridictionnelles émanées des tribunaux administratifs, ne produisent pas d'effet suspensif; la décision peut être exécutée nonobstant le recours formé contre elle, ou du moins nonobstant la phase nouvelle dans laquelle l'instance vient d'entrer. Il en est ainsi de l'appel formé contre les décisions des juridictions inférieures, par exemple contre les décisions des Conseils de préfecture; pour que cet appel soit suspensif il faut qu'il en soit ainsi ordonné par le Conseil d'État d'après l'art. 3 du décret du 22 juillet 1806; devant les tribunaux civils c'est la règle inverse qui est applicable d'après l'art. 457 du Code de procédure. De même, l'opposition formée contre les jugements par défaut rendus par le Conseil d'État. n'est pas suspensive aux termes de l'art. 2? du décret précité; elle ne produit cet effet que s'il a été expressément ordonné par le Conseil, règle différente de celle observée devant les tribunaux civils aux termes des articles 161 et 162 du Code de procédure. En revanche l'opposition aux décisions par défaut émanées des Conseils de préfecture produit un effet suspensif à moins qu'il n'en ait été autrement ordonné, d'après l'art. 55 de la loi du 22 juillet 1889.

Cet effet non suspensif des recours dirigés contre une décision juridictionnelle, n'apparaît pas comme aussi nécessaire que l'effet non suspensif des recours dirigés contre une décision administrative proprement dite; que l'exécution de la décision juridictionnelle se trouve retardée par un appel ou par une opposition, l'inconvénient ne sera pas, en général, considérable; la situation sera la même que si l'instance avait duré plus longtemps avant d'aboutir à une solution. En cas de décision par défaut l'utilité de l'effet suspensif de l'opposition est particulièrement

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